Si l'influence formelle de l'Antiquité est indéniable dans les domaines de l'architecture, de la peinture ou des arts décoratifs sous la Renaissance, pour des raisons évidentes la musique échappe définitivement à tout catalogue. En effet, aucune oeuvre musicale de l'antiquité n'a survécu hors les lourds traités d'esthétique et de notation. Celles dont nous avons retrouvé trace récemment tiennent sur un bout de papier...
Penser l'époque musicale dont il est question ici en référence à des techniques, sonorités, orchestrations de l'Antiquité conduit donc à une impasse - même si les poètes tels Ronsard ou Baïf fondèrent une académie réunissant poètes et musiciens, texte et instrument, à l'instar des Académies Grecques - il n'y eut aucune Renaissance musicale parce que tout simplement (contrairement aux autres arts) il n'y eut aucune rupture stylistique majeure en matière de musique entre le Moyen-Âge Européen et les débuts de l'époque Baroque.
Nous parlons donc de musique DE la Renaissance pour qualifier cette école franco-flamande dans ses déclinaisons successives.
L'école de Munich constitue de ce point de vue l'apogée de ce mouvement très fluide et polymorphe qui a voyagé du milieu du XVème siècle à la fin du XVIème dans une Europe tourmentée mais vivement créative. On y voit considérablement progresser les technologies, s'élargir le monde, s'installer de nouveaux rapports entre citadins et paysans, clercs et laïcs.
Cette époque de naissance de l'Humanisme est rapidement marquée par le fractionnement de l'église catholique.
En 1517 Luther a déjà entrepris de la réformer. Quelques quarante ans plus tard éclatent les guerres de religion qui saignent le Royaume de France. Nous en connaîssons tous une date de sinistre mémoire:
Massacre de la Saint-Barthélémy (23-24 août 1572)
Peinture sur bois de François Dubois (1529-1584)
La création musicale au demeurant féconde suit les injonctions des théologiens. Luther a très bien compris que le chant favorisait l'apprentissage collectif et la participation active des fidèles à travers des oeuvres issues bien sûr de chants sacrés mais aussi des danses et chansons populaires. Ainsi naissent en Allemagne les chorals auxquels le grand Jean-Sébastien Bach donnera lettres de noblesse.
Calvin de son côté n'accorde aucune bienveillance à la pratique musicale.
Mais les deux hommes opèrent une vraie révolution: la langue des oeuvres religieuses
ne sera plus le latin mais la langue que parle et comprend le peuple.
Ce bouleversement est d'une importance capitale car si les princes financent des " chapelles " au nombre conséquent de musiciens et chanteurs, les bourgeois et marchands n'ont souvent à leur disposition que leur oreille, leur voix et parfois un luth ou une flute. Cela ne les empêche pas de vouloir imiter les grands de ce monde, jouer en famille ou entre amis.
Les textes des chansons écrits dans la langue de chaque jour et sur des mélodies aisément reconnaissables se laissent plus facilement mémoriser. La pratique musicale va connaître un essor et une démocratisation considérables.
Cela va constituer un ferment formidable pour les formes musicales qui vont, sous les doigts des " amateurs ", s'affranchir de leurs modèles primitifs. Nous y reviendrons dans deux autres volets relatifs à la genèse des danses de la Renaissance et celle de la musique instrumentale.
Portrait de Calvin
S'ils avaient pu être tentés par la Réforme et ses propositions d'équité et de transparence, les compositeurs de l'époque en sont pour la plupart détournés par ses exigences de modestie créatrice. D'où le caractère quasiment militant des oeuvres écrites par les musiciens de la Contre-Réforme, pour laquelle s'enthousiasme Roland de Lassus.
Et puis... il faut bien vivre ! Ce sont les princes, non les moines, qui rémunèrent les artistes !
Né en 1532 à Mons dans le Hainaut (Belgique), Roland de Lassus est un enfant si doué que, très jeune, il intègre la manécanterie de Mons. Il y restera jusqu'à l'âge de 12 ans.
L'année de sa naissance débute la construction de l'église Saint Eustache à Paris, monument étonnant dans ses projets initiaux et évolutions. Ceci pour donner idée de la manière dont les styles se superposaient:
Roland grandit. Après avoir été enlevé trois fois au moins par des amateurs de jolies voix enfantines assez généreux pour le rendre aux églises dont il dépendait, il suit en Italie le Duc Ferdinand de Gonzague, général de Charles Quint.
