Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Musique, Peinture, Poésie, Penser *46*: Bach *8*: Le Magnificat

 

 

             Mon âme exalte le Seigneur,

                   Et mon esprit exulte en Dieu, mon Sauveur!

          Parce qu'il s'est penché sur son humble servante;

                désormais, tous les âges me diront bienheureuse.
                                                            
                                                       Evangile selon Saint Luc, 1, 46-55



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                              Saint-Luc, toile du peintre espagnol le Greco.



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                   La Visitation, de Joseph Roques, couvent des Jacobins à Toulouse.

Alors qu'aujourd'hui encore certaines religions persistent à interdire la représentation humaine ou la création de toute musique qui ne serait pas conforme aux dogmes en vigueur, l'Europe Baroque inspirée par ses croyances produisait des oeuvres somptueuses et le clacissisme vers lequel elle se dirigeait doucement ne mettrait pas un terme à cet élan créatif. On le voit avec les deux toiles ci-dessus que séparent deux siècles. Dans la première le peintre n'hésite pas un instant à faire son autoportrait avant de le baptiser du nom du saint évangéliste. Dans la seconde le ventre arrondi de la Vierge émeut le regard de son humanité acceptée.

En 1723, l'Europe était secouée par une épidémie de fièvre jaune. Cela n'empêchait pas les écrivains à (futur) succès de braver la censure et risquer l'enfermement en Bastille pour hérésie, tel Voltaire dont l'épopée la  Henriade connut alors mille vicissitudes.


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Deux ans plus tôt, l'Angleterre avait fait connaissance avec son premier krach. Il ne servirait pas de leçon aux politiques... Dépité d'avoir investi 1000 livres dans une Compagnie des mers du Sud en faillite, l'auteur irlandais Jonathan Swift  avait  écrit " La Bulle ", poème fort ironique et fort d'actualité puis son chef-d'oeuvre: les Voyages de Gulliver ( en lecture gratuite si vous suivez le lien  )

 

 

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Et Bach me direz-vous? Bach en homme de son temps mais qui se savait aussi dépositaire d'un art qui ne tarderait pas à être révolu, Bach se tournait vers les textes religieux qui portaient sa foi et composait son Magnificat. Fuyant la jalousie à son égard de la nouvelle épouse du Prince de Köthen, Bach venait de s'installer à Leipzig.
Il avait été choisi par défaut par une municipalité qui espérait embaucher Telemann ou autres célébrités tapageuses et qui, devant l'absence d'intérêt de ses champions pour ce poste osait écrire sous la plume de l'un des administrateurs de l'école luthérienne, le Docteur Platz: " 
Pour des raisons importantes, la situation est délicate et puisque l'on ne peut avoir les meilleurs, il faut donc prendre les médiocres. "

Voici donc notre " médiocre " Bach embauché le 22 avril 1723. Il restera 25 ans à Leipzig avec sa seconde épouse, Anna-Magdalena, allant d'ailleurs de déception en déconvenue devant la mauvaise volonté de la ville à le soutenir dans sa démarche de compositeur et d'enseignant... Mais revenons au Magnificat.

 


Ce chant de joie de Marie après l'Annonciation a été rapporté par l'évangéliste Saint Luc auquel on attribue sans doute à tort la paternité du texte. Il faisait partie des offices des vêpres dans la liturgie catholique romaine avant d'être adopté par la Réforme allemande.
 
Cette oeuvre magnifique est sans nul doute l'une des plus faciles d'accès parmi les compositions religieuses du Cantor. Ecrite en 1723,  et alors qu'il entamait une période de sa vie à Leipzig où il mettrait au monde ( entre autres oeuvres) une cantate par semaine, respectueuse du texte original en latin si doux à l'oreille, son orchestration est marquée de l'influence de son séjour à Köthen. N
ous en écoutons la seconde version remaniée.

Oeuvre concise, poignante par moments, brillante souvent, elle réclame de gros effectifs instrumentaux et vocaux: six solistes, un grand choeur à cinq voix et un orchestre au grand complet  comportant trois trompettes, timbales, flutes, bassons, hautbois, cordes et orgue.
D'aucuns ont pu lire dans la structure même de la partition des allusions cryptées à une appartenance de Bach aux sociétés rosicruciennes, je vous laisse découvrir ces pages qui, dans le fond, n'apportent pas grand chose au personnage mais ont donné bien du travail aux auteurs de l'ouvrage!

