Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Lettres à l'Ami









Mon Ami

 


    J’ai souvenir du bocage Normand où, il y a quelques temps déjà, en compagnie de ma petite famille je rendais visite à un Ami commun qui nous est cher à Vous et moi.
    Vous décrire la beauté de ces lieux, la continuité de l’espace tout de discontinuité apparente serait trop long. Pourtant je ressentais devant ces ondulations, ces reliefs, ces ruptures, cette douceur, la subtile harmonie qui m'émeut chez Bach ou Van Gogh lorsque, découvrant certaines de leurs oeuvres jusqu'alors méconnues, je sais d'emblée qu'il s'agit d'eux.

Vous en dire deux mots?

Il faudrait que je vous parle

du vent que le talus ralentit dans sa course
pour que respire la campagne d’un rythme qui ne l’étrangle pas.

Il faudrait que je vous conte
le chant des oiseaux heureux
dans les haies triomphantes où vient un peu la mer.

Il faudrait que je vous dessine
les maisons de pierre sombre ou grise posées sur la verdure
ces polders d'herbe grasse qui semblent s’engendrer eux-mêmes
dans une joyeuse fantaisie,
les collines nomades,
les tertres casaniers puis soudain disparus.

Il faudrait que je vous peigne
le labyrinthe des chemins où la pensée s’agace
puis s‘apaise de se perdre,
ne sachant jamais combien de temps durera l’exil 
dans une de ces multiples îles que cernent les sentiers.

Discontinuité inventive d’une Nature et des Hommes qui l'ont sculptée avec si grand respect, en des temps plus aimants de la terre et des hommes, et dont nous finissions par comprendre que c’est sa division en parcelles d’apparence chaotique qui en préserve encore la faune, la flore, l’unité.

Je  vis dans une région de monoculture du maïs et si vous en saviez les dégats…

Un de vos derniers écrits m'a émue .

Je vous y ai lu oscillant entre le lisse ou le chaos, le linéaire et l’improvisation. Peut-être sont-ce eux qui, de concert nous poussant dans le dos, impriment à notre envie de sieste sur la balançoire ces bercements plus ou moins amples qui nous font peur ou  rire? Mais si vous avez opté dans la gaieté pour le chaos, il me serait bien difficile de choisir entre ces deux espaces qui me sont heure du jour et couleur du ciel.

Quand les nuages depuis plusieurs semaines répandent leur ombre et leur eau sur mon jardin qui ne parvient même plus à la résorber,  je n’aspire qu’à un ciel bleu sans accident. Et quand ce dernier brille enfin au-dessus de mon toit, s’installe la lassitude du toujours semblable, l’envie de rupture dans ce lisse infini.
   
L'esthétique de l’espace est condition de mon équilibre.

Au même titre que son dérangement.

ll en va de même de mes lectures. Les lenteurs d’un roman de Dhotel m’apaisent, sans doute parce que je sens sous l’histoire l'unité de pensée et de sensibilité d’un être, son travail cent fois remis sur le métier, l’artisanat humble et doux d’un amoureux de la nature. Je peux dès la première page m’y absorber toute jusqu’au dernier point posé.

Puis, combien de plaisir à caboter sans tracas d’un ouvrage à l’autre qui de manière indirecte me parle encore du voyage au long cours qui me propulsait sans y paraître en mille dimensions.

Ecrire au jour le jour me fait souvent me poser les mêmes questions que vous. Cet apparent désordre offert à mes lecteurs me convainc certains soirs où tout est gris que je ne terminerai jamais rien et j’en suis fort marrie. Je me morfonds alors de n'avoir aucun souffle qui me permette de trotter sur la durée, m'attriste de n'être capable que de galops d'essais, de bribes, de copeaux. De n'offrir qu'une écume quand d'autres bâtissent l'océan sans sortir de leur chambre.

Pourtant… relisant avec le recul du temps, je découvre une unité toute modeste mais une unité tout de même entre des poèmes ou des contes à l'aventure éparpillée.
Et me persuade que si les auteurs de pavés vendent à leurs contemporains une image lissée d'artisans du long terme, nous ne savons rien des chaos qui les agitent ( sauf à ce qu'ils soient le sujet même de leur oeuvre) et que nous mêmes offrons sans souci de demain.


Cette apparente incohérence de votre être qui vous questionne, et même que vous revendiquez, surtout, n'en ayez jamais peine. Elle me signale que vous êtes encore en vie.
D’ailleurs vous me l’avez si souvent dit: « Je ne serai cohérent qu'une fois mort ».


Je prenais cette réponse alors pour de la rhétorique, et cela me fâchait contre vous dont j' imaginais avec un vrai désarroi le silence définitif, l'absence de mouvement, la fin de nos disputes et réconciliations, la lente métamorphose en pierre ou la ressemblance au bois qui vous entourerait.  Mais je me rends bien compte avec le temps que, n’étant pas toujours très cohérente moi non plus, votre définition fine -  lapidaire - est d'une profonde justesse et je voudrais lui rendre ici justice.
Comme d’autres qui vous lisent, j’entends au décourcis (sourire) de vos écrits et au-delà des dissonances, votre humaine harmonie dans la complexité,

ce qui en apparence séparé donne cependant en partage

ce qui articulant l’étendue,
la divisant parfois, lui appartient pourtant et lui donne son sens

ce qui d'un patchwork coloré tisse une toile souple et vive, où même les accrocs et les trous participent de la beauté de l'ouvrage.
 
Nous voulons souvent obtenir du même coup le début et la fin. Tenir au creux des mains toutes les généalogies, le champ et son muret, les oiseaux et leurs nids, le fossé et la pluie qui l’irrigue puis se sauve vers la mer.

Mais cela, mon Ami, c’est l’éternité qui nous le soufflera à l’oreille car, vous le savez bien, les contraires meurent ensemble. Ce sont les survivants à votre aimable personne qui reprenant le fil, de ses débuts jusqu’à son terme, le poseront sur un fuseau et diront:  « C’était tout lui ».
Je vous préfère vivant encore un peu que vous imaginer enroulé comme une bande autour de sa momie. Donc n’ayez de regrets de rien.

Vivez, vivez car cela seul compte. Sans cesse nous migrons  à l’intérieur de nous-mêmes, comme les belles collines normandes et les prés voyageurs dont le regard croit avoir tout compris mais il suffit qu’un nuage passe ou le soleil et l’on est dans un autre monde.

Demandez-le à notre Ami, il vous en parlerait des heures et tellement mieux que moi.


Ce fil qui traîne entre nos mains, sur lequel nous tirons, dont nous voudrions bien parfois, au moins dans le regard des autres, qu’il soit un peu plus homogène, un peu moins effiloché de partout, coupé un peu plus net où l’aiguillée le prend, il est pour notre bonheur ou notre peine, comme les talus Normands, piqué souvent de guêpes, d’herbes folles ou de pies qui en mangent la substance… mais l’ensemencent aussi.


Mais tout ce que je dis là n’est pas pour vous convaincre car vous l’êtes déjà, juste pour vous dire
mon Ami, que vous le vouliez ou non,
à vous tout seul vous me faites souvent penser à la belle diversité du bocage
et ce n'est pas un mince compliment...











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