Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Par Viviane Lamarlère
Plonger à l’oubli et s’y fondre comme les rayons du dernier soleil se noient dans la mer.
Amer. Voilà ce qu’il était.
Amer.
Tout ça pour rien.
Nul ne savait d’où il était venu, posé un matin devant le seuil de cet orphelinat, une histoire déjà vue, mille fois entendue, mais on n’a qu’une vie.
Les premiers temps, il avait été surpris des réactions de toutes ces grandes personnes qui se penchaient sur son berceau.
Sa peau olive et ses iris jaune citrons fendus d’une pupille en faucille avaient de quoi étonner le chaland.
Il portait sous les yeux ces cernes à qui l'on parle mais qui taisent à jamais les coups qu'ils ont reçus.
Certains des prétendants à une adoption riaient, non sans nervosité, d’autres écarquillaient le regard avant de reculer les mains sur la bouche puis tournaient le dos très vite comme s’il avait pu leur porter la poisse.
Il s’y était accoutumé, résigné déjà nourrisson à vivre dans ce lit-cage le restant de ses jours. Son corps même lui était cage dont il aurait aimé faire exploser la barrière de chair.
Puis un jour, ils sont arrivés.
Peut-être plus aventureux que d’autres, peut-être plus inconscients que d’autres, peut-être tout simplement las de ne pas avoir d’enfant.
Ils se sont très vite habitués à son don.
Leurs proches et amis aussi. On s’habitue à tout.
Il grandissait plus lentement et péniblement que les autres gosses de son entourage. Mais son regard était doué de la faculté inhumaine de rentrer dans le regard des autres et voir ce qu’ils voyaient.
Une forme d’empathie accompagnée d’une dissolution de sa chair. Les premiers temps on l’avait cherché partout. Puis on s’était fait à ses disparitions subites d’autant plus aisément qu’il ne voulait aucun mal à ceux dont il empruntait pour quelques instants ou quelques heures la boite crânienne et les nerfs optiques.
C’est ainsi qu’il avait vu sa mère adoptive avec le regard de l’époux.
Et l’inverse. Adam voyait sa compagne au plus près de son âme et n'en penserait rien.
Lui s’était bien gardé d’intervenir dans ce qui se tramait au cœur de cette femme, d'ailleurs il n'aurait pas pu le faire étant tout à la fois très respectueux de la pensée d'autrui et muet.
Lorsqu’on avait retrouvé le corps d’Adam disloqué sur la chaussée suite à une chute du vingtième étage, le suicide ne faisait de doute pour personne.
Il vagabondait ainsi d’une structure sensible à l’autre avec une sorte d'étonnement de la faculté humaine à céler ses desseins les plus sombres.
Une tristesse aussi, une infinie tristesse de ne pas se voir dans le regard des autres.
Cela s’était aggravé le jour où il avait enfin maîtrisé ce don sans que la barrière des écrans d’ordinateurs ou de télévision soit un obstacle.
Il avait ainsi visité la conscience des grands de ce monde.
Et dire qu’on lui mettait tout sur le dos.
Il n'avait pas pensé immédiatement à s'enfuir, car s'il était muet, il pouvait encore s'exiler dans l'alchimie furtive que tissent sans le savoir la vermine et le vent, la mer aux sèves bleues contre les grands rochers gris.
Il marchait l'imaginaire
briseur de cercles vicieux
affamé de connaître les champs mitochondriques
perdus dans le plasma
il marchait en silence
et parfois de la main il écartait le vent aux franges des falaises
là où les oiseaux nichent
et se parlent du vrai qui est toujours incroyable.
C'est là qu'il s'essayait à croire, le regard enflammé, le coeur déboussolé, les mains tendues vers un crépitement inaudible qui lui dirait l'espoir.
Un jour il en eut assez.
Il saisit au vol une opportunité et se laissa porter par elle vers son Père.
Il n’aurait jamais dû rentrer dans son regard.
Ce qu’il vit était un peu jauni, instantané immobile des derniers jours de joie créatrice.
De toute éternité le regard du Tout Puissant était resté figé, attristant d’autosatisfaction benoite, sur les ébats innocents dans le jardin de L’Eden et la main d’Eve tendue vers la pomme...
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