Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

La petite fille qui ne souriait jamais

 



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La chasse avait débuté tôt ce matin là. Une brume épaisse répercutait de proche en proche l’écho à peine assourdi des sabots sur la terre contuse.
Ils dévalaient les côteaux, serrant à chaque fois d’un peu plus près l’escargot géant qui excitait leur convoitise.

La bête ne quittait son repère qu’à pleine Lune, laissant derrière elle une longue et sinueuse trace argentée dont  seuls quelques rares éclaireurs savaient déchiffrer les lettres et qui, au plus léger contact, se transmuait en écus.

Il leur fallait coûte que coûte la capturer et l’enclore quelques jours à ciel ouvert afin de récolter à volonté cette manne inespérée. Puis la relâcher comme chaque lunaison afin qu’elle retrouve son abri sous les feuilles de laitue banian.

Elle, cela ne la faisait pas rire. D’ailleurs, elle ne riait
jamais, pas même un sourire. Perdue dans un monde imaginaire, elle ne rêvait que de ces pays dont on parle dans les livres et où les chevaux sont libres, les colimaçons de taille raisonnables et les hommes intéressés par d’autres biens que l’argent.

Dans sa menotte refermée sur bien des audaces rentrées chantait un grillon. C’était son seul ami. Lorsqu’elle le rapprochait de son oreille, il lui murmurait :

- Nous sommes si bien ici, que veux tu de plus ?
- Je voudrais enfin sourire..
- Le sourire est une décision, sais tu ?
- La volonté ne me suffira pas.. j’ai aussi besoin de
rêves.
- Quels rêves ?

Et elle répondait invariablement

Rêver d’ailleurs si doux
Que la peau des gazelles en donnerait idée.
Rêver de pays sages qui seraient gouvernés
Par des corneilles lentes et de savants hibous.

Il suffirait parfois de très, très peu de choses
Juste un petit déclic, un humble décalage
Pour goûter tout autant l’épine que ses roses
Et aimer le désert vide de ses mirages.

Je ne sens plus ces choses là, ici, il me faut rejoindre un ailleurs. C’est si joli, là-bas...
Et le grillon invariablement lui répondait :

-Tu sais, le pays parfait n’existe pas, l’amour parfait n’existe pas. Quant à goûter l’épine autant que les roses, oui. Mais cela peut tout de même faire très mal... L’épine est le prix à payer. Il pourrait être coûteux. Alors...

Mais elle continuait ses rêveries, bouche scellée sur son refus d’un monde dont la fadeur et les rites  rongeaient insensiblement son âme.
Un matin, elle se mit enfin en route, le cœur gros de quitter ce lieu dont elle n’aimait aucun des angles mais connaissait tous les recoins, le coeur empli d’une espérance confuse aussi.
La marche ne lui faisait pas peur, les pentes indociles, les rivières et leurs gués acrobatiques, les sentiers s’engouffrant dans des combes fuligineuses, les bruissements du vent... Tout lui était familier et lui indiquait les raccourcis dans les bosquets, le chant de naissance du faon, les parades papillon.

Son chemin s’engagea dans des futaies à peine éclairées par endroits par la rousseur des fougères. Ici et là, les derniers champignons de l’automne craquelaient leur mise un peu froissée, leur pied desséché s’acharnant à composer des verticales au milieu d’aiguilles défraîchies.

Se retournant une dernière fois, elle contempla au loin le beffroi, la fourmilière des étals au pied des remparts, la danse losangique des couleurs de la ville au -dessus du donjon.

La nuit venait. Elle était partie trop tard, mais il lui avait fallu attendre la fin du repas de midi, que les hommes et les femmes aient regagné les champs, pour s’en aller sans faire de peine. On ne la retrouverait pas. Et à coup sûr, on ne la chercherait pas trop longtemps non plus. Les homme sont ainsi faits.

Prenant une large inspiration, elle rentra dans l’épaisseur plus dense de la forêt et mesura la solitude.
La solitude, c’est un pas, dix pas, cent pas dans le noir, sans repère, et puis un regard qui s’accoutume, qui vacille parfois, mais surtout la conscience qu’on ne trouvera d’aide qu’en ses propres mains. C’est cela l’expérience de la solitude. La nuit. La solitude. Un pays..

