Le Chant des oiseaux ( le lien conduit à la partition intégrale), pièce magistrale à quatre voix et en quatre parties peut être lu et surtout écouté de plusieurs manières et d'ailleurs le compositeur nous en avertit lui même d'entrée:
Pour vous mettre hors d'émoi destoupez ( débouchez ) vos oreilles.
Autrement dit, sauf à se rendre droit au sens caché en ouvrant les oreilles, nous risquons de prime abord d'être émus, choqués. Qu'est-ce qui nous attend?
- Une explosion ornithologique, Janequin jonglant en virtuose avec les onomatopées imitatrices citant tour à tour la petite grive ( roy mauvis) le merle, l'étourneau, le sansonnet, le rossignol, le coucou. Les chansons reproduisant celui de nos amis ailés étaient chose courante en ce XVème siècle aussi bien en France qu'en Italie avec la caccia et Pierre Belon, dans son Histoire de la nature des oyseaux, ( pour les amoureux de livres anciens, la version originale mise en ligne ), Pierre Belon donc témoigne du caractère érotique de ces chansons populaires tout en rendant hommage à celui qui aura le mieux su imiter et magnifier leur chant, notre querelleux Clément. - Une invitation à l'amour bien de saison en ce mois de May à travers un vocabulaire sans ambiguité et le jeu des assonances. J'ai vérifié l'origine des mots relatifs à l'amour charnel, ils sont tous antérieurs à Janequin qui par ailleurs était plutôt porté sur la chanson érotique. Ces phrases prennent tout leur sens coquin lorsqu'elles sont écoutées plutôt que lues. Voici le texte original tel que publié chez Pierre Attaingnant en 1528.
Vous interpréterez vous-même certains de ces vers ou certaines sonorités évocatrices( répétition de la phonème vi ) . Juste quelques précisions.
Le vers " Le petit mignon, saincte teste dieu " est à double sens. Un mignon est au XVème un amant (et pas seulement un favori efféminé) et on entend: " Le petit mignon, sein te tête d'yeux " . Le vers " Il est temps temps temps au sermon ma maîtresse " ( tends tends tends ô serre mon... ma maîtresse) est suivi à plusieurs reprise du mot saint qui phoniquement appelle le mot sein, les mots coquette désignent une galante, le verbe caquetter signifie se pavaner. " A saint trotin voir saint robin " est un vers énigmatique, trotin désignant les pieds d'une personne, robin un homme de robe. De toute évidence un conseil de prudence et de discrétion: l'apparition de certains pieds laisse présager de la robe qui suit... " Montrer le tétin, le doux musequin " est sans ambiguité. ( Accessoirement la muse était la période du rut du Cerf) " Rire et gaudir ( jouir) c'est mon devis ", là encore sonorité allusive. Le Fouquet était un jeu en vogue à la fin du Moyen âge, en relation avec le feu. Rabelais en fait mention dans son Gargantua mais on sait aussi que le mot fol a été remplacé progressivement par le mot fou entre le XIème et le XVème siècle. La répétition du mot Fouquet finit par donner une inversion signifiante: Qu'est fou qu'est fou qu'est fou... Folie amoureuse? Ou allusion au tarot alchimique?
( suivez ce lien qui décortique Rabelais) Nous y reviendrons.
Cela n'a jamais été fait à ma connaissance mais la lecture à l'envers de certaines répétitions et juxtapositions de phrases réserve bien des surprises. Le délicieux " Arrière maître coqu " ( coucou, prononcé cocu ) peut se lire aussi bien comme une menace à cet oiseau qui niche dans les nids des autres que comme ... comme vous l'entendez ;o) La répétition coqu accelerando est elle aussi très allusive. Mais on peut essayer - Une troisième lecture, alchimique cette fois ci, et point aussi satirique que ce Concert dans l'Oeuf de Jérome Bosch L'oiseau étant le volatile qu'il faut fixer. La grive ( le roy mauvis) symbolise le commencement du voyage de l'âme. Le Merle, oiseau noir ( comme l'Oeuvre alchimique du même nom ) et oiseau siffleur par excellence évoque le sifflement de tout métal porté au rouge. En outre le mot se décompose ainsi : Mère ( Atahanor ou Mère de la pierre) traversé par la lettre L qui symbolise la foudre divine. Les étourneaux donnaient leur nom aux alchimistes se rendant de nuit en petits groupes à leurs réunions pas tout à fait secrètes Le rossignol, oiseau des amours est aussi le symbole de la langue des oiseaux utilisée par les alchimistes, signifiant eros signal Le reversement du mot Fouquet en " Qu'est Fou " indique-t-il que Janequin se comptait parmi les Alchimistes de son temps? On sait que le Fou (ou le Mat) dans le tarot, introduit en Europe en 1470, indique celui qui a accompli le grand oeuvre.
