"Grand serpent perd ses écailles! Grand serpent perd ses écailles!"
Ainsi criait le Fou au pays de Kek Par
et chacun de hausser les épaules
et poursuivre le labeur et son lait avant qu'il ne caille.
Mais bientôt l'ombre qui n'éblouit personne par ses dires ou sa vêture
permit à chacun de discerner,
j'ai bien dit" cerner"
au sol les écailles de Grand serpent.
Ô nuit de chansons en miettes
baobabs déplumés
cieux en morceaux
nuages réduits en poussières
et toile de soleil aux franges dépeuplées
Le coeur pire que l'orage en cette saison des pluies, les habitants du village de Kek-Par se réunirent autour du Chef, tout contre ce qui restait de l'arbre à Palabres que l'on voit à droite en train de disparaître lui aussi.
Et leurs visages se recouvrirent de masques.
Chacun affichait ainsi ses préoccupations au grand début de nuit.
Le potier pensait
à la glaise qui viendrait à manquer
aux cases du village dont aucun pisé ne comblerait les failles
qui disparaîtraient elles aussi
à la bouche moqueuse de fraîcheur de ses jarres
dont le rire qui fait eau ne réseaunerait plus, tard.
Le paysan pensait
aux nuages si courageux qui tombent pour jouer
à l'arbre descendu droit du ciel
comme le nez descend de l'air que l'on respire
aux feuilles sèches des yeux ne couvant plus sommeil
aux mosaïques lumineuses des champs inondés
Les mères pensaient aux enfants tous petits qui dansent dans leur tête
et leur peau blanchissait d'angoisse et noire la bouche
et rides profondes sur le bois du corps tandis que s'allongeait leur cou pour faire de la boule qui étouffe la voix un petit paquet de larmes.
Le chasseur pensait au mufle large du Lion
dont la sieste diminuait à vue d'oeil
entre deux boisseaux d'herbes folles
aux trous dans les pensées qui rongeaient tous les fronts
Et chacun de s'épouvanter, copeau après copeau...
Mais derrière ce qui restait de l'arbre qu'on voit plus, derrière l'étroit à chaque fois plus étroit de l'arbre, se cachait Margouillat.
Avec son air de ne jamais bouger, Margouillat aimait les Hommes. Ceux-ci ne l'aimaient guère. Il faut dire qu'il n'était pas très joli à regarder. Tout gris, fluet, sans fantaisie fabuleuse.
Le petit coeur de Margouillat s'égarait à toute allure dans la tristesse du Rien qui venait.
Il y avait sans doute un peu de gêne pour ses propres écailles dans ces pensées-là.
Alors, il mit en marche son air de ne jamais bouger
et de sa langue plus habituée aux mouches qu'aux images
se saisit de ce qu'il voyait se peindre sur les visages, sur le sol, entre les flammes mourantes du soleil
puis avant qu'on ne l'écrase
courut vite vite le remettre à sa juste place
Ainsi survécut le Monde. Personne, à part le Fou, ne comprit ce qui s'était passé. Et pour récompenser ce petit humble qui les avait tous sauvés, le Fou lui offrir un peu de sa folie qui - comme chacun sait - est de toutes les couleurs.
Depuis sur ma terre natale, il est recommandé de laisserMargouillat tranquille
faire sa gymnastique sur les terrasses ou sur les murs et exhiber fièrement
l'arc en ciel de son cou et les muscles de ses pattes
On ne sait jamais
il lui faudra peut-être courir encore plus vite
et prendre sur sa propre peau les couleurs du monde
la prochaine fois.