Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Musique, Peinture, Poésie, Penser *47*: Bach *9*: Les cantates



bach orgue

Qui rentre une seule et unique fois dans les cantates de Bach n'en ressort plus jamais, captivé par la beauté et l'inventivité constante de cet espace aux paysages changeants, modestes ou luxuriants comme ceux de la Vie elle-même.

Compositions le plus souvent à prétexte religieux elles constituent, dans le corpus d'un artiste qui n'écrivit aucune oeuvre lyrique, de véritables opéras de poche. Et de la forme opéra elles tiennent tout: l'ouverture orchestrale  puis les airs de solistes sombres ou brillants, auxquels succèdent duos, trios, récitatifs dans la plus pure tradition italienne, choeurs commentant l'action etc.
Ce n'est certes pas Bach qui a inventé la cantate. Le grand organiste Schütz avait cinquante années plus tôt  acclimaté en Allemagne ces compositions musicales qui, sur des versets religieux, accompagnaient les offices à Venise. Mais c'est Bach qui va donner une ampleur inégalée à cette forme musicale.

On distingue habituellement les Cantates profanes, aux thématiques quotidiennes  voire très prosaïques ou bien encore empruntées à la mythologie, écrites sur commande de princes ou notables. Elles étaient créées (ainsi que d'autres oeuvres du compositeur, si prolixe)  chaque semaine au Café Zimmermann dont vous pouvez voir une délicieuse représentation ci-dessous.

Puis les Cantates sacrées, écrites sur des psaumes et textes bibliques, qui étaient jouées pendant l'office religieux chaque dimanche et jour de fête.
Il serait cependant difficile de désigner des différences formelles très nettes entre les unes et les autres hors l'esprit des textes qui leur servent de trame. D'ailleurs, 
Bach qui s'y connaissait avant l'heure en " recyclage " musical  donnait souvent usage profane à une oeuvre sacrée et inversement, réutilisant sans cesse les matériaux qui lui semblaient le plus parlants.
Toutes durent entre quinze et trente minutes. Des tentatives très réussies de mettre en scène ces Cantates prouvent que cette partie de la musique de Bach peut être considérée comme son grand Oeuvre lyrique.


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Devenu complètement lui-même face à la mesquinerie de l'administration religieuse qui l'emploie à Leipzig, Bach laisse parler son coeur dans ces pièces où explose son génie en dépit de conditions matérielles très difficiles. Il doit en effet se remettre en question chaque semaine et écrire en fonction des effectifs dont il disposera le dimanche suivant.

Ces oeuvres  dont il connait le morcellement programmé par le déroulement même de l'office sont pourtant à chaque fois pensées avec une belle et émouvante unité.


Ecrites le lundi et mardi, recopiées le mercredi, répétées le reste de la fin de semaine elles reposent toutes sur la bonne volonté d'un choeur de petits garçons qui donne du fil à retordre à Bach. La participation des femmes à ces choeurs ou en tant que solistes était interdite par la religion protestante... Quand on sait que Bach avait épousé deux cantatrices, on imagine son amitié pour les voix de femmes et sa déception de devoir faire au mieux chaque dimanche avec ces enfants si difficiles à éduquer et dont la voix blanche ne rendrait jamais compte de la plénitude qui coule si naturellement de ses partitions.



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                                               Toile de Jean Raoux



Commençons par les Cantates sacrées. Il nous en reste un peu plus de 200.
De la Trinité de l'an 1724 à la Trinité de l'an 1725, Bach compose un cycle complet de cantates  répondant aux besoins des offices hebdomadaires et au calendrier liturgique en vigueur. Il reprend d'ailleurs souvent l'écriture de cantates conçues durant son séjour à Weimar. 
A la fois sermon musical et prière, elles s'articulent très simplement en quatre séquences:

- Une Ouverture ( ou Concerto ou Sinfonia) jouée juste avant l'office et qui dépeint le climat général du cantique au sens propre et figuré. Par exemple  le verset d'Isaïe qui inspire la cantate BWV 18 :" Comme la pluie et la neige descendent des cieux... " est illustré musicalement dans la sinfonia par des notes répétées aux cordes imitant ainsi la chute des gouttes de pluie. Ces notes répétées vont soutenir l'ouverture d'un bout à l'autre comme le ferait une percussion:


Sinfonia de la Cantate sacrée BWV 18

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Autre exemple, la très belle, très sobre et très brève ouverture de la cantate BWV 4,  l'une des premières écrites, dont les motifs en demi-tons descendants, la lenteur sombre et pessimiste des notes étirées par les instruments à cordes puis cette boucle finale jouée par le violon qui dessine comme un noeud sonore illustrent parfaitement le texte qui l'inspire : " Christ gisait dans les liens de la mort "



Sinfonia de la cantate sacrée BWV 4



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- A cette ouverture succédait un nombre variable d'airs destinés à un ou plusieurs solistes voire au choeur, qui exposait ( s'appuyant sur les textes bibliques chantés) les affres de l'existence humaine, les malheurs qui s'abattent sur le chrétien.

