Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
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Il est temps de partir.
Le vent tourne à la fête et les pontons se cambrent comme les reins affamés d’une chatte en amour.
Le capiston connaît les ressources de sa bête. Un brigantin racé qui n’a peur de personne. Ses hanches sont ribaudes sous la langue des vagues et la pomme des mâts n’a jamais fui l’orage.
Sur le château arrière attendent les officiers, pendant que l’équipage s’affaire de cette hâte humble qui est économie.
Son regard court de la dunette au gaillard, la main rôdant sur la rondeur boisée d’une joue de poulie, vérifiant l’agressivité d’un bec de croc.. Puis glisse avec tendresse sur la lisse mordorée que le sel lui- même se refuse à entamer de ses baisers trop blancs.
Bien sûr, il y a ce bruit qui court depuis peu et tracasse son front. Mais il est homme de raison. La seule chose qui puisse le faire chanceler est le craquement gourmand des pas dans la coursive. Et puis cette douce ébriété que procurent au corps les improvisations de la coque avec l’eau.
Alors, une fois la cargaison à fond de cale, il gagne le balcon et hurle, mains en porte- voix :
Allez, montez voilure
Avez vous terminé
De préparer le spi et serrer les haubans ?
J’ai soif d’une évasion loin de tout firmament.
Allez , que le grand foc se tende…. »
Une machine humaine tire sur les filins, et arrache le vaisseau à ce quai en croissant qui porte nom de Lune. La muraille des hôtels semble sortie du four tant est dorée la pierre.
Mais le vent se fait noir en Golfe de Gascogne.. Lui, retient le mors de la bête qui cogne la vague cavaleuse.
Les bourrasques aigues passent comme un rasoir sur le bateau qui fend d’une audace de bois l’humeur de l’océan.
Qui a pris un jour la mer par gros temps sait la beauté à la fois sourde et sonore de ce dernier soleil qui tente d’arrêter le désastre. Les ors en rébellion contre le vent qui monte et gifle le gréement. Les dernières épées qui se couchent enfin et la chantante victoire du sombre sur le clair.
Eux, sont trop occupés.
Quand elle sort de l’eau, et vient flotter sur eux, ils n’y pensaient même plus.
Il se raconte tant de choses, quand on revient à terre et qu’on lit dans les yeux des gens ce que l’on n’a pas vu alors qu’on y était.
Ils n’y pensaient même plus. Et maintenant, elle est là.
Impressionnante et belle, dans sa hideur aqueuse.
Ses écailles bronze diffusent une lumière étrangère à ce monde, son regard soufré, fendu à la verticale roule en toutes directions, . Son corps de poisson est porté par deux ailes de velours, qui semblent accrochées au ciel par des serres vitreuses.
Elle frôle le mât, puis, comme lançant un défi s’élance vers l’horizon, stoppe brutalement, se relance, s’échappe au lointain, fait machine arrière, attend, provoque.
Sa voilure immense enveloppe les nuages.
La coque du navire, de sa mémoire végétale a senti cette présence hors du connu et la sève lui monte dans les cernes comme moutarde au nez.
Il ne va pas se laisser distancer.
Sans que les hommes puissent faire quoique ce soit, le brigantin organise seul sa course contre le monstre, règle les vergues, saute par-dessus les vagues, se rattrapant de justesse aux crêtes en furie, écumant des embruns, flirtant avec le vide.
Sur le pont , la surprise puis la peur, ont laissé place aux paris.
Le brigantin redresse la tête car il vient de dépasser la Serre, d’une courte longueur, mais elle compte .
Et chacun l’encourage, renversé vers le ciel. Même le capiston, d’ordinaire peu loquace et toujours mesuré regarde les nuées et houspille le monstre.
Mais la nuit tombe plus vite par tempête que jour ordinaire.
Personne n’a vu arriver un penseur de pierre qui n’a d’autre ambition que de rester en place et contempler ses plages.
Personne ne sentira le choc si effroyable qu’il disperse à l’ouragan les débris de chair, de bois, de cris.
Personne n’entendra le roc dire du fond de son hébétude :
« Celui qui regarde trop haut finit par se briser la nuque »