Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Il était une fois un tout petit royaume aux terres très pauvres et dirigées avec distraction par un marquis au nom de Christian Ludwig, margrave de Brandebourg. Qui aurait pu imaginer que ce petit royaume et son prince distrait laisseraient trace dans l'univers musical ? Et pourtant...
Un jour de 1719, le margrave rencontra dans sa bonne ville de Berlin un musicien qui venait y chercher un grand clavecin pour son propre royaume. L'altesse sans doute conquise par ce " diable d'homme " lui passa commande de musique. Commande imprécise bien sûr.
Si le marquis de Brandebourg oublia très vite sa demande, il n'en fut rien de Bach qui au cours des deux années suivantes, pourtant marquées par la disparition de sa chère Maria Barbara, réunit quelques concertis et des pièces éparses composées à Weimar et les retravailla d'arrache notes. Puis les envoya au Prince avec une dédicace d'une humilité rare et rédigée en français comme il se devait à la cour de Berlin. La France rayonnait alors ...
Il semblerait qu'il n'en ait jamais reçu paiement ni même remerciement... Cela importait-il à Bach qui, à la cour de Köthen, recevait un salaire deux fois supérieur à celui de ses prédécesseurs ? Oui, sans doute. Le prince de Köthen était sur le point de se remarier avec une jeune femme totalement fermée aux arts et jalouse de son intimité complice et musicale avec Bach. Il n'est pas impossible que Bach ait espéré, en vain, se placer pour un futur poste à Berlin. C'est donc à Köthen, ville toute vibrante de curiosité, que furent créés les six concertos Brandebourgeois avant de s'envoler vers la postérité.
Loin de la palette uniforme et douce de cette toile de Daniel Nikolaus Chodowiecki, célèbre entre autres pour sa gravure d' une antique porte de Brandebourg, les concertos du même nom sont foisonnants de couleurs.
Depuis longtemps Bach recopiait tout ce qui tombait sous sa plume. Une vingtaine de concertos de Vivaldi, de Telemann, de Marcello furent ainsi transcrits de sa main pour le clavecin et l'orgue. Il s'y imprègna seul, en autodidacte qu'il était, à la forme toute neuve du concerto italien qui le charmait de son équilibre. Il en adopta pour ces Brandebourgeois la structure en trois mouvements ( hormis le concerto n° 1 qui en comporte quatre) : un mouvement lent encadré de deux sections rapides.
L'Italie était considérée comme le pays moderne en matière de musique et Bach, en homme de la réconciliation entre le passé et son époque et en compositeur prolifique, ne voulait pas être en reste. Son chef-d'oeuvre en six concertis est donc probablement tout ce qui nous est parvenu de pièces innombrables du même genre et hélas perdues.
Ce ne sont ni des concerto grosso, ni des concertos à plusieurs solistes mais des pièces à l'architecture et aux desseins toujours inédits, utilisant les oppositions de timbres ( trois cors, deux hautbois et un violon dans le concerto n° 1) les oppositions de masses et pupitres ( trois violons, trois altos, trois violoncelles dans le concerto n°3 ) ou les oppositions de quelques instruments spécifiques au reste de l'orchestre mais aussi entre eux ( une flute, un violon et un clavecin dans le concerto n° 5). D'ailleurs chacun de ces concertos brille de ses propres feux, qui sont sans commune mesure avec ceux de ses voisins. L'oeuvre en totalité opère une synthèse du style concertant de son époque mais également des styles de toute l'Europe. Quel tour de force et quelle ouverture d'esprit!
Je ne vous ferai pas écouter l'intégrale, mais une bonne partie. Nous découvrirons dans quatre versions différentes les concertos n° 3, n° 5 et n° 6.
