Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Cinquante et quatre années entièrement dédiées à la musique.
Antonio Soler, Padre Antonio Soler est catalan, né le 3 décembre 1729, mort le 20 décembre 1783, quelques années tout juste avant la Révolution Française.
De sa plus tendre enfance passée au monastère de Montserrat en Catalogne où il entre à l'âge de six ans comme enfant de choeur, jusque sa mort au monastère de l'Escurial auquel il dédiera le reste de sa vie aussi bien comme organiste, claveciniste, maître de chapelle et théoricien de la musique, Padre Antonio Soler inscrivit son art comme son existence sous le signe de la ferveur. Musicale et religieuse.
C'est son père qui le fit entrer à Montserrat, conscient qu'il était des talents précoces de son fils. Antonio y cultive de prime abord le sens de la voix et de la polyphonie puis l'art du clavier. On ne redécouvre que depuis peu l'oeuvre vocale du moine claveciniste tant son oeuvre pour clavier profane ou religieux a éclipsé le reste de son abondante production.
Soler disposait en effet à l'Escorial d'un important effectif de chanteurs et musiciens, dont cinq chorales d'enfants. Il composa pour eux entre autres oeuvres 132 Villancicos ou chants de Noël dont une grande partie fut détruite par les troupes napoléoniennes en 1808. Seuls 14 d'entre les villancicos ont été publiés récemment. Ces petites cantates racontent un épisode de la Nativité et étaient destinées à être mises en scène pour Noël.
Avant de continuer à dérouler le fil de cette existence somme toute très sage, un petit aperçu sonore d'une des rares partitions vocales qui nous soit parvenue intacte, le Laudate pueri Dominum pour choeur d'hommes et de garçons.
Eloge de la spiritualité, de la simplicité, de la couleur aussi!
Toile de Juan Sanchez Cotan
Sortant du monastère de Montserrat, Antonio Soler est à l'âge de 21 ans nommé maître de chapelle à Lerida, puis sous diacre à l'âge de 23 ans, et enfin maître de chapelle et organiste titulaire au monastère royal de l'Escurial non loin de Madrid à l'âge de 27 ans.
Fulgurante ascension que celle de ce jeune homme doué qui, tout en appartenant à l'ordre de Saint Jérôme, fréquente la cour royale toute proche du couvent.
C'est que la règle de Saint Augustin qui prévaut dans ce grand ensemble de l'Escurial tout à la fois monastère, école, palais royal et dont la grisaille foncée contemporaine ne donne que faible idée de sa brillance d'alors, cette règle augustinienne donc si elle prônait le jeûne, l'ascèse, la chasteté, le sens de l'hospitalité et de la mesure, le respect du pauvre par le riche et de sa pauvreté par le pauvre n'empêchait nullement la vie mondaine.
Antonio sera très apprécié toute son existence par les monarques espagnols pour sa gentillesse, son dévouement infatigable à la cause musicale, sa vaste culture livresque. Il va rencontrer à la cour de Ferdinand VI puis de son successeur Charles III ( toile ci-dessus ) un certain... Domenico Scarlatti. Les deux hommes se lieront d'amitié et sans nul doute le jeune Antonio bénéficiera-t-il des leçons de son illustre pair.
L'Espagne d'alors reste un grand empire colonial, mais a été contrainte par le traîté d' Utrecht de céder ses possessions européennes:
Les Pays-Bas du Sud, le Royaume de Naples, le Royaume de Sardaigne, le duché de Milan et l'État des Présides reviennent à l'Autriche. Le Royaume de Sicile est attribué à la Savoie, tandis que l'île de Minorque et la forteresse de Gibraltar sont données à la Grande-Bretagne.
Gibraltar, Toile de Sir Thomas Withcombe
Entre mariages arrangés et reconquêtes territoriales déjouées, l'Espagne essaie de recouvrer son poids politique passé. Mais Antonio n'a cure de ces péripéties, il a accepté la charge de précepteur de l'éducation générale et musicale de l'infant Gabriel et compose à son intention des dizaines de sonates profanes pour clavecin qui sont autant de merveilleuses études techniques et belles.
L'homme est passionné d'écriture musicale, il naîtra d'ailleurs de cette passion un bel ouvrage d'harmonisation. Il ne cesse d'explorer les champs aussi divers que ceux de la musique religieuse, profane, vocale, instrumentale, orchestrale. Un catalogue impressionnant de neuf messes, cinq Requiem, cinq motets, vingt-huit Lamentations, vingt cinq hymnes, soixante psaumes, treize Magnificat, douze Benedicamus, cent-trente deux Villancicos, cent-vingt sonates pour clavier, six quintettes pour deux violons, alto, violoncelle et orgue, plusieurs oeuvres de musique de chambre et son célèbre Fandango.