L'Empereur qui était grand mélomane ne savait se passer de ses pages musiciens et c'est ainsi qu'Orlando va parcourir l'Europe et y apprendre son métier. Mantoue, Fontainebleau, Milan, Naples, Rome, puis une fois devenu adulte l'Angleterre dont il est expulsé pour suspicion de complicité à un projet d'attentat sur les personnes royales. La France de nouveau puis Anvers où il noue de durables et amicales relations avec l'éditeur Tylman Susato.
Enfin Munich où il est engagé comme chantre du duc Albert V de Bavière. Il prend la direction de la chapelle ducale en 1560 et la gardera jusqu'à sa mort. Il se consacrera dès lors uniquement à sa charge et à la composition. S'il ne nous reste de son oeuvre aucune pièce pour orchestre seul, les témoignages de l'époque, tel le tableau ci-dessous de Hans Mielich
ou celui de Massimo Troiano nous confirment que Lassus posa les fondements de l'orchestre de chambre moderne. La prestigieuse chapelle ducale de Bavière était constituée en effet de plus de cinquante chanteurs et d'un ensemble instrumental comportant violes, flûtes, hautbois, cornets, trombones, luths, épinettes, régales. Lassus savait choisir ses solistes aussi bien dans la masse des chanteurs que celle des instruments dont il travaillait, dit-on, les effets avec grand bonheur. Difficile de consacrer un article à un tel personnage sans cumuler les oublis. Vous trouverez ici une biographie et un détail de ses oeuvres.
Ce surdoué qui se disait lui-même fou était un grand mélancolique dont la correspondance nombreuse atteste de crises répétées tout au long de sa vie. La fin de celle-ci sera consacrée à la musique religieuse et ses lieder sacrés se rapprochent beaucoup alors de la forme des Chorals protestants.
Il restera dans l'histoire de la musique celui qui a su concentrer dans son oeuvre le meilleur des écoles flamande, française, italienne et allemande. Plus de deux mille oeuvres à son actif, parmi lesquelles cent quarante et une chansons françaises dont les librettistes étaient tenez-vous bien: Alain Chartier, François Villon, Marot, Ronsard, Du Bellay ou Baïf.
Sa plume légère et inventive forgée à l'esprit du madrigal assouplit le contrepoint franco-flamand, aère le style en imitation continue, se joue des possibilités du chromatisme et du figuralisme afin de rendre au mieux les thèmes dramatiques vers lesquels le portaient son inquiétude secrète, sa hantise du destin et de la mort.
Lassus quitte ce monde l'année même où un gascon qui fut sans doute un de nos plus grands chefs d'état devient, après bien des renoncements et changements de cap, roi de France. Avec Henri IV une période de paix s'annonce... enfin.
L'autre figure marquante de ce dernier volet est l'éditeur flamand Tylmann Susato.
Astucieusement, il mélange ses propres compositions à celles des auteurs parisiens et flamands de son temps. Mécène au goût très assuré, il assure la promotion de Janequin et Roland de Lassus ( entre autres). Cela lui vaut un retour de flamme tout à fait justifié de nos jours car cet imprimeur qui savait saisir le sens du vent et caresser l'Ego des puissants était triplé d'un excellent luthiste et orchestrateur de génie.
Mais place à l'écoute!
Afin de rééquilibrer cet article qui parle beaucoup de religion, je ne vous offre que de la musique Profane.
Roland de Lassus par le groupe Clément Janequin
La nuit froyde et sombre
La terre et les cieux y sont dépeints avec une lenteur étale par des phrases situées dans le grave ou l'aigu. On y a parfois l'illusion saisissante d'entendre un orgue.
Les retards et dissonnances créent un sentiment d'inquiétude.
Le changement de rythme dans la seconde partie annonce la naissance du jour.
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Quand mon mary vient de dehors
Polyphonie dans le style parisien sur le thème éternel du vieux mari jaloux et sa jeune épouse. Chant proche du parlé. Les rythmes et syllabes qui se télescopent donnent idée des coups qui pleuvent...
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Matona mia cara
version instrumentale de Susato
exemple franco flamand de Frottola
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Tylmann Susato
par le somptueux équipage de Jordi Savall
La Bataille
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La Mourisque
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