Mais écoutons cette oeuvre  que je n'ai fait que vous annoncer...
Je vous en offre ici l'insurpassable version de Michel Corboz à la tête de l'orchestre, des solistes et choeur de Lausanne.

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                                          Annonciation,  par le Caravage.

Elle se divise en douze sections qui correspondent chacune à un verset du poème. En voici sept, choisies avec grande difficulté tant l'unité de l'oeuvre impose de ne point la morceler.

Premier verset: Magnificat anima mea Dominum, Mon âme exalte le Seigneur
.

Solennité et joie traversent cette introduction de l'oeuvre où se répondent grand choeur et trompettes. Ici, contrairement à la dizaine d'autres interprétations que j'ai pu écouter, les choeurs ne sont jamais à la course derrière l'orchestre et encore moins éteints par lui. Règne de l'équilibre.

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Deuxième verset: Et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo, Et mon esprit exulte en Dieu, mon Sauveur.

Contrastant avec le passage précédent, l'air de la seconde soprane est tout de retenue, avec un effectif réduit en accompagnement. On remarquera les volutes ascendantes qui dessinent la joie et les motifs descendants qui témoignent de l'humilité de cette joie devant Dieu.

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Troisième verset: Quia respexit humilitatem ancillae suae; ecce ex hoc beatam me dicent...  Parce qu'il s'est penché sur son humble servante; et voici que désormais me diront bienheureuse...

Une très grande douceur dans cet air où la première soprane, dont les phrases s'accomplissent vers le bas dans un mouvement d'humble piété, est accompagnée de l'orgue et d'un hautbois.

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Quatrième verset: ... Omnes generationes... Toutes les générations.

Effet de foule surgissant du néant avec ce très court numéro qui fait apparaître 41 fois le thème: autant qu'il y eut de générations mentionnées dans les textes fondateurs entre Abraham et le Christ.
Les notes répétées sur le mot Omnes symbolisent la loi divine: Dieu a voulu qu'il en soit ainsi.
Mais on se souvient aussi que Bach aimait à cacher sa signature dans ses oeuvres. Le nombre 41 est le renversement de 14, lequel est la somme des lettres de Bach ( B=2, A=1, C=3, H=8 // 2+1+3+8=14). Comment ne pas y voir un clin d'oeil de Bach aux bigots méprisants, incultes, radins et petits-bourgeois de sa ville de Leipzig qui ne savaient que faire pour entraver sa créativité? Son oeuvre traverserait les siècles. Leur pingrerie manifeste ne laisserait aucune trace...



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Sixième verset: Et misericordia a progenie in progenies timentibus eum. Et sa miséricorde s'étend d'age en âge sur ceux qui le craignent.

Un duo tout de douceur et de recueillement entre le ténor et l'alto que bercent les instruments à cordes et les flutes. Le motif de broderie en croix allongée qui entame puis nourrit les deux lignes de chant des solistes  évoque le Christ, son calvaire, le don qu'il fit de lui à l'humanité et était un motif très couramment utilisé par Bach pour symboliser Jésus.

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Septième verset: Fecit potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente cordis sui. Il a déployé la force de Son bras; Il a dispersé ceux qui  avaient au coeur des pensées d'orgueil. 

Superbe choeur qui met en oeuvre les effectifs au grand complet. Bach y accorde complètement le texte et les effets sonores. Le mot " Dispersit " est traduit soniquement par une rupture dans le tempo, la dynamique, la tonalité, comme si la foule était soudain éclatée. 



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Douzième verset: Gloria Patri, Gloria Filio, Gloria et Spiritu Sancto; Sicut erat in principio  et nunc et semper et in saecula saeculorum. Amen. Gloire au père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme au commencement, et maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen.

Le dernier choeur retrouve la solennité très grand siècle de celui qui ouvrait l'oeuvre. Après de grands accords et quelques lignes très vocalisantes, conformément à la tradition qui voulait depuis Monteverdi qu'une oeuvre religieuse se referme sur son commencement, précisément sur le mot principio ( commencement ) Bach reprend la musique du premier verset en l'adaptant au nouveau texte. Les notes longues tenues par les choeurs sur les dernières mesures symbolisant ici l'éternité des siècles et des siècles à venir. 


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