Contrairement à Scarlatti - qui fut bien plus prolixe en matière de sonates pour clavier - et quoique s'inscrivant comme lui dans un style " italien en Espagne ", Soler compose des oeuvres très novatrices sur le plan de la forme. Ses sonates sont larges, denses, construites en trois ou quatre mouvements et non en un seul avec reprise comme Scarlatti. Surtout, il y introduit des éléments expressifs, mélodiques, rythmiques typiquement ibériques, en imitation des techniques des danseurs andalous, aragonnais, catalans etc, en s'appropriant les effets sonores d' instruments tels que la guitare ou les castagnettes, le travail rythmique des talons, les mélodies populaires surtout qui ont bercé son enfance.
Ecoutons cette Espagne qui imprègne note après note le quatrième mouvement de la sonate en si bémol majeur R 62 dans l'interprétation de David Schrader.
Deux danseurs sont ici face à face qui se regardent, se cherchent se répondent. Et virevoltent bien avant la première minute tandis que le compositeur improvise brillamment en trilles, ornements divers, roulades et autres notes répétées à la manière d'une guitare. Gamme choisie, tempi, tournures ici sont typiques et toujours en évoquant comme en filigrane la ritournelle de départ le clavecin nous emmène dans mille chemins pleins de surprenantes découvertes.
L'esprit de cette sonate est tout proche du Fandango que nous écouterons à la fin de cette page, à tout seigneur tout honneur!
La très célèbre sonate en Ré majeur R 84 que je vous propose d'écouter ensuite est lancée par un joli ornement autour d'un intervalle de septième entre le Mi à la main gauche et le ré supérieur à la main droite. La mélodie nait de l'entrelacement subtil entre intervalles brisés à la main droite s'appuyant sur trois notes identiques répétées par mesure et une basse obligée à main gauche:
On retrouve là à s'y méprendre le style italien de Scarlatti tout en brio et inventivité virtuose, quelques appogiatures ( ce qui était rare dans l'écriture de Soler et était plutôt la marque de fabrique de Scarlatti) mais surtout un accompagnement à la main gauche préfigurant la simplicité d' un Cimarosa, des techniques proprement ibériques de notes répétées évoquant les claquement de mains ou de talons dans la danse populaire et traditionnelle.
La voici donc dans une belle interprétation de Gilbert Rowland sur un clavecin dans le style français de la fin du XVIII ème, bien sonore, assez lourd mais tout à fait adapté à la musique espagnole de cette époque.
L'oeuvre de Soler ne se limite pas au clavier. Ses quintettes sont fort intéressants par leur inventivité thématique, leur aspect assez improvisatif en prime abord mais qui ne perd jamais le nord, la connaissance profonde qu'ils révèlent du sens de l'orchestration et du style galant qui parcourait l'Europe. Qui pourrait dire qu'ils furent composés dans l'austérité d'un monastère?
Voici donc en illustration un extrait du quintette n° 5 pour quatuor à cordes et basse obligée dans une version qui associe quatuor à cordes et orgue ancien, témoignage tout à fait judicieux de la manière dont devaient être interprétées ces oeuvres: celle du quintette Corse Quinta d'Isula accompagné ici par l'orgue de Cervione.
Et pour finir revenons à son oeuvre majeure, le Fandango tout empli du soleil de l'Espagne, ici dans deux sublimes versions. J'avoue en préambule ne savoir me séparer de l'une ou de l'autre.
Celle de Scott Ross qui dans sa tendresse délicate m'accompagne les jours de méditation.
Enregistrée sur un clavecin français du XVIII ème siècle l'interprétation y est élégantissime, virevoltante et légère, et très intellectualisée. On a en outre le plaisir de voir les mains de l'artiste tricoter cet ostinato obsédant et quelque peu mélancolique sous ses doigts...
Scott Ross joue le Fandango de Padre Soler
Puis celle de Rafael Puyana qui m'accompagne les jours de danse et d'énergie, tant elle est pleine de vitamines!
Je vous en offre une version historique, actuellement introuvable et enregistrée chez Phillips en 1967 avec un son décoiffant!
Interprétée sur un clavecin contemporain construit par la maison Pleyel expressément pour l'artiste, la danse s'y révèle puissante et virevoltante de nuances à la fois. Les ornements s'y déclarent tous d'emblée, le travail sur les différents registres, les ralentis qui suivent le déroulement de la phrase dansée, les accélérations logiques dans la chorégraphie, on entend les coups de talons des danseurs, on voit leurs reins cambrés, chaque partie est annoncée dans sa seule attaque qui marque césure avec la partie précédente après un silence d'articulation subtil... J'adore! Bonne écoute