Voici un résumé incisif et qui dit tout: Architecte de sa vie, jardinier avisé de ses biens, grand ordonnateur de la musique et des ballets de cour, tel fut Jean-Baptiste Lully.
Et ce ne sont pas les lamentables éructations de J-J Rousseau qui parviendront à titre posthume à faner son style rigoureux et d'une rare élégance.
" Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas suceptible; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue; que l'harmonie en est brute, sans expression, et sentant uniquement son remplissage d'écolier; que les airs français ne sont point des airs; que le récitatif n'est point du récitatif. D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et ne peuvent en avoir, ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux."
Oui, vous avez bien lu, c'est l'auteur du Contrat social qui a proféré de telles inepties!
Gravure du XVIIIème , Voltaire et Rousseau
Pourtant, s'il est un pays et un siècle dans lesquels la musique est vivante en tous lieux et toutes classes sociales, c'est bien la France de Louis XIV!!
Les " Maistres musiciens des villages " sont alors rattachés à la confrérie de Saint-Julien des Ménestriers et le chef de celle-ci est un musicien du roi. Tout durant le siècle qui verra une lente professionnalisation des métiers de la musique et de la danse, celles-ci resteront très puissamment nouées à leurs origines paysannes. Lully tombe d'ailleurs littéralement amoureux des danses régionales françaises. C'est lui qui va patiemment en codifier les pas et les rythmes, accorder une place prodigieuse au sein de ses oeuvres à ce que la cour méprisait parfois... un peu et sauver de l'oubli ce patrimoine musical et chorégraphique mûri dans nos campagnes.
La querelle des Bouffons
qui opposa tenants de la musique italienne
aux défenseurs de la musique française - dont fut le grand Voltaire
sans doute déçu une fois de plus de la piteuse prestation de Rousseau -
est bien loin.
Lully nous reste. Vous trouverez ici et là de belles biographies.
Probablement " séduit " alors qu'il était enfant par Roger de Lorraine, il quitte son Italie natale et son avenir de meunier ( déjà doué pour le violon, la guitare et la danse ) pour rentrer en 1646 au service de Mademoiselle de Montpensier. Jeune page dévoué il lui enseigne l'italien puis traduit quelques poèmes écrits par le Roi.
Louis, conscient des dispositions exceptionnelles de l'adolescent, lui fait prodiguer un enseignement musical à la hauteur de son talent. Ce jeune homme à l'énergie pas ordinaire rénove rapidement la bande des Petits Violons . A cette époque, les musiciens ne se gênaient guère pour broder de manière très fantaisiste sur les partitions qu'ils devaient servir. Lully y met bon ordre et très vite le Roi s'éprend de ce petit orchestre de chambre et de son jeune chef intraitable et cependant d'une gentillesse toute méridionale.
Lors de la représentation du ballet La Nuit, le Roi Soleil est tout simplement ébloui par ce gueux vêtu d'ombre qui lui donne la réplique... et qui n'est autre que Lully, âgé de 28 ans. Il est temps pour lui de demander sa naturalisation; elle lui est accordée.
Louis XIV adore danser et chanter et Lully, qui adore son roi, va en faire le Soleil du royaume musical et théâtral de son temps. Cela tombe bien, le jeune roi de France a compris que l'opéra et le ballet peuvent être de formidables outils de propagande de son auguste personne. Les costumiers de scène vont s'en donner à coeur joie: La bonne société d'alors ( et sans doute au-delà de la " bonne société ") est parfaitement et par immersion culturelle au fait de la symbolique des couleurs ou des formes. C'est en s'appuyant sur ces codes muets magnifiquement orchestrés par son Superintendant de la musique que le Roi va patiemment construire son personnage de droit divin, tour à tour séduisant ou intimidant...
La suite nous est connue et en premier lieu sa collaboration avec Molière puis la création de la première troupe professionnelle d'opéra telle que nous la concevons aujourd'hui: Orchestre, solistes, choeurs et corps de ballet permanents dont Lully supervise les moindres gestes et choisit avec soin les artistes qui les composent.
Il faut dire qu'il excellait en tout: la guitare, le violon ( dont il jouait volontiers en soliste lors des représentations de ses oeuvres), le clavecin qui était son instrument de compositeur, la comédie, la danse, la chorégraphie, la direction d'orchestre, la mise en scène et même le chant.
Il révolutionne le violon et la musique d'ensemble en inscrivant le " coup d'archet " au coeur de la partition même. C'est le premier violon qui indiquera désormais aux violonistes du rang et à tout l'orchestre le départ de la phrase musicale et si l'archet attaque la corde par en bas ou par en haut!
Homme généreux et avisé, il paie sur ses deniers personnels l'entretien de l'Opéra royal de Paris. Cette fonction qui parfois lui donnait grand souci ne l'empêche pas de mener de front ses divers engagements: direction de l'Académie Royale de Musique, création annuelle de ses opéras, composition de ballets ou motets, fonction de Surintendant de la Musique de la Chambre qui mettait en valeur ses compétences tant administratives qu'artistiques, recrutement des acteurs, chanteurs, danseurs, instrumentistes, présidence des répétitions, direction des représentations. Le tout en écoutant les conseils qu'on lui donne car cet homme de grand caractère et d'intelligence aigüe savait déléguer et plier même lorsqu'il se trompait.
