Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Sous le cercle de pierres


                          

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Depuis combien de jours
depuis combien de nuits
marchais-je ainsi ?

Je ne savais même plus quelle sorte de vie m’animait, je n’étais que cuirasse appuyée aux couleurs bougeant dans les fossés
je n'étais que questions cousues aux  mouvements entrevus dans les branches
aux reptations de l’air fondu sur les chemins.

Mais toujours j’entendais, comme un pansement à mes peurs, les mots du Sorcier : «  Ne laisse pas monter le piège des fumées, elle le voit elle le sent elle le flaire, elle te prendrait ».

Aussi n’ai-je de toute ma quête jamais allumé un feu. Cela fut dur, souvent. Un feu chante, pleure, conte, éloigne les gueules luisantes...
surtout
contre les pestilences qui font de vous vermine
le feu offre ses cendres.

Ce matin là
il y eut soudain comme un silence par-dessus le silence.

J’avais faim de La rencontrer et cette faim me donnait des forces qu’aucune nourriture, aucune eau ruisselante et fraîche ne m’aurait apporté.
Le corps repu de fatigue, les paumes à vif à force de blessures et de chutes mais toujours ces blessures éclairant le chemin
il me tardait.

Je n’avais pas voulu mourir en rencontrant l’hiver
alors
j’étais parti.

La région d’où je viens est de terre collante et brune. Il flotte sur elle une espèce insolente de brouillard qu’aucun rai de soleil ne peut contraindre à se dissoudre et dont les langues errantes ne ménagent pas leur haine pour qui les pénètre et n’en ressort jamais. 

En des clairières encore épargnées par la brume se serraient les hameaux, mais la grisaille rampait chaque fois plus loin et l’on ne comptait plus les disparitions.

Le pire était le feu.

Quelque chose, dont seuls de rares vieillards parlaient à voix très basse, quelque chose empêchait depuis des mois le feu de prendre autour du bois,  dessécher la sève,  mordre l’aubier.


Quelque chose forçait la pierre solide et noire des  maisons du Pays à se ratatiner comme des pommes abandonnées dans une cave autour de leurs pépins.
Cela prenait une nuit le plus souvent.
Là où la veille encore retentissaient des rires, on ne retrouvait plus à l'aube qu'une forme modeste, de la taille d'un caillou, sur laquelle ceux d'entre les nôtres dont la vue étaient la plus perçante distinguaient les couleurs des fenêtres, le dessin des tuiles, l'ombre d'un escalier, les pentes de murs devenus minuscules recroquevillés sur un foyer moribond.
Combien en avons-nous sauvées de coups de pieds innocents ?

Mais aussi combien de pauvres maisons dont le feu était mort et que les jeux d'enfants arrachaient à leurs racines-mêmes?
Chaque soir, une procession de volontaires faisait le tour des campagnes environnantes pour retrouver ce qui pouvait l'être et rendre à leur initial et définitif séjour les âmes enfermées à jamais entre les murs touchés par la malédiction.

Nombre d’entre elles attendent encore qu'on les découvre sous un tas de bois ou au fond d'un ruisseau.

Je ne voulais pas mourir en rencontrant l’hiver
alors
je suis parti.

Je suis parti un matin, le cœur lourd des souffrances entendues
jusques au coeur des pierres.
Le sorcier du village ne m’avait donné pour viatique qu’une bourse de sable gris. Au contact de la lumière il se muait entre mes doigts en  une pâte  nourrissante. Surtout, me rapprochant du lieu de cette énigme, il prenait de merveilleuses couleurs mordorées, m’en éloignant il se teintait de noir.

La faim serait ma boussole.

Il serait trop long de vous narrer les reliefs et les courbes du paysage laissés dans mon dos.
Quelques-uns m’ont donné la tentation de renoncer, d’autres m’ont rendu le goût de la fuite.
J’errais ainsi dans le merveilleux pays des Figuiers Monde dont chaque grain de chaque fruit de chaque arbre abrite l’univers tout entier.
Imaginez un arbre à taille d’homme,
ses fruits juteux, joufflus.
A l'intérieur un univers  avec ses galaxies joyeuses, ses comètes joueuses à saute temps, ses planètes inconnues que l’on croque sans chagrin car ouvrant un  autre fruit,
on redécouvre ce monde intact
comme si jamais aucune dent n’avait mordu dans les soleils.

J’aurais pu me poser pour toujours dans ce monde mais le sable noircissait et je repris ma quête.

Je crus mourir dans le pays des montagnes d’eau et des vallées de pieds. Les habitants étranges de cette contrée-là semblaient obnubilés par une seule idée : parvenir au sommet.
Quand je dis étrange… il s’agissait de pieds, plus ou moins beaux. Certains - pour le peu que j’aie pu me pencher sur cette étrange espèce -  étaient pourvus de quatre orteils, d’autres de six ou davantage, tous se piétinaient pour se trouver sur la ligne du départ vers le sommet d’une montagne immense et aquatique, dont les trombes liquides les repoussaient sans cesse.

Ainsi les premiers étaient les derniers et inversement et si ces pieds avaient pu crier au lieu de simplement piétiner, ce qui faisait déjà grand tapage, on aurait entendu dans la plaine alentour un hurlement immense.

Les rares qui parvenaient à se maintenir  en s’engluant dans la boue de tous leurs ongles et leurs orteils ne parvenaient hélas qu’à grimper de quelques mètres vers le faîte de cette vague énorme où devait se trouver un trésor, à en croire l’obsession des candidats.
Et de fait, sur le sommet de cette pyramide d’eau étincelait une neige ou était-ce une écume dorée par le couchant ? Je sais trop la vanité des biens de ce monde, aussi quittai-je sans regret ce pays de combats inutiles.