Le concerto Brandebourgeois n° 3 BWV 1048 en Sol majeur, le plus populaire des six, oppose sans cesse trois groupes ou choeurs instrumentaux (pour reprendre un terme de Gabrielli) de trois musiciens qui laissent parfois s'échapper un soliste. Tous y tiennent une place équivalente qui concourt au sentiment d'équilibre, de plénitude et de puissance. J'ai choisi la belle lecture qu'en donne Jeannette Sorrell :
Le premier mouvement opte pour la forme aria da capo ( air avec reprise ou A-B-A)
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Le deuxième mouvement est noté sur la partition sous forme d'une succession de deux accords - pour la petite histoire une cadence phrygienne qui était très prisée à l'époque baroque - et débrouillez-vous! La plupart du temps ce mouvement est réalisé sous forme d'une improvisation libre au clavecin quand il n'est pas tout simplement évincé! Ici, l'interprétation très originale placée sous la direction de la claveciniste Jeannette Sorrell fait converser les divers protagonistes.
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Le troisième mouvement est marqué du signe de la danse populaire allemande ( Laendler) à 12/8 enlevée et joyeuse.
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Le Concerto Brandebourgeois n° 5 BWV 1050 en Ré majeur ne se construit pas sur des ruines comme pourrait le suggérer la toile ci-dessus, l'une des moins connues de Canaletto.
Au contraire, tout en respectant la forme en usage à l'époque il est le premier témoignage du concerto pour clavecin soliste. Le compagnon de prédilection de Bach sort enfin ici de sa tache de basse continue pour devenir l'instrument concertant par excellence. C'est d'ailleurs Bach qui tenait la partie clavecin lors de la création de ce concerto. La place éminente accordée au clavier dans cette oeuvre épochale devait avoir des répercussions formidables dans la musique concertante et ce jusqu'à nos jours.
Je vous en offre à chaque fois et pour chacun des trois mouvements deux interprétations. La première date de 1960 et est dirigée par Karl Ristenpart à la tête de l'orchestre de la Sarre. La seconde, celle de l'ensemble I Barocchisti est toute récente et donc inspirée des découvertes en matière de sonorités et interprétation baroque. En particulier l'utilisation d'un diapason un demi ton inférieur. Il y en aura ainsi pour toutes les sensibilités.
Le premier mouvement pourrait faire penser à un concerto grosso de la plus pure facture qui réunit flute, cordes, clavecin jouant à hauteur et dignité égales. Très vite cependant le clavecin surgit de son rôle d'accompagnateur et sa solitude de soliste trouve éclatante confirmation dans la longue cadence finale ( section en solo ) qui donne idée du génie improvisateur de Bach
Ristenpart:
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I Barocchisti:
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Le deuxième mouvement pose une mélodie très chantante sur une rythmique obsédante.
Ristenpart:
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I Barocchisti:
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Le troisième mouvement est une gigue à la française qui utilise beaucoup le style fugué.
L'apparition en nappes sonores de certains instruments est de ce fait un vrai délice. Belle manière en tous cas de concilier en un seul mouvement les styles de toute l'Europe musicale!
Ristenpart:
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I Barocchisti:
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Le Concerto Brandebourgeois n° 6 trouve ses racines à Weimar dont vous voyez ci-dessus une bien jolie représentation d'époque. Sans doute le plus ancien de tous quant à la conception il est aussi le plus résolument inventif dans la facture. Ne serait-ce que parce qu'écrit uniquement pour cordes et continuo de clavecin, mais surtout cordes graves excluant le violon et mélangeant les instruments anciens comme la viole de gambe et la basse de gambe et les instruments modernes comme l'alto et le violoncelle. Il est un véritable manifeste en faveur de la réconciliation entre instruments anciens et modernes.
Bach tenait la partie de l'alto et confia celle de la viole de gambe au prince de Köthen.
Je vous en offre le dernier mouvement dans très belle interprétation de Jeannette Sorrell puis celle, plus colorée, plus enlevée et qui a ma préférence, de Jordi Savall et du concert des Nations
Il s'agit d'une gigue à l'italienne, donc non fuguée comme l'étaient souvent chez Bach les gigues alla francese.
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Et en bonus le premier mouvement du concerto Brandebourgeois n° 1 par Jordi Savall encore une fois. Il donne idée de la totalité des pupitres dont disposait Bach à Köthen, en particulier au niveau des cuivres et des bois pour lesquels ce concerto fut composé et surtout de la couleur de son orchestre puisqu'ici sont joués des instruments d'époque ou copies fidèles. Les défauts de justesse des cors ne manqueront pas de vous sauter à l'oreille mais ... quel charme!
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