Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
A l’époque dont je vous parle, Dieu le plus Grand dormait, satisfait de sa première ébauche du Monde.
Les herbes de la savane subissaient avec un fatalisme ondulant le rythme de la saison des pluies et de la saison sèche étaient mangées quand il le fallait et brûlées de même..
Les animaux se jaugeaient à longueur de temps avant de se dévorer, les maris taquinaient leurs femmes dans les cases, les femmes taquinaient les amis de leurs maris dans d’autres cases....
Bref, tout allait bien et Dieu pouvait dormir.
C’était sans compter avec un vieux margouillat amer, à la peau toute ridée, à la belle gorge incendiée comme un soleil couchant mais qui ne plaisait plus à personne . Toutes les femmes du village le chassaient à coups de baton. Il ne pouvait même plus dormir tranquille au soleil sans que les enfants ne viennent jouer avec lui, sans pitié pour ses vieux os.
Il en pleurait tant, qu’un jeune lézard encore tendre et à la gorge soyeuse comme un soir dont l' orbe est traversée de nuages violacés vint près de lui.
-Mon vieil ami, ne pleure pas.
- Crois tu que ce soit drôle d’être rejeté parce que je suis devenu vieux et plus aussi agile? Les femmes avaient fait de moi l’icone de ce qui leur donne le plaisir et féconde leur ventre. Pour les hommes...
-Tu étais la même image, je sais.. Les hommes changent de Divinités souvent, maintenant ils ont pris pour image de ce à quoi tu penses les fruits du bananier. C’est la vie, mon vieux, faut accepter.
-Pas si simple. Toi, évidemment, tu n’étais la Divinité de rien, alors, tu en parles à ton aise, mais moi...
- Ecoute, nous allons leur montrer que tu as encore de la puissance. J'ai un plan. Suis-moi, nous allons changer le Monde !
.....
Les voici trottant menu de leurs petites pattes joyeuses et entreprenantes, dans la brousse dont ils connaissent par coeur les chemins, les hôtes et les dangers.
- Quel est ton plan ? demande le vieux margouillat.
- Voilà, il nous faut trouver un animal aussi stupide que gourmand qui accepte de manger, à s’en éclater, les fruits qui se trouvent tout en haut de cet arbre que tu vois et auxquels sa nature indolente et pas finie ne lui a jamais donné accès.
Ils trouvent vite leur victime , un vilain Sans-Pattes condamné à rester là où il avait été mis au monde. Heureux encore que son apparence assez peu engageante, tant il était gluant, et son goût passablement aigre et pimenté conduisent d’éventuels prédateurs à l’éviter soigneusement .
-Salut, toi. Ca te dirait une ascension de ce bel arbre chargé de fruits remplis de miel? lui demande le jeune lézard?
-....?
-Si ça ne t”intéresse pas, dis le DE SUITE, que nous reprenions notre route. Il y a urgence.
- Si, ça m’intéresse, mais je ne saisis pas.. pourquoi moi, plutôt qu’un autre ?
-C'est le jour des bonnes actions, chez les margouillats, cherche pas à comprendre. Tu nous a plu d’emblée..
-Mais comment vais-je monter ? Je n’ai pas de pattes et suis tellement ... que je vais glisser de l’arbre avant même de commencer !
-T'inquiètes, nous sommes les rois de la varape, nous autres, nous te porterons là-haut et tu pourras t’y emplir à ton aise de ces fruits délicieux.
-Ca marche, dit le Sans- Pattes .
-Oui, enfin..bon...un peu de modestie tout de même.
Sitôt dit, sitôt fait, à l’aide de fines herbes ils nouent le Sans- Pattes sur leur dos et ... direction le faite de l'arbre
Ce n’est pas simple car la bête est assez lourde et a tendance à glisser. Il faut faire avec les pattes arrières une gymnastique qui fait mal pour des jours et des jours afin de le rattraper quand il s’échappe de la camisole des fines herbes..
Ils arrivent enfin, cahin-caha, et se posent en un endroit suffisamment large pour accueillir le corps mollasson, gluant et répugnant du Sans- Patte et le laisser là, tranquille .
Complaisants, ils lui cueillent des monceaux de beaux fruits mielleux et la bête commence à s’en empiffrer, mais à un point tel qu’à un moment il semble inéluctable qu’elle déborde de son nid improvisé.