Ma route était parfois comme ces rubans que l’on ne sait dénouer.
Je sus que j’étais arrivé
à la présence à la fois lourde et apaisante de ce fleuve de silence par-dessus le silence.
Un lieux où grandir mon angoisse
l'ombre étendait ses longs bras
je me sentais dans la grâce
d’une nuit sans rempart.



Je passai une nuit calme. A la matité particulière du ciel quand je me réveillai, je compris que la fin était proche
ou peut-être un autre commencement.

Alentour, de rares fumeroles disaient la vie passée, calcinée, broyée. De villages ou de villes ne restaient que quelques murets, mais dans le silence j’entendais  remonter lentement les années de bravoure, de peur et de renoncement.

Ma peau, curieusement, prenait une étrange apparence. Aurais-je jamais imaginé qu’elle pourrait ressembler à ces racines farouches qui se montrent puis se dérobent au pied des grands arbres après s’être parées des couleurs de la terre ? Etais-je moi aussi sur le point de devenir une sorte de plante, de retourner au règne végétal, de cultiver en ma chair une différente sève ?

Depuis combien de jours
depuis combien de nuits
marchais-je ainsi ?

Je ne savais même plus quelle sorte de vie m’animait, je n’étais que cuirasse appuyée aux couleurs de ce pays éteint.

C’est alors que je vis, se confondant avec le fauve des pierres, une houe.

Piège ou  signe…

Je m’assis et me réconfortais à la douceur de ce sable dont ne me restaient qu’à peine deux poignées, de quoi survivre quelques semaines, guère davantage. Il prit dans le creux de ma paume une couleur dorée que je ne lui avais jamais vue, coula de mes doigts sans que je puisse le retenir, rampant vers une source de lui connue.
Elle était proche, toute proche, peut-être à l’aplomb de mes pieds. J’eus même l’impression fugitive de sentir le minéral battre comme un cœur et même
non je n’ose
même
une petite flamme grandir entre mes doigts.

La houe...
Elle n’était pas là par hasard.

Les journées étaient longues de ce côté-ci du monde.
Je creusai.
J’entamai la peau durcie de cette terre chagrine mais plus le jour avançait, plus chaque coup porté me dévorait les muscles et cognait dans mes os, plus chaque pelletée arrachée à son nid m’amputait de mon souffle
de ma voix
de ma vie.

A la nuit tombante, je m’aperçus que mon labeur de la journée avait dessiné un immense cercle rehaussé de pierres. Je me couchai en son centre, mais le sable que je gardais toujours entre chemise et peau me brûlait tant que je le posai à mes côtés. Il n’y avait plus personne dans cette région, que pouvais-je craindre en éloignant de ma poitrine et de mon cœur cette bourse qui tant de fois m’avait sauvé la vie ?

A peine se trouva-t-elle au sol que la petite poche de linon fut prise d’une sorte de fièvre, la lumière d’or en jaillit comme une belette et creusa, creusa la terre contre mes pieds.

Je me laissai alors aspirer dans le mince boyau, sentis mes membres s'étirer, se dissoudre et quelque sens qui n'était déjà plus mon regard découvrit émerveillé, à jamais gravés dans la roche, la trace de foudres lointaines, de fontaines roulées par le temps.
M’enfonçant, la lumière bourdonnait de petites hachures grises, qui se rejoignaient en un filet de vaisseaux vivants et blancs comme des vers.
Les parois en étaient tapissées.
Combien de temps dura ce qui n'était ni chute ni glissade mais plutôt épousailles de la matière? Je recueillais les rides de ce corps avec ferveur, dans un présent tellement autre, tellement dense que j'aurais voulu qu'il durât toujours.

Parfois mon être s'infiltrait à la discrétion des sources, entendait les arias de roches en fusion, retenait des strates sans mesure.

C’est alors que je la vis. Elle  n’était que mouvements lents, reptiliens, éblouissants.
Fusion de mucus et de lave blanchie.  Sa beauté était de celles qui suspendent la tombée du jour.

Elle me prit entre ses bras secs et mouillés à la fois, comme on berce l'enfant dans l'absence de rumeurs.

Jamais je n’avais été aimé ainsi, jamais mon humble condition d’homme n’avait été ainsi honorée.
Elle ne semblait repue de mon plaisir et le sien me donnait idée de ce que cachent les femmes pour mieux garder de mystère et enchaîner leur époux.

Elle accepta, contre ces caresses dont nous fumes bientôt aussi épris l’un que l’autre, de laisser le monde au-dessus de nous user encore un peu du feu.

Il me fallut des siècles de vie commune pour comprendre qu’elle avait perçu, depuis sa retraite en ce pouls profond, que l’homme n'utiliserait les flammes que pour chaque fois davantage assécher ses villages, ses rivières, ses montagnes et non pour honorer la Vie.

Avec l'énergie du désespoir, elle avait tenté de donner leçon de parcimonie. En vain.
Un jour tout fut consommé.

D’amour en elle, main dans ses flammes
ma bouche en sa parole
je la laissais enfin à ce pour quoi elle était faite
elle qui depuis que le monde est monde
sous le cercle de pierre
retenait l’impatience du feu.





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Dessin trouvé sur ce blog

et mis en ligne avec accord de l'artiste




 
 
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