- Puis un récitatif suivi d'un aria qui démontrait que la fidélité à Jésus délivrerait de tous les maux.

- Enfin un choeur symbolisant l'assentiment de toute la communauté des fidèles remerciant Dieu de ses bienfaits.



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On est très étonné en écoutant ces cantates le plus souvent destinées à l'église  d'y retrouver les thèmes ou rythmes des danses populaires constitutives de la Suite de danses.
Jusqu'à la Renaissance, il n'était pas interdit de danser dans les églises:  les clercs considérant que les mouvements du corps pouvaient conduire ceux de l'âme vers son apaisement. Bach n'oubliait pas cette tradition-là et sa musique contient de vrais danses psychopompes, au dessein très clair: aider le fidèle à trouver la paix  dans un balancement naturel entre diction du texte, réflexion, joie et plénitude du corps bougeant.

La présence de ces danses est très évidente dans l'ouverture de la Cantate des Paysans. On y entend successivement une gigue, puis un passepied, puis une bourrée, puis une longue parodie de pavane avant que ne revienne le rythme tourbillonnant d'une courante, puis d'une gigue. Petit tour des danses populaires qui étaient tout le  riche terreau sur lequel les compositeurs d'alors plantaient leurs Suites de danses.


Ouverture de la Cantate profane dite " Des Paysans"  BWV 212

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Le bel air de basse ( magnifiquement chanté ici par  Kevin Mac Millan, baryton basse canadien) extrait de la même cantate répond lui aussi à cette omni-présence de la danse.  On y entend successivement une menuet, un passemezze puis retour du menuet.
 
Cantate profane dite "des Paysans"  BWV 212, aria de la basse



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Dans une autre cantate plus ancienne et sacrée cette fois, la bourrée  un peu pesante qui soutient les propos désabusés  du soliste :

Attacher son cœur aux trésors terrestres,
c
'est là une tentation de ce monde insensé.
Que les flammes dévorantes naissent avec facilité,

que les flots bouillonnants mugissent et se brisent

jusqu'à ce que tout retombe anéanti, en ruines !

évoque avec une sombre drôlerie, si vous m'autorisez ce rapprochement,  l'attente presque optimiste de la mort.
La personnification de cette dernière y est confiée aux bois et à un ostinato du basson qui dansent là une étonnante marche funèbre aux accents du terroir... Cette attention à la mort est d'ailleurs à replacer constamment chez Bach dans le contexte de l'effroi qui avait dû saisir l'enfant doublement orphelin si prématurément et qui chercha toute sa vie dans la musique réponse à ses angoisses existentielles.


Cantate sacrée BWV 26, aria de la basse


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Et pour clore cette page une promenade  d'abord dans une toile de Gainsborough, peintre anglais dont la naissance fut contemporaine de ces Cantates, puis dans quelques extraits choisis,  en espérant que cette découverte vous donnera envie d'en entendre davantage...

Pour commencer, une oeuvre brillante qui permet d'entendre l'orgue concertant avec le reste de l'orchestre, pupitre par pupitre se donnant à l'écoute:



Concerto de la Cantate sacrée BWV 35


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Puis la très célèbre cantate dite " Du Veilleur " .
Ligne mélodique somptueuse, d'une immense douceur qui transcrit à merveille l'esprit nuptial du poème du Cantique des cantiques qui l'inspire. Cette oeuvre me fait pleurer à chaque fois que je l'écoute...
Deux extraits de cette merveilleuse cantate, qui n'est pas par hasard l'une des plus connues et appréciées. Pour commencer,  le choeur du début qui réunit les effectifs au grand complet. Une lumière intense baigne tout ce mouvement porté vers le haut par les voix d'enfants qui appellent, du haut des remparts,  les vierges de la ville de Sion à se réveiller pour accueillir les guerriers auxquels elles vont être fiancées. Le choeur entre douze fois: dans les évangiles, l'Epoux arrive à minuit...


Choeur premier de la Cantate sacrée BWV 140



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Puis la pièce sublime qui se trouve au coeur de la Cantate, dite choral du veilleur. Pourquoi choral? Parce Bach en transcrivit après coup pour orgue ( sous la nomenclature choral Schübler BWV 645 ) la totalité des voix. Ici, dans la version d'origine, nous entendons  les cordes jouer à l'unisson une très douce mélodie,  celle de la fiancée  heureuse ( l'âme) voyant arriver son époux ( le Christ). Cette mélodie se juxtapose à un air assez tendu chanté par un ténor.



