Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Complainte de la butte

 




Petite mendigote
Je sens ta menotte
Qui cherche ma main

Le regard se pose – trois temps pour un contact, pour un recul, pour une fuite, trois temps comme une valse anachronique revêtant une enfance volée .
Premier temps –étonnement. Cette main est si frêle, comme abandonnée sur un ventre déjà lourd pour son âge. Les doigts atones , dont on ne sait s’ils retiennent le pagne ou s’y raccrochent, n’ont déjà plus les courbes, les pleins et rebondis de l’adolescence. Main griffée par la sécheresse de la terre, main gratteuse, main aux ongles éclatés qui fouaille en recherche de racines.

Deuxième temps-recul devant ces yeux abattus, qui ne se fixent nulle part, d’un noir sans fond mais aussi sans surface, ni vides, ni pleins, cavités d’une autre nature qu’humaine.
Troisième temps-poids lorsque l’autre main se tend, doigts en crocs prêts à harponner la moindre aumône. Et le voudrais-je que je me sens paralysée devant ce geste « d’une –qui- a -presque -le -même –âge- que- moi » , mais déjà si vieille.
Elle a à peine 13 ans . Enceinte de plusieurs mois et mendiante sur la place de la poste à Ouaga.
Sa taille fine, ses rêves évanouis, si elle en avait – en avait-elle- dans ce pays en pleine épidémie de choléra, sa taille fine est loin. Que va-t-elle devenir ?

J’ai 16 ans. Cet âge où dans l’ombre complice de la seule salle de cinéma de la ville , je confie mes frissons à des bouches exploratrices et des mains encore pataudes.
Cet âge où l’on se rêve poétesse, en quête d’un Chénier de hasard. L’idée d’un amour fou qui se résumerait à des étreintes de mots, à un choc tel qu’il ne pourrait qu’engendrer la fuite des amants dans des directions opposées, un amour qui serait à lui tout seul univers en expansion, cette idée- là me plait davantage que les bribes de caresses dérobées au cycle Marcel Carné dont mon flirt du moment n’a que faire.

Pourtant je rêve d’escaliers à grimper jusqu’au prochain ponton, d’une Seine où me noyer comme d’une jouissance.

Elle, ne rêvera plus jamais. Elle, elle est déjà occupée à ce petit corps lové en ses creux de fillette, dans ce solde d’amour qui érige les deux cônes de ses seins bien proches de couler.

Dans ma classe viennent des jeunes femmes de mon âge, bébé endormis contre leur dos. Mais elles ont toutes une famille.

Celle-ci, qui me tend la main, ne pourra s’échapper nulle part, ni même à quelqu’un et personne ne viendra la chercher.
Alors pour elle, en imaginant son regard de jeune maman, en espérant que la petite mendigote aura pu trouver une épaule où s’appuyer et que ses mains seront redevenues douces et souples.





Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
<br /> <br /> Bonsoir Viviane,<br /> <br /> <br /> Un souvenir qui t'a marquée! Un portrait réaliste et poètique en même temps. C'est très troublant. J'aime ton style.<br /> <br /> <br /> Je rejoins le com' de clem. Deux mondes qui se cotoient. Une peinture-hommage à cette petite mère de 13 ans. Moi, à cet âge, je jouais aux cowboys et aux indiens ( j'étais garçon manqué) et<br /> elle.. elle a mûri, que dis-je, vieilli trop vite. Triste mais beau ton texte. Merci<br /> <br /> <br /> Bonne soirée<br /> <br /> <br /> Martine<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
R
<br /> <br /> Je pense souvent à mes soeurs africaines de ces contrées là, que traversaient les épidémies diverses, la faim, les régimes politiques<br /> aux soldats pas toujours d'opérette... Merci à toi d'avoir gouté cette tristesse Martine et rendu vie au texte quelques heures...<br /> <br /> <br /> <br />
C
deux mondes bien différents et qui se rejoignent par la féminité, la sensibilité. <br /> clem
Répondre
R
oui, un souvenir encore très vivant, une jeune fille de treize ans sans doute dans un pays de misère...Son visage est en moi pour toujours...