La construction en quatre parties pourrait désigner les quatre temps de l'oeuvre alchimique: Réveillez-vous coeurs endormis: purification Vous serez tous en joie mis: Dissolution du sujet jusqu'à ce que ne reste que l'universel ( tous) Rossignol du bois joli... Hors de nuit: solidification par l'amour vers l'aurification. Fuyez fuyez pleurs et soucis: combinaison nouvelle, l'état initial étant enfui. Précisons que selon Michela Pereira, " Dès le milieu du XIVe siècle, l'art alchimique a connu quelques changements majeurs, qui touchent à son statut épistémologique ainsi qu'à ses stratégies rhétoriques. C'est justement à ceux-ci que se rattache, dans l'iconographie de l'alchimie, l'apparition de l'image du cœur. Encore faut-il préciser que cette image n'est pas à ranger parmi les métaphores d'origine biologique ou médicale, que l'on trouve employées dans les textes contemporains sur l'élixir, afin de représenter les procédés de l'opus. Le cœur illustré dans le cycle de l'Aurora Consurgens est plutôt le symbole de la quintessence, principe occulte qui gît à l'intérieur de la matière dont il est le centre vivifiant: dans cette qualité, il se situe à l'origine aussi bien des processus qui président à la formation naturelle des corps, que des moyens qui rendent possible leur transformation alchimique . " On voit donc l'importance du mot coeur... au coeur de ce poème. Le dernier couplet, très véhément dans ses répétitions recto-tono comme le sont les cris de certains oiseaux lorsque l'on dérange leurs occupations, s'en prend aux coucous. S'agit-il de ces hommes de robe trompeurs dont on devine le trotin sous le robin, traîtres à un savoir séculaire obligé de se cacher pour survivre ? On entend bien que Janequin, qui était un grand procédurier et qui mourut pauvre à force de procès contre son frère, désigne ici une ou quelques personnes qui tiennent mal leur chapître et pondent leurs oeufs ( philosophaux) sans qu'on le leur ait demandé.
La cour de François 1er, quoique celui-ci ait pris pour emblème la salamandre, ne s'entourait pas d'alchimistes et de mages. Pourtant ces derniers étaient très présents dans Paris, comme en témoigne cet ouvrage de Zecaire en 1560.
Alors...? Apologie de l'Alchimie ou tout au contraire, et sous des dehors qui lui empruntent la symbolique et la forme, charge virulente contre certains prêtres traîtres à leur foi et qui versent dans une quête que réprouve Janequin? La probable conversion de Janequin sur la fin de sa vie à la religion huguenote, la tonalité générale de la chanson et ce dernier paragraphe très violent font pencher vers la seconde hypothèse, et ce d'autant que selon le superbe dictionnaire de Godefroy mentionné plus haut relativement au fouquet, le mot " cocu " signifiait " cornu " ( diable) et était associé au... chaudron.
Polyphonie subtile et construction rigoureuse, quasi mathématique avec cependant la légèreté et l'allant de la poésie, mises au service d'une polysémie extrêmement riche, voire cryptée mais dont l'élucidation reste hypothétique. Je vous propose d'écouter cette oeuvre dans une première interprétation très classique dont la pulsation très rigoureuse permet d'entendre - si vous m'autorisez de continuer dans le style grivois - les différentes parties et leurs frottements. Le chant des Oyseaux
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La version de ce Chant par l'ensemble Clément Janequin.
la voix nasillarde du sopraniste me vrille les oreilles mais bon...
Elle présente d'indéniables qualités d'approche esthétique et historique
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Les chansons de Janequin furent souvent transcrites pour instruments seuls
voici donc la version instrumentale pour orchestre de La bataille de Marignan dont Noël du Fail écrivait:
" Quand l'on chantait la chanson de la guerre faite par Janequin pour le grand François, pour la victoire qu'il avait eue sur les Suisses, il n'y avait celui qui ne regardât si son épée tenait au fourreau, et qui ne se haussât sur ses orteils pour se rendre plus bragard et de la riche taille."
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/BatailleJan.mp3& Par l'ensemble Clément Janequin
quelques extraits de chansons