Choral du Veilleur, extrait de la Cantate sacrée BWV 140


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Vous connaissez tous cette invocation, titre d'un morceau non moins célèbre que le précédent: " Jésus, que ma joie demeure ". Là encore nous nous trouvons face à un de ces mystères magnifiques inspirés par la foi la plus humaine, la plus encombrée de doutes souvent ( car Bach était un croyant qui doutait ) la plus humble et prompte à mettre toute son énergie au service d'un Dieu qui pourtant avant souvent frappé mais restait une consolation et une espérance:


Jésus, que ma joie demeure, extrait de la cantate sacrée BWV 147


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Pour continuer,  l'air de la soprano dans une cantate profane qui est un véritable et double hommage à une boisson récente en Allemagne, le café, mais également à l'établissement qui accueillait chaque semaine Bach et son orchestre. Le texte s'y moque tout autant des jeunes qui abusent du breuvage que des anciens qui le critiquent. Dans l'air que je vous propose, l'héroïne espère rencontrer un honnête mari plutôt que ce café qui l'accompagne avant d'aller au lit... ( livret ici). Joli climat enjoué dans cette pièce à trois temps et rythmes pointés qui est sans doute une polonaise, danse très affectionnée par Bach.

Cantate profane BWV 211, air de Lisette:

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Et pour terminer l'un des plus sublimes duos pour soprano et alto (ici un alto masculin) écrits par Bach. Les deux voix y sont très sobrement accompagnées par un orgue, un violon et un violoncelle dans un style de chaconne, autre danse. Les volutes des vocalises chantent l'espérance de celui qui trébuche et ne cesse pourtant de croire en Jésus. L
es ornements chantés, que l'on nomme gruppettis, faits d'addition de mouvements ascendants symbolisant la prière et de mouvements descendants symbolisant la naissance, symbolisaient finalement la prière exaucée par le Ciel.
Il y a dans cet air une inspiration de toute évidence populaire, une simplicité naïve, une jubilation toute bucolique de la mélodie si aisée à retenir jusque dans les ornements très fouillés, simplicité que n'aurait pas reniée un Schubert.
Et toujours cet apparent paradoxe dans le traitement musical d'un texte somme toute dramatique avec des moyens qui tiennent de l'allégresse. L'homme Bach mais également son temps savaient accueillir les aléas de l'existence avec ferveur et gaieté.

La gravité était aussi joyeuse que la joie était grave, en ces temps-là...


Cantate sacrée BWV 78, duo.


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Bonne écoute!



 

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C
<br /> <br /> Et ce fût une excellente écoute... Il est vrai que la cantate dite "Du veilleur" est magnifique !<br /> <br /> <br /> La musique classique, il n'y a rien de plus merveilleux à l'ouie... plus les années passent et plus j'en suis convaincue !<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Ces deux airs de la cantate du veilleur sont pour moi des sommets d'émotion musicale. Sais tu que nos trois enfants ne peuvent plus se<br /> passer de musique classique? nous avons même surpris il y a peu Mathilde nous dire qu'elle adorait je ne quel prélude et fugue de Bach, poutant assez aride... Comme quoi, tout vient ;o)) Bises et<br /> mille merci Corinne!<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> <br /> Zut, j'ai mis des ailes au bouquet !("quelle")...<br /> <br /> <br /> En vitesse, car aujourd'hui encore nous courons partout (dommage...); mais non je te fais un petit mail.<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Pas de soucis pour les ailes, comme cela le mot arrive plus vite (sourire)<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> <br /> Quelle extraordinaire bouquet musical tu nous offres là ! Et quel travail encore cela a dû te demander ! Je n'ai pas trouvé dans les sinfonias que tu<br /> proposes celle que Robert a jouée quand il était jeune (il faudra qu'il la retrouve, c'était très beau et pourtant pas du tout connu).  Je connais bien la 4, la 26, et bien sûr la 140 et la<br /> 147 ; je connais moins les cantates profanes ; mais tu as su choisir les extraits pertinents permettant de mieux cerner le talent protéiforme de Jean-Sébastien Bach. Un grand merci encore pour<br /> cette richesse d'enseignements, d'images et belle musique.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Oui, un gros travail qui n'a pas le succès que j'en attendais. Ce n'est pas grave. Merci d'avoir écouté avec une telle atention et<br /> présence.<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Ecrit avec amour. Très beau. Merci de la découverte, je reviendrais.<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Merci Philippe, c'est gentil.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Quelle page! Quatre fois au moins que je reviens à ces oeuvres dont la plupart m'étaient inconnues.<br /> <br /> A quoi tient la désaffection pour la forme cantate ? Car après Bach il semble qu'on n'en ait plus écrit.<br /> <br /> Et quelle version choisir dans tout ce qui nous est proposé par le disque ? L'ambiance musicale qui prévaut dans la cantate 140 me comble.<br /> <br /> Merci encore de ce travail acharné, têtu. De l'ombre finalement.<br /> <br /> Amitiés,<br /> <br /> Joubert<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Merci Joubert. Je crois que c'est lintérêt porté à l'opéra, à la scène en général qui a précipité le déclin d ela forme cantate. des<br /> compositeurs ayant peu écrit pour le lyrique se sont quelques temps intéressé à l'oratorio, mais les fastes de la mise en scène ont remporté le trophée face à des formes plus ascétiques.<br /> Je possède la version Harnoncourt ( baroque) et celle de Richter( plus classique) Celle qui vous touche est celle d'Harnoncourt. Superbe de bout en bout( parfois des choeurs d'enfants limiute<br /> justes mais bon...)<br /> Merci encore.<br /> <br /> <br /> <br />