Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Contes de la rivière aux Loups * 12 *


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- Fille de Chicoutimi dis-moi le feu
  ce qui le naît
  le nourrit
  et le meurt.

- Assieds-toi, Enfant.

Le feu sort de la pierre et du bois,
depuis toujours,
parfois
il vient du ciel et là est un immense mystère que je ne peux t’expliquer.
Mais il est une légende…

- Oui, dis!

- Il est une légende qui explique non l’origine du feu
  mais l’origine de son caractère  sacré,
  si tu es patiente et écoutes sans m’interrompre, je vais te la raconter.
- Oui, mère.
- Allume le feu, j’ai froid ce soir, je me fais vieille.
- Oui, mère, tout de suite.

- C’était l’Eté Indien et dans la grande baie les loups se reposaient.
  Leur peuple est non-violent. Il aime à chasser l’ombre sous les grands érables
 et  parce qu’il faut manger se satisfait du râble des lapins sauvages.

- Et manger les petits-enfants et…
- Et ta promesse ?
-…

- Un jour une bataille ivre de poussière et de cris,
  opposa les loups aux grands pumas gris.
  Le pelage des fauves coulait comme un grand arbre abattu sur les eaux
  qui ne  peut s’enfuir et accepte son sort
  La famille féline roulait muscles bandés, prêts à bondir.

Le chef de la horde avait perdu sa compagne et les derniers de ses fils s’étaient enfuis. Les pumas le laissèrent mortellement blessé, mais il eut le temps de se caler contre un arbre afin de les regarder partir.
Depuis, enfant, un Cheyenne ne tourne jamais le dos à l’ennemi, jamais. Et s’il doit mourir de la rencontre, c’est en le regardant dans les yeux. Tu t’en souviendras.

- Oui, Mère…

- Quand la horde revint après le carnage, elle flaira son chef qui ne bougeait plus.
Mais il n’y avait plus de femelles pour darder leurs yeux d’ors vers le ciel et envoyer son âme rejoindre d’autres étoiles. Ils le laissèrent ainsi, voué au pourrissement qui attend toute chair.

Pourtant, lui les voyait, les sentait, les entendait.
Son ombre les suivit
son ombre les pleura
son ombre s’en alla
présente à chaque instant
de leur vie
dans leur vie
joyeuse de leur joie
triste de leur tristesse.

Et ainsi passait le temps.
Qui l’emplissait à chaque fois plus de désespoir car il avait faim, soif et envie d’aimer à nouveau.
Mais chacune de ses requêtes restait sans échos : la meute ne le voyait plus.
Il se mourait une deuxième fois de solitude.

Alors sans un regard vers leur tanière, il rebroussa chemin pour en finir avec cette errance dans le monde des vivants et retrouver son corps mort.
Trois nuits de marche
croisant le froid

Trois jours de fuite
sans vrai but.

Le quatrième  jour, il rencontra un feu très mystérieux qui semblait sortir tout nu des broussailles. Et lui barrait le chemin, où qu’il aille.

-Où vas-tu feu, où vas–tu ?
-Ah ah, je vais où tu vas, je muse et m’amuse !
-Laisse-moi passer feu, laisse-moi passer
-Ah ah, je n’en ferai rien, je muse et m’amuse !
-Qui es-tu feu, qui es-tu ?
-Je suis l’esprit de vie, et je muse et m’am…


Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que l’esprit du Loup se jeta à travers lui.
«  Je suis mort de toutes façons, donc je ne risque rien » se disait la bête alors qu’elle traversait la langue chaude du feu.
Celui-ci, tout étonné qu’on lui prenne un peu de son âme se calma puis se mit à couver sous sa cendre.
Quant à Loup, il se retrouva tout chaud
vivant,
baillant sortant d’un long sommeil contre son tronc d’arbre.

Le grand Manitou s’approcha alors et lui dit :

Tu as rencontré l’autre bord,
Tu en es revenu parce que tu es allé au-delà de la peur de ce feu qui abîme ton  pelage.
Tu apprendras à ta tribu qu’il faut quatre jours pour aller aux pays des âmes, qu’il faut du feu pour réchauffer les morts, pendant leur voyage et que c’est aux vivants d’entretenir le feu.


Voilà pourquoi depuis, Enfant, le feu est sacré, que ce soit celui qui braise lentement ta nourriture, celui qui enflamme ton cœur ou celui qui entoure les corps lors des veillées autour d’un disparu.

Voilà pourquoi , depuis, les âmes ne reviennent que sous une forme que nous ne connaissons pas mais dont nous sentons la douce et bienveillante présence. Voilà pourquoi celui qui sait reconnaître le feu en lui y trouvera repos éternel.
Vénère le feu, enfant, vénère le feu.

  Suite


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