On était bien on avait peur
les nuits de cloisons mûres
quand l'effroi silencieux
rampait vers ce qui manque
Au loin
le jour
ni bien ni mal
Et toi
passante que tordait la torche sans répit
de ces mains qui prétendent
tu hantais chaque puits fendu vers l'infini
la fleur ou la fêlure
toute chose qui meurt
de n'être plus nommée ou d'être trop cueillie
Marcher membrane à rompre Parfois on croit ouvrir l'espace devant soi
et c'est le chemin qui vous traverse le ventre
Marcher la crainte et la confiance à l’autre une serrées
Tu t’étais mise en route
vers le simple appareil de l’aube et de la mer
dans le miroitement
un chant d'effort sans muscle
le pas d'autres déserts
A l'entendre
la peur couvait le froid dans la dune
En allongeant mon rêve j'aurais pu toucher
l' écaille primitive
écarter la membrane
L'ombre et l'envers de l'ombre
le monde et son buvard
Le profond la surface
lieux épuisés
En vrai il fut trop tard
Il y eut une autre fois
Lumière de septembre
aucune déchirure n'en menaçait la brise tiède
Ai-je entendu de peau
l'imprécise douleur
d’une plante en bord de mer
quand l’épine qui la tire au jour
s’évase sous le pas
et lui offre la fleur des brûlis souterrains ?
Et comment suivre un rêve sans distraire ses images ?
Glisser dans ses sursauts
les garder indulgents?
Visage épine solaire
reins bourdonnant du sable aux hiers bleus de l'ombre
jamais je n’oublierai le froid contre mon dos.
Eclaircie preuve d'ombre
mais toujours ces membranes.
Le doute. Bien engagé.
Silence de lame.
Naissance à l'étouffée.
Tu ne sais plus pleurer
ces chagrins de paille où l’enfant se berce
étonné de ses larmes et presque joyeux
du pauvre caillou qui a défait le cercle
Tu ne sais plus pleurer
en aimant la beauté de tes gouttes
tandis que le vent couche
sur tes joues qu’un rien tremble
un au-delà du sel
Tu ne sais plus pleurer
tes pas ne sont plus libres
de leur pauvreté
Nul doute que
mon jardin peut être noir
d'une seule poignée de terre
Marcher
car personne ne doit infliger à la route
l’ignorance du pas qui pouvait cheminer
Hier la nuit a poussé un cri!
Peut-être un nœud qui s’est défait?
Pourquoi avoir dénoué la faim dans nos sommeils
d’un vent très simple
enrubanné aux arbres ?
Je crois que ce sont eux qui ont crevé le ciel
de leurs aubiers en flammes
et nous
bouche incendiée
Demain nous mangerons une lumière neuve
sans savoir ce qui s’est vraiment passé
Par le sang des saisons qui roulent sous la peau
par la douceur de l’eau plus douce que la rivière ancestrale
par les gorges venteuses et la douleur du ventre
je cherche de toute aube
l'oiseau du cri poussé
Mon bateau désossé mon bateau bois de danse
combien de fois combien la pluie interrogée ?
Mon bateau désossé mon bateau bois carbet
combien de fois combien
avons-nous traversé la forêt de nos peurs
aux arbres contractés sur les plaies jetées là ?
Petit battement des tempes serrées entre mes paumes
soie des plumes tendues sur la perte à venir
il a ouvert ses ailes en déchirant mes muscles
et ma gorge et ma voix
Petit battement du temps
une mésange bleue s’est posé ce matin au bord de ma fenêtre
restée longtemps
longtemps
on dirait qu’elle dort dans tous ses mouvements
Ailes froissées
le cœur si vif sous le plumage
les yeux
étranges et importants
Mais derrière la mésange
le ciel vitre brisée
sur des soleils étranges
me tend les fruits carrés
de l’hypothénue frange
Est-ce ainsi que naissent les étoiles?
Il suffit de trancher la glace devant soi
et planter un éclat dans le coeur
pour jaillir l'impossible lumière !
Est-ce la fin d'un monde ou son commencement
ces arbres sont ils morts
est-ce le ciel qui ment?
Quelques villages séchant entre deux lampes
et les étoiles vertes
qui fleurissent en cette saison
puis la nuit de la pleine Lande
tellement gelée la terre en ce pays
tellement durcie la terre sous les couloirs du vent
que le bas côté se tasse comme un chien battu.
.
Nous roulons loin des heures de fermeture
greffés à notre solitude
au bruit léger du vent glacé contre les vitres.
Et me voici dans ma cuisine
sous la lumière des paumes
l’eau des moments très simples
l’autre pan de ce soir qui presque ne bouge plus.
Peut-être sacrilège de rassembler ce qui n'était
que pour toucher et s’en fuir ?
Etre le seuil
la pente douce
où le pas du temps se pose.
Glisser
plus bas que la fin de la chute
franchir l’écorce
Emportant en mon âme
une idée de la blancheur future
glisser à l’ultime fontaine
près des corbeaux de feu
Glisser
Quand le soir vient mendier la lumière
les villages renversent
un feu sous les maisons
Dans le silence sur le côté des routes
ne reste alors que de l'étrange à raconter
La pente raide après un virage en angle aigu
des vignes au-dessus desquelles vole un couple de buses
posant au même endroit
midi
un carrefour en forme d'étoile très vieille
la côte qui monte douce entre les chais
puis la glisse
brutale
Sur la bute
un fléau où je laisse toujours
avec la pointe au ventre
quelques instants balancer ma voiture
Le temps d’imaginer que je vais tomber droit
et déchirer le vent qui souffle là
mais ce soir
un chevreuil.
Il allait lentement
traversant la chaussée comme un roi qui ne craint ni le noir ni la route
Il faisait une nuit
comme la nuit peut éclairer la nuit
Il faisait nuit sans lune et pourtant
je l’ai vu
entrer avec lenteur dans les longs rangs de vignes
le poitrail en avant
bombé
éblouissant
une fête blanche sous sa robe dorée
je rêvais de vendanges et de ce sucre en feu qui fait un creux
l'automne
après le grain mordu
J'ai quitté la rencontre avec le sentiment d’être devenue pauvre
d’être restée au bord
où je n’étais conviée
M’avait-elle invitée ?
Elle me tournait le dos
cela me ferait froid de ne jamais savoir
la blancheur de son ventre
ses yeux au coeur du coeur
la nