Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Bien sûr
ce n'est pas oeuvre facile d'accès
elle peut sembler rugueuse et âpre
mais quel contentement lorsque l'on vibre enfin à ses phrases où l'humain parle entier sa souffrance
son espoir
ses doutes.
La jeune Fille et la mort est une oeuvre de musique de chambre à la fois célèbre et méconnue, dont j'ai peiné à trouver sur la toile l'intégrale en MP3 à vous offrir. Finalement, j'ai trouvé une très intéressante transcription pour piano qui donnera idée de la féconde puissance descriptive de Franz SCHUBERT
Tout d'abord, vous situer l'oeuvre.
Quatuor en ré mineur opus posthume D 810, écrit en quatre mouvemens à partir de la matrice d'un lied très court, très sobre et... rarement chanté.
Schubert, c'est le balancement permanent entre l'hiver et le printemps
entre la joie et la mélancolie
entre l'ombre et la lumière
comme chacun de nous finalement, et c'est en cela sans doute qu'il parvient à tous les coups à nous toucher aussi profond.
La mort était pour lui la seule consolation (nous sommes en pleine période romantique) à des amours impossibles avec des jeunes filles en fleurs, lui le plus petit que les autres, lui atteint à 22 ans par la maladie vénérienne, lui qui aimait les filles de joies et de peines.
Ce quatuor a été achevé en 1824, alors que le compositeur avait à peine 27 ans et devait mourir quatre ans plus tard.
Il fait suite au très long cycle de la Belle Meunière et prélude aux symphonies. Tout Schubert est là, dans cet intense qui se décline de couleurs grises, dans cet amour de la note pivot qui fait basculer d'un climat à l'autre.
Faute de mécènes, il sera joué dans un cadre très privé et jamais publié de son vivant. Quelle peine lorsqu'on voit ( et surtout entend...) la médiocrité de ce qui est aujourd'hui diffusé à échelle planétaire...
L' ensemble de ce quatuor est construit autour de la tonalité implacable de ré mineur, rattachée à l'idée de la mort pour Schubert et bien dans l'esprit du lied "der Tod und das Mâdchen" composé en 1897, dont voici le texte:
"Va-t-en - Ah va-t-en
loin de moi squelette cruel
je suis encore jeune, laisse-moi
ne me touches pas, chère mort.
Donne-moi ta main, toi belle et tendre
Je viens en ami non pour te punir
Sois courageuse, je ne suis pas cruel
Tu dormiras apaisée dans mes bras."
Les quatre mouvements questionnent les pourquoi de l'existence, dans un climat de tension qui ne connait que de rares éclaircies. A noter que la mort en allemand est du genre masculin, d'où la phrase " Je viens en ami".
En cliquant sur les titres des mouvements surlignés ci-dessous vous pourrez entendre de très courts extraits d'une version pour quatuor à cordes.
Si je puis me permettre une publicité, l'interprétation du quartetto Italiano reste - pour moi - la plus flamboyante.
Le thème principal est d'emblée incisif, mordant, presque agressif, en deux phrases courtes suivies d'une brêve suspension, entrée en matière qui interroge là où la forme quatuor n'osait jamais - jusqu'alors - que s'inviter poliment. Elle sont étonnantes ces questions qui tirent vers le bas, vers la terre, vers la tombe, et ces débuts de réponse qui tentent de s'élever dans la sérénité mais que l'ombre rejoint à chaque fois plus insistante
Ce thème repris sous différentes formes, courant d'un instrument à l'autre va envahir tout le mouvement puis s'opposer à un second thème plus doux, mais qui va insidieusement se noircir lui aussi jusqu'à la fin.
Le mouvement que je préfère.
C'est le lied originel avec son rythme obsédant de blanche- noire/noire - blanche, qui donne son motif à l'andante. Il débute comme un Choral, sur une succession d'accords plaqués. Ses cinq variations transcriront les principaux éléments narratifs du poème: rencontre avec la mort, rebellion, acceptation, fusion puis l'anéantissement. L'extrait ci-dessus est la première variation.
Scherzo
Tout de syncopes , comme si le pas était sans cesse au bord de la chute. Vient le bref apaisement du trio dans lequel on retrouve cette note d'optimisme, presque printanière avec ses trilles et ornements d'oiseaux, qui fait le caractère très particulier de la musique de Schubert, toujours cette envie de dépasser la nuit. Mais elle le rattrape vite, de sa marche à la fois forcée et trébuchante, au tempo inéluctable.
Le finale est habituellement joué sans interruption avec le mouvement précédent, comme si la course vers la mort s'accélérait soudain.
Ici tout n'est que galop, ce qui n'est pas sans rappeler la course aux enfers du Faust de Berlioz dans la trop peu jouée Damnation de Faust dont je vous offre l'air d'amour le plus incandescent de tout le répertoire lyrique:
merveilleusement interprété par Susan Graham.
Voici donc, dédiée à Jean-Pierre qui je crois aime beaucoup cette oeuvre, la version intégrale du quatuor La Jeune fille et la Mort, transcrit pour le piano par un très jeune pianiste Suisse, Fabrice Liardet.
Il regrette pour ses auditeurs les défauts inhérents à une prise de son " d'amateur ", d'un seul tenant, sans interrompre pour rattrapper artificiellement une note ratée, sans ces retouches qui sont la marque de fabrique des produits vendus à grande échelle.
Pour ma part j'adore ces petits accrocs par ci par là, qui baignent de générosité, d'enthousiasme, et sont si proches de la vraie vie, de l'interprétation en temps réel...
Certes la version pianistique ne m'offre pas le raclé, le rugueux, le sentiment d'une peau écorchée vive de certaines attaques de l'alto ou des violons à l'unisson, les pizzicatti de biche du violoncelle, elle permet d'entendre toutefois ce que souvent le souci exagéré du legato professé par certains quatuors à cordes ne permet pas d'entendre: toutes ces voix contradictoires et complémentaires pourtant qui sont l'humanité en un seul être.