Au bout de quelques heures ainsi, posant la main sur un tronc d’arbre pour aborder le vide un peu plus sombre qu’elle devinait sous ses pieds, elle sentit  battre l’aubier. Palpitations de la nature qui diffusaient en cercles concentriques jusque dans son propre coeur.
Les arbres à cette heures là se penchent spontanément vers tout voyageur. Certains sont emplis de bonnes intentions, d’autres savent se montrer sarcastiques ou même coléreux..

Les ronces rampèrent jusque vers son visage, laissant la marque de leurs ongles sur ses joues poussiéreuses. Les racines s’enchevêtrèrent sur la sente, enfermant ses chevilles dans des nœuds inextricables. Surtout, des centaines d’yeux s’allumaient dans les branches, d’or ou de rivière colorés, parfois venant se coller à l’eau des siens.

Elle désespérait de sortir vivante de ce labyrinthe à la fois sec dans son cœur et humide dans ses faims quand un être tout de blanc vêtu lui barra la route. Sa peau était d’un ocre presque transparent, ses cheveux de feuilles dorées, son pourpoint châtaigne.. Sa longue traîne d’hermine flottant au- dessus du chemin en éclairait toutes les bordures.
Il resta en silence devant elle puis lui tendit la main. Son contact était froid et tendre à la fois, elle sentait dans cette main une assurance jamais rencontrée.

-Je suis l’Hiver, enfant. Tu ne pourra seule sortir de ces broussailles.Demain il fera jour, mais tu as tant et tant marché que tu ne pourras te repérer. Le pays que tu cherches est bien au- delà de cette forêt. Envolons nous ensemble.
Il l’attira contre lui puis monta en flèche vers la nuit. Un peu ivre, elle regardait s’éloigner les lumières, le beffroi, le vieux clocher. Tout lui semblait si inutile désormais..
Dans le ciel le temps déroulait ses heures. Elle vit ainsi courir derrière la lune les chiffres qui avaient marqué sa vie : sa naissance, ses anniversaires, les fêtes du village..
Puis elle s’endormit enfin.

Quand elle s’éveilla,
Aussi blanche que ses doigts
Dans sa main une rose.

Quand on la retrouva
Ses lèvres étaient vêtues
De sourire et de froid.
Et le grillon pleurait..
Il n’est point de rose sans épine.




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S
Que j'aime vos contes :)
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R
<br /> C'est super sympa, si je n'étais absorbée par mon jardin, je me bagarrerais pour els faire éditer, mais faire surgir une fleur de terre<br /> est tellement plus important que faire surgir des feuilles... de papier ;o)<br /> <br /> <br />
M
Comme c'est touchant ! Un peu triste, aussi ! Tant d'épines dans ce monde...Je te partage à propos de rêves, cet aphorisme de Thoreau : "Notre vie la plus vraie, c'est quand nous évoluons dans nos rêves éveillés" (extrait de "La moelle de la vie")Bises
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R
Oui, c'est un peu mon histoire cette petite fille. J'avais en tous cas aimé beaucoup l'écrire.merci de cette phrase d 'un poète que j'aime beaucoup, et à ce soir pour venir te lire ( beaucoup de travail dans la maison et en ce moment suis un peu lente)
L
Décidément, aujourd'hui ne sera pas vain.<br /> Merci pour cette nouvelle lecture dont le titre m'a fit penser à un cnte espagnol que je dirai tantôt<br /> Belle journée à toi<br /> En amitié de mots fulgurants et autres<br /> Lania
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R
Oh, mais pourquoi n'as tu pas mis ton  adresse sur les commentaires conteuses que j'adore???pourquoi? Allez un bon mouvement, et puis non, je t'envoie un mail.bisous
A
les rêves d'ailleurs peuvent tuer aussi bien que la cruelle réalité. J'espère que là où elle est, delle sourit enfin.
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R
oui, Aimela, et c'est pour cela que je fais la différence entre l'ailleursempli d'épinescet inconnu qui nous attireet le là-basattaché aux souvenirsmême un peu blessants... mais dont on est sorti vivant.
O
quels beaux mots!
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R
Et quel gentil commentaire! merci à tous deux...