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Rose's murder




Parfois, ne pas raisonner conduit à la résolution du problème.
Je n’ai jamais eu la réputation d’un flic particulièrement habile, ayant  toujours préféré à la raideur délicate de la police scientifique la souplesse de mon intuition, laquelle me plante régulièrement. Pourtant, cette fois là, ce qui mijotait depuis des années m'a été d'une utilité remarquable.

Rien dans l’affaire que je vais vous raconter ne semble avoir de lien mais tout y a de l’importance.

L’auteur du crime se nommait Bérenger Freesbi, peu importe d’ailleurs car son talent de faussaire l’avait conduit à changer son nom et ses papiers qu’il détestait en un plus strict Pierre Duval.
Il travaillait dans l’épicerie de ses parents qu’il parvint sans grand effort à vendre à perte à leur mort afin d’aller cultiver dans la ville voisine sa paresse congénitale et un immense besoin de rêveries amoureuses.

Au-dessous de son balcon qui lui tenait lieu de résidence principale passait à heures fixes une jeune beauté aux appâts afriolants. Ayant dépassé son goût pour l’onanisme cérébral, il la conquit avec douceur puis s’engagea dans une liaison délicieuse qui l’entraîna à son grand regret dans un mariage hâtif pour la cause que l’on imagine.

 Il l’avait adorée comme maîtresse, il commençait à la détester comme épouse.

Au  retour de leur sinistre voyage de noces, pour se faire pardonner sa mauvaise humeur et sécher ses larmes, il lui offrit une rose de satin empaquetée dans du papier de soie et logée au fond d’un sac en papier.
Elle ne daigna même pas pas l’ouvrir, toute occupée à compter les gares qui la séparaient de leur modeste appartement en banlieue de Londres.

Ce n’est que deux jours après qu'ils aient quitté le train que l’on découvrit sur la banquette qui leur faisait vis à vis dans le compartiment un homme  dont l’autopsie affirma sans aucun doute possible, étant donné l’absence de coups ou de traces de sang, la mort par infarctus massif. A ses côtés, le paquet intact et sa rose  qui rejoignirent un casier à la PJ, section des affaires classées.

Quant aux Duval, la morosité s'inscrivait au menu quotidien de leur couple. Sans qu'il ait pu comprendre comment cette si jolie fille avait glissé d'un sourire enjoleur à une lippe constamment gonflée de larmes, il s'éloigna d'elle avec autant de délicatesse qu'il s'en était approché. Il faut avouer que la grossesse bien avancée de Brigitte la rendait à ses yeux moins désirable que par le passé. Les mouvements de son ventre, sur lequel elle tenait en permanence les mains posées comme s'il y avait quelque risque qu'il lui échappe suscitaient en lui des craintes obscures et incontrôlables.

Il la quittait chaque matin aux aurores au prétexte de rejoindre un emploi qui n’avait de réalité que dans sa conviction intime et dont elle avalait les détails le soir même sans un frémissement de cils. La banlieue ne leur offrait aucune perspective de relation sociale et pour tout dire, ils ne fréquentaient personne hormis leur marasme conjugal.
 En vérité, il avait rencontré peu après leur mariage, lors d’une balade dans un square, une vieille fille dont le seul attrait immédiatement perceptible était un compte en banque bien garni et une passion pour les lieder de Schubert. Contre un peu de compagnie quotidienne, le partage de mélodies qui lui fichaient un sérieux bourdon et quelques caresses à chaque fois plus inventives elle lui payait de quoi vivre la semaine.
Il finit par s’y attacher.
Au point que lorsque Berthe lui suggéra de se débarrasser de Brigitte cela ne le choqua pas le moins du monde.

 Voilà que sa vie commençait à devenir un roman. Une aventure tranquille avec une qui aurait pu être sa mère et la perspective d’un meurtre. Cela l’excita quelques jours durant lesquels sa femme crut avoir retrouvé tout son amour.

Puis, sa décision fermement prise, un matin où elle se dirigeait avec des oscillations d’algue gorgée de mer vers la salle d’eau, il enfila un gant, se saisit du fer à repasser, l’assomma consciencieusement jusqu’à ce qu’elle ne lui oppose plus qu’une large question rouge, laissa tout en place, ferma la porte à clef et s’en retourna satisfait vivre chez son entreprenante maîtresse.

L’odeur éveilla quelques jours plus tard les soupçons des voisins.. Mais on eut beau chercher, on ne trouva  aucune trace d’un Pierre Duval dans quelque archive que ce soit.

Comblé quelques temps par sa vieille maîtresse qui le sortait en laisse comme on sort un chihuahua, il se rendait de temps à autre sur les lieux de son forfait, empli de ce délicieux sentiment que donne la contemplation de l'agitation sotte du reste du monde.
De fait, mes collègues à bout de nerfs avaient fini par renoncer à faire le tour du paté de maisons.
Les banlieues sont espaces d'isolation des chairs, personne n'avait été en mesure de faire une description aussi précise que possible des deux personnes constituant ce couple, elles étaient même si souvent contradictoires que la police Royale finit par se demander si elle enquêtait bien sur le crime commis en ce quartier.

  Il se décida au bout de quelques mois à l’épouser et pour l’occasion retrouva ses vrais papiers.
Berthe entra très  rapidement dans une ère définitivement aigre et  rhumatismale.
Il avait beau se montrer entreprenant, il lui apparut urgent de chercher de quoi occuper ses pensées et son temps. Le caractère rapiat de sa nouvelle épouse s’étant révélé au grand jour dès le lendemain des noces, il se fit embaucher dans un magasin d’accessoires féminins, ce qui lui permit de se rincer abondamment l’oeil dans des décolletés aux conversations plus soutenues que celles que pouvait lui tenir son épouse entre deux grincements articulaires. Il buvait énormément de café ce qui n’a strictement rien à voir avec notre affaire mais mérite tout de même d’être signalé.

Tout commença à se déglinguer le jour où son patron fit rentrer un stock conséquent de roses en satin identiques à celle qu’il avait offerte à feue sa première femme. Cela déclencha chez lui des bouffées de regrets tels qu’il ne put supporter de les contempler à longueur de journée sur le rayonnage en face de lui, et il finit un soir par les acheter toutes et les ranger dans un vieux sac en cuir appartenant à Berthe puis les jeter au fond d'un puit.

 Le répit fut court, le propriétaire étonné d’une telle furie acheteuse  sur un produit pourtant vieillot en commanda une seconde série qui termina son existence de la même manière

Un soir qu’il emportait  le sac empli d'une bonne quinzaine de roses, il se le fit arracher par un clochard que l’on retrouva étranglé le lendemain matin auprès du sac éventré et encore plein de sa marchandise.
Naturellement, la police scientifique se mit en branle , je la suivais pas à pas, tout à fait certain de l’échec de mes collègues. Ils finirent par retrouver l’adresse du fabricant du sac, lequel reconnu avoir vendu cette pièce unique à Berthe quelques mois plus tôt et un sac de série identique à son époux la veille.

Le maroquinier avait été surpris de l'état d'angoisse visible de ce jeune client, mais la discrétion de cette corporation fit qu'il n'en parla même pas à l'inspecteur qui l'interrogeait. Il se contenta de donner comme à regret le nom de Bérenger en faisant une croix définitive sur la clientèle de son épouse.

Malheureusement pour eux, Berthe et son mari insouciant, qui avaient entre temps traîné en tous sens le sac neuf sur le parquet avant de le plonger dans la bassine à confiture remplie d’eau bouillante nièrent avec la dernière des fermeté..
 Mes collègues, auxquels le maigre salaire de fonctionnaires ne permettait pas de s’offrir ne serait ce qu’un des fermoirs de ce sac en vinrent à des considérations crues et  définitives sur l’honnêteté des maroquiniers de la place en général et de celui – ci en particulier. Il ne vint à l’esprit de personne de provoquer une confrontation qui de toutes manières n’aurait servi à rien car, mobilisés dans l’adversité davantage qu’ils ne l’avait été dans leur début de bonheur, Berthe et Bérenger faisaient bloc et confortaient les policiers dans leur conviction à l'encontre de certains corps de métiers.

C’est là que j’interviens.

Soyez attentif je vous prie. Bérenger était essentiellement satisfait de n’avoir pas été obligé d’avouer à son patron les achats compulsifs de roses perpétrés environ une fois tous les quinze jours et d’avoir pu ainsi conserver son poste derrière le comptoir avec vue imprenable sur les vallées de chairs toutes plus frémissantes les unes  que les autres qui venaient se coller à son nez pour lui demander comment agrafer telle ou telle broche.
Pourtant il rêvait chaque nuit de ces roses et croyait les voir ramper sous son lit ou sur les murs.

Le patron, persuadé que cet employé exemplaire et de plus en plus morose lui porterait chance sur des accessoires encore plus démodés remplit l’arrière boutique de  toutes sortes de vieilleries aux couleurs passées, qui finissaient par se mourir derrière la vitrine, mais désormais Bérenger avait l’esprit clair et la vie s’annonçait rose bonbon.

Hélas pour lui, suivez moi bien , c'est là que j'interviens, un jour rangeant les archives des affaires classées, je découvris avec stupéfaction, aussi fraîche qu’au premier jour de son éclosion, la rose qui avait été trouvée dans le train ternant compagnie au cardiaque.

Il ne me fut pas compliqué de faire le rapprochement entre cette rose à peine déflorée et les stocks de fleurs rigoureusement identiques que la police Britannique avait ramassée autour du clochard.

Le lendemain, j’arrêtais Bérenger pour le meurtre de Brigitte. Il avoua sans grande difficulté, heureux de mettre ainsi un terme à des mois de cauchemars et lançant à son corps défendant ma fortune de limier.

La police scientifique, vous savez... cela n'a aucun avenir.



 
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