Pour exemple, il confiait les yeux fermés à son secrétaire, Collas, ( on dirait aujourd'hui " assistant ") le soin d'écrire l'orchestration de ses oeuvres. On a retouvé très peu de manuscrits complets de Lully mais leur facture atteste qu'il se contentait souvent de donner la mélodie, la basse, la mesure et l'esprit de la pièce qui devait être orchestrée. Nous devons à Lully et à son secrétaire la " balance " entre les parties à cinq voix des cordes et les trios d'autres pupitres. Ils ont tout simplement inventé l'orchestre moderne, dans une recherche constante d'équilibre de couleurs et de puissance narrative instrumentale.
C'est sur l'influence de Molière que peu à peu il abandonne le ballet de cour pour des oeuvres dramatiques où la musique s'insère dans la narration. Mais toujours il restera fidèle à cette ouverture à la française qui est son invention et au déroulement des danses françaises à titre narratif ou d'intermède.
Venons en à sa musique... Je vous en offre beaucoup car celle de Lully ne cesse de m'émouvoir et je voudrais réparer le discrédit injuste dont elle est frappée depuis cette Querelle des Bouffons. Sans doute est-ce le prix à payer pour ce despote de la musique française qui fit la pluie et le beau temps sur ses confrères malheureux tels M-A Charpentier.
L'opéra de Lully est d'une construction très codifiée. Il comporte:
- une ouverture qui alterne mouvements lents et rapides
- un prologue qui fait l'éloge du roi
- des airs et choeurs sans trop d'ornements, entrecoupés de récitatifs qui suivent très rigoureusement le texte
- des ballets utilisant la suite de danses villageoises
- des pièces " à programme " qui mettent en valeur l'orchestre et aussi la machinerie.
Pour revenir à l'ouverture à la française, écoutez cette alternance de rythmes lents et rapides, elle fera le bonheur de Purcell, Bach, Haendel et bien d'autres ... Car en ces temps où le disque n'existait pas, la meilleure manière de faire aimer une oeuvre et que le souvenir en soit marqué était d'user et abuser des reprises. Lully le fait ici avec talent et jubilation:
Ouverture d'Armide
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Comme elle chante, comme elle se fait ronde cette langue française si méchamment stigmatisée par notre philosophe genevois dans cet air d'Armide où la voix est soutenue avec légèreté par l'orchestre: Plus j'observe ces lieux...
Air d'Arnaud
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Que seraient la symphonie ou le concerto sans cette invention géniale de Lully: développer de longues plages instrumentales descriptives et expressives entre les airs et récitatifs et faire dialoguer un violon, instrument encore mal aimé des français, avec le reste de l'orchestre dans le ballet des Muses.Vous remarquerez ici des références au figuralisme du Moyen-âge et de la renaissance, avec ces phrases qui tentent de s'élever, demi-ton par demi-ton et souvent retombent, comme disant la difficulté avec le trop indiscret amour.
Cet élan rompu qui toujours ramène au sol est un peu la marque de Lully, sans doute une mélancolie qu'il se cachait et parvenait à cacher aux autres. On n'est pas enlevé à ses racines sans le payer dans son âme...
Ballet des Muses, Trop indiscret Amour
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Sans Lully nous aurions peut-être à jamais perdu ces danses devenues classiques et qui étaient avant tout danses de villages:
La Bourrée, danse poitevine et auvergnate dont voici celle écrite pour le Mariage forcé:
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La Gavotte, issue des bransles bourguignons, poitevins et bretons. Musique tendre, gracieuse et mouvementée
Gavotte de Triton dans l'opéra Phaéton
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La Sarabande, danse lente venue d'Espagne et dont voici deux interprétations qui se tiennent
Premier air des espagnols du Bourgeois Gentilhomme:
Avec castagnettes de rigueur:
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/1-07_Le_bourgeois_gentilhomme_LWV_43__1er_air_des_espagnols.mp3&
Sans castagnettes mais quel mélisme sous les doigts de Jordi Savall...
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La danse des sabres qui s'apparente à la gigue. Tous les peuples du monde ont leur danse des sabres ou des épées, dansées par les hommes avec coups de talons et travail précis de la pointe du pied pour faire reculer l'adversaire. On retrouve d'ailleurs pratiquement toujours, quels que soient les lieux, la même fougue, le même rythme ternaire, les mêmes sauts...
Le Bourgeois gentilhomme, 4ème air pour les coups de sabre
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Le Menuet qui, comme son nom l'indique, était dansé à pas menus. Originaire du Poitou, ce fut la danse la plus utilisée par Lully, d'où la remarque de Victor Hugo qui entame cet article: Menuet d'Alceste
( j'ai le sentiment que le luth et le clavecin étaient un peu perdus mais cela a son charme et surtout... quel souffle dans la pulsation intérieure! )
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Et pour clore ce long concert, toujours dans le Bourgeois gentilhomme
cette magnifique
Danse pour la cérémonie des Turcs
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Notre pauvre Lully mourra fort riche mais délaissé par son Roi adoré. Ses relations avec de jeunes pages déplaisent au souverain que Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon, a converti à une vie plus sage. Cette disgrâce lui meut le caractère qui devient coléreux et c'est des suites d'un coup de son bâton de chef d'orchestre agacé sur son propre orteil qu'il disparait le 22 mars 1687, atteint par la gangrène.
Cet amoureux des grandes machines spectaculaires qu'il contribua grandement à faire évoluer en technicité, toutes mises au service du rêve, de la fantaisie et du plaisir, ce chercheur du spectacle total nous laisse une musique admirable d'équilibre et de noblesse qui sera écoutée de fort près par un tout jeune anglais, Henri Purcell. Autre histoire...