24 février 2010
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L'image ci-dessus ne nous dira pas quelle oeuvre se donnait ce soir-là. Peut-être Marin Marais dirigeait-il alors - comme son mentor Lully le lui demandait souvent - les musiciens du Roy ? Peut-être, battant la mesure, pensait-il à son maître le Sieur de Sainte Colombe?
Tous deux maintenaient en vie un instrument qui ne tarderait pas à disparaître face aux ambitions du violon, la viole de gambe.
Une étrange guerre se propageait qui opposait français et italiens, partisans de la viole de gambe et amoureux du violon. Elle durerait jusqu'au milieu du XVIII ème siècle, allant jusqu'à susciter la parution d'un libelle intitulé " Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle ".
Le ton était donné...

En vérité cet affrontement était celui de deux pans de la société.
D'un côté le peuple, dans les couches duquel se recrutaient les violoneux, comme en témoigne ce Concert champêtre de Van Ostade:
Oui, il s'agit bien d'un violoncelle, regardez les ouïes et ne tenez pas compte de la tenue de l'archet.

De l'autre les grands de ce monde, pour lesquels la pratique de la viole était un signe à mettre à l'actif de leur aristocratie :
Portrait de la fille de Louis XV par le peintre Nattier:

Mais revenons à nos deux Gambistes.
Ils exercent leur art en une période de mutation sociale profonde. La riche bourgeoisie et la noblesse provinciale n'ont que peu accès aux fastes de la cour. Pour autant ils en entendent écho et il leur vient idée de posséder la même chose que ces " lointains qui leur ressemblent". Hotels particuliers modestes et maisons des champs à dimensions enfin humaines fleurissent sur tout le territoire, dans les villes et les campagnes. Dans leurs salons sans prétentions va naître la musique de chambre.
Les petites formations se multiplient, souvent familiales, et Marin Marais comme Sainte Colombe participent de cet essor qui réunit violes, épinette, luth et voix.
Personnage mystérieux que celui de Sainte Colombe. Il a fallu aux spécialistes de l'instrument fouiller les Archives nationales et faire un véritable travail de limier pour y retrouver au moins deux branches portant ce nom. L'une est catholique et originaire de Lyon, l'autre béarnaise et protestante. C'est cette dernière qui nous intéresse...
En ces temps de révocation de l'édit de Nantes, il ne faisait pas bon être protestant. On se trouvait de ce fait souvent oublié des registres de naissances, de mariage ou de décès...
Quant aux annuaires, certains mentionnaient Sainte Colombe dans le registre d'imposition des musiciens mais en indiquant en pointillé son adresse, comme on peut le voir dans cet extrait du Livre commode d'Abraham du Pradel , alias Nicolas de Blegny.

Difficile en conséquence de poser un prénom devant ce nom devenu célèbre par la grâce d'un film.
On a pu cependant établir un scénario plausible à défaut de certitudes.
Sainte Colombe serait né vers 1640 et mort vers 1700. Est-il ce musicien enterré à Brioude en 1688 au cimetière de l'Eglise saint Julien ? Cette date de disparition concorde avec celle de la parution de la pièce funèbre intitulée Tombeau que Marais avait dédié à son maître... En outre, l'inventaire de ses biens à son décès fait mention de deux orgues portatifs, deux épinettes, sept violes de gambe et un luth, ce qui est assez naturel pour un musicien de métier. Alors?
On peut oser dire aujourd'hui qu'un Sieur de Sainte Colombe, protestant et natif du Sud-Ouest, se serait installé en région parisienne où il donnait des concerts privés et aussi quelques cours aux musiciens officiels. Mais l'artiste avait préféré se replier dans une discrétion conforme à ses goûts et choix religieux qui étaient sobres.
Sans doute aurait-il aimé ce paysage de Van Ruysdael dont les tonalités subtiles disent la frugalité, le silence, la retenue:

Quelques indiscrétions circulèrent cependant sur les relations entretenues avec Marin Marais. C'est Evrard Titon du Tillet qui nous relate le fameux épisode au cours duquel Marais se cache sous la cabane en bois où répétait son maître pour écouter ses traits brillants et son célèbre coup d'archet.
Il y avait de quoi être subjugué par un homme qui, non content de faire progresser la technique de son instrument en lui ajoutant une septième corde et en inventant le glissando puis les furies (coups d'archet rapides dans le grave), laissa à la postérité 177 pièces de viole seule et 67 concerts pour deux violes égales, tous fondés sur une parfaite connaissance de l'improvisation italienne ou anglaise, des danses de cour françaises et même de la musique de vielle:
Il y avait de quoi être subjugué par un homme qui, non content de faire progresser la technique de son instrument en lui ajoutant une septième corde et en inventant le glissando puis les furies (coups d'archet rapides dans le grave), laissa à la postérité 177 pièces de viole seule et 67 concerts pour deux violes égales, tous fondés sur une parfaite connaissance de l'improvisation italienne ou anglaise, des danses de cour françaises et même de la musique de vielle:
Et Marin Marais me direz-vous? Il va mener une carrière sans histoire dans l'ombre de Lully et portera l'art de la viole aux sommets, n'étant évincé sur la fin de sa vie que par un autre immense violiste, Antoine Forqueray. Je vous renvoie pour Marais à cette excellente biographie. Place à l'écoute!
Sainte Colombe
Menuet. Il y a dans cette oeuvre une douceur des appuis et élans qui touchent au plus près les inflexions naturelles et spontanées du corps dans la danse, une légèreté sans affectation qui en font une totale réussite. dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/13_Menuet_sol_majeur.mp3&
Courante de la Première suite à deux violes: Un petit côté impro. Des phrases courtes qui questionnent. Une certaine austérité emplie de noblesse.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/08_Premiere_Suite_a_Deux_Violes_en_Re_Mineur__III_Courante.mp3&
Marin Marais
Folia (extrait): variations de plus en plus complexes sur une basse obstinée.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/02_Piste_02_1.mp3&
Tombeau pour Monsieur de Sainte Colombe: Hommage au maître disparu.
On y retrouve les accents très mélancoliques qui étaient la marque de Ste Colombe. L'instrument y est exploré sur toute sa tessiture, dans une succession de phrases déchirantes et très expressives.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/14_Tombeau_Pour_Mr_de_Sainte_Colombe_-_2eme_Livre_de_Pieces_de_Viole_Marin_Marais_1.mp3&
Fête champêtre: Une danse joyeuse en forme de rondeau ( Refrain A, couplet B, refrain A, couplet C, refrain A, couplet D etc) accompagnée de percussions, d'une épinette et d'un théorbe.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/1-07_Feste_Champetre_IV61_Marais_1.mp3&
Antoine Forqueray
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/05_Pieces_De_Viole_-_1Ere_Suite_La_Portugaise.mp3&
La Leclair: Une Gigue joyeuse pour terminer ce parcours dans une période de la musique française totalement oubliée des concerts alors que la sonate lui doit tant...
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