-"Bon, maintenant, on se casse vite fait” dit le plus jeune des margouillats.
-Mais... on ne peut pas le laisser là, il va tomber !!???
- Justement, c’est bien ce que je te dis, magne toi, j’ai aménagé un abri imprenable, même par Dieu , car cela va chauffer, si tout marche comme prévu.
Et les voilà qui redescendent, rapides comme un fermeture éclair sur une jupe de croco, et vont se cacher dans un trou noir non loin du grand arbre , d’où ils peuvent surveiller à la jumelle la suite des opérations.
Tout occupé à manger, le Sans-Pattes réalise tout d’un coup qu’il est seul.
-Hé ho, les copains, où êtes vous passés? Redescendez-moi, s’il vous plait !!
-Tu n’as qu’à te laisser glisser, cela ira tout seul. Allez, un peu de cran...
Et le Sans-Pattes se laisse glisser. Jusqu’en bas où..il explose..
Les fruits, encore chauds du soleil de la savane et surtout du ventre du Sans- Pattes, se répandent alentour à une telle vitesse ...
...Que cela chatouille les reins coquins des Herbes folles de la savane qui se mettent à rire.... comme cela ne leur était pas arrivé depuis longtemps....Mais le frottement de leurs éclats de rire déclenche un feu qui les brûle.
Plus d’Herbes folles. Hé oui !
Le Feu est tellement joyeux de son coup inattendu, lui qui couvait sous sa cendre une vilaine maladie tropicale, qu’il en éclate de braises joyeuses dans tous les sens, à tel point qu’un nuage qui dormait emmitoufflé dans son gros édredon en est réveillé impromptu et se met à hurler des hallebardes d’Eau.
Plus de Feu. Hé oui !
L’Eau tombe avec tellement de hargne que , loin de l’épuiser, cela l’égaye et ses rigoles emplissent les rivières, les lacs. Et elle se mare, en plus..Les Animaux désséchés depuis des semaines se précipitent alors vers ces marigolots et en boivent jusqu’à la dernière goutte..
Plus d’Eau. Hé oui !
Les Animaux sauvages sont tellement heureux de s’être enfin lavés , rafraichis, ébroués en se tripotant par en-dessous, là où les rayons du soleil ne voient pas ce que font les pattes et autres membres apparentés que leur joyeux babil éclate comme un rire puissant dans toute la savane, et attire les hommes et leurs flèches pointues.
Plus d’Animaux. Hé oui !
Mais..mais.......
Ayant fait leurs commissions dans la savane, les hommes festoient toute la nuit, l’alcool de palme coule à flot, les biches tournent malgré elles au-dessus de la braise et un délicieux fumet s’en échappe jusqu’aux deux margouillats.
-Tu ne crois pas que l’on pourrait rentrer, maintenant? dit le plus agé. J’ai une sérieuse petite faim depuis ce matin. On a prouvé notre puissance et notre sens de la stratégie...
-Ca ne va pas la queue? Il faut aller au bout des choses en ce monde. Les hommes vont précipiter leur propre perte. Tu ne vas tout de même pas accepter d'avoir sacrifié pour rien nos amies les bêtes, nos complices l’eau, les herbes et même cette horreur de Sans-Pattes pour laisser les hommes se gargariser de cette succession évènementielle? Patience..
.....
Pendant ce temps, avec une légèreté qui n’a d’égale que la brise du soir, les femmes des uns et les maris des autres se mélangent encore plus que de coutume, et en rient tant, que Dieu le plus Grand, là-haut dans son lit à baldaquin, allume sa lampe de chevet, écoute en bas ce qui se passe , et n’en croit pas ses yeux encore fermés.
-“Hé bé...! Mais qu’est-ce que ce bazar !!! “ marmonne-t-il et il appuie sur le monde comme vous et moi appuyez sur le réveille -matin pour l’éteindre.
Plus de Monde.
Hé non...
Sauf les deux margouillats qui s’étaient bien cachés dans un trou d’anti- matière et ont échappé au carnage et aux décisions unilatérales.
D’ailleurs essayez d’attraper un margouillat, vous m’en direz des nouvelles. Il se dit en Afrique qu’on attrape plus facilement la queue d’un homme que celle de....je m’égare.
Depuis, Dieu s’est laissé aller à construire un autre Monde. Quant à savoir s’il est plus réussi....
Hé Las.