Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Pour accompagner cette promenade, le prélude de la suite n° 1 pour violoncelle de Bach par Paul Tortelier
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Mercredi dernier escapade en pays d’Albret, berceau du Roi Henry, dans cette région si douce et mystérieuse qui a bercé mon enfance et ma jeunesse jusqu’à dix-huit ans.
Nous devions aller visiter un moulin près de Langon et tout à coup, une envie sans frein m’est venue de retrouver Jautan, les chemins de l’enfance, confronter les souvenirs à ce que pouvait être devenue la réalité.
Nous traversons donc le petit village d’Auros, patrie régionale du foie gras de canard et du magret, et en route pour Casteljaloux. Cette petite ville toute fleurie de tulipiers et de magnolias était placée sous la gouverne du Chambellan d’Henry IV, mais la région recèle bien des richesses antérieures aux constructions du bon Roy.
On a retrouvé à Pompogne une villa Romaine de l’an 300, des tumulus contenant de nombreux sarcophages. Le seul intérêt de ce village - réduit aujourd’hui à deux ou trois maisons en bord de route - réside en son église du XIIIème sur laquelle j’ai toujours vu pousser un pin. Il y est encore, ouf, soulagement, un peu de mon enfance et ses émerveillements est resté en place, l’arbre est un peu plus haut, un peu plus rachitique, mais il est là, sûrement très âgé, on en parlait déjà en 188O… un bonsaï naturel en parfaite affinité avec la pierre.
La campagne est très belle dans cette région qui se situe aux carrefours du Lot et Garonne, des Landes et du Gers. Les forêts sont très vallonnées, couvertes de bruyères en fleurs et de fougères en feu. Le délice est l’apparition subite de ces chemins de sable blanc qui partent sans prévenir en courbes fugueuses, donnant une envie folle de s’y engager comme je le faisais enfant, sans souci de me perdre et de revenir, ou plutôt uniquement soucieuse de me perdre et ne jamais revenir…
Voici enfin la dernière pente, celle que je dévalais en vélo lorsque l’on m’accordait le privilège de faire dix kilomètres pour aller porter le courrier en retard. J’en profitais à chaque fois pour laisser tomber ma bicyclette sur le bas –côté et me rouler dans les aiguilles de pins qui remplissaient les fossés. Je me gorgeais de ces parfums de résine et de bruyère qui me saisissent à l’âme et la gorge comme si c'était hier alors que les mètres qui me séparent de ma maison d’enfance se raréfient.
La voilà enfin...
J'en ai les larmes aux yeux.
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Telle que je l’avais quittée. Imposante et sobre, d’une pierre légèrement violette, ses deux perrons ouvrant sur des pièces dont on ne peut avoir une idée de l’espace, la taille des chaises au dehors donne une idée de la taille des fenêtres, les plafonds faisaient trois mètres de haut.
Tout en haut, les greniers où j’ai construit mille mondes plus vrais que nature, remplis de livres, de bêtes, de fantômes et de ces petites choses qui aujourd’hui encore me paraissent merveilleuses : une ruche entre des volets, un chat-huant, des boites de perles de verre, des boites de craies dont je n’ai jamais retrouvé l’odeur, des arcs et flèches que mon grand père tenait de sa mère Indienne, une harpe qui ne chantait plus mais sur le cadre de laquelle je promenais sans me lasser mes mains en chantant pour elle les notes absentes, des livres surtout, des milliers de livres qui se refermaient sur moi et étaient mes seuls amis vrais.
Le parc est relativement conforme à mes souvenirs, il y manque quelques beaux chênes centenaires mais qui devenaient dangereux, et surtout la futaie de bambous me semble très abîmée par les chevaux qui courent en liberté entre les arbres. Le pays d’Atreyou sous mes yeux…
La maison avait, disait-on dans la région, été construite avec les ruines et sur les ruines d'un petit chateau fort édifié par les troupes de Richard Coeur de Lion, par ailleurs fondateur de la ville de Marmande.
Et de fait, à la belle saison, depuis le grenier on pouvait voir se dessiner sur le gazon du parc un immense rectangle d'herbe plus foncée, avec deux demi sphères au milieu de la ligne la plus longue en face de nous, qui, aux dires des spécialistes venus regarder cela de plus près, signalait la présence d'anciennes fondations d'une de ces buttes militaires construites par le fils de la reine Aliénor.
Juste en face, les « dépendances » qui abritaient des appartements très très rustiques où mes grands-parents se réfugiaient quand l’ambiance tournait au vinaigre.. Elles avaient et ont encore un charme fou, il y faisait si sombre que j’y allais par plaisir, pour me faire un peu peur, me cogner dans des objets qui devenaient des personnages, découvrir de vieux outils dont mon grand-père m’expliquerait l’usage perdu.
J’aimais monter à l’étage, dont les cloisons avaient été abattues et qui me permettaient sur une longueur de plus de quinze mètres de chanter à tue-tête et lancer des vocalises sans fin qui faisaient s’enfuir les hirondelles ou les chauve souris.
Derrière s’étendaient des champs de peupliers entre les herbes desquels nous trouvions des brouettées entières de coulemelles, et puis la grange, le poulailler, la bergerie, la soue, des haies de ronciers sauvages et au fond un puits, accolé à une pierre dont on disait qu’elle recouvrait une terre du Diable.
Faisant partie de la propriété, une chapelle du XIII ème, dédiée à une vierge noire dont la seule évocationme faisait penser au Cantique des cantiques - j'étais à l'époque croyante.
Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem
Comme les tentes de Kédar, les pavillons de Salomon
Ne prenez pas garde à mon teint droit
C'est le Soleil qui m'a brûlée.
Le calvaire était réputé comme étape sur le chemin de Compostelle. Je retrouve en me posant à l’entrée les émois de l’enfance, le silence surtout dans lequel j’aimais à flâner dans ma tête, les alentours d’où surgissait parfois une voiture comme un événement miraculeux et gênant à la fois.
Surtout, des scabieuses aux délicates teintes parme et au port penché, surgissant en toute fantaisie entre des graminées. La chapelle a résisté à toutes les tentatives de restauration, les tombes y sont très anciennes mais après tout pourquoi se battre pour rendre à ce lieu qui est resté magique un lustre d’artifice qui ne nous dirait rien et même plutôt moins de ce qu’il fut à sa naissance ?
Reprenant la route, nous laissons derrière nous une de ces délicieuses fermes landaises en torchis où vivaient nos plus proches voisins. L'économie était de troc. Mon grand père tenait un immense potager et verger, et nourrissait des lapins, poules, pintades, cochons, chèvres, il lui suffisait d'échanger ses productions contre du pain et du lait, on n'avait pas besoin de grand chose, même pas la télé. Juste des livres et le facteur et encore, j'en faisais souvent office...
Puis nous passons au-dessus de la Baïse, cette rivière qui alimente à trente mètres sous le sol le puits de la maison avant de ressortir vers Casteljaloux.
J’ai pris un caillou dans le jardin abandonné de l’Eglise, un caillou incrusté de coquillages fossiles, c’est tout ce qui me reste, comme l'impératrice de Fantasia, ainsi que ces photos de mon enfance enfuie, je vous les offre.
Je sais aujourd’hui que j’y retournerai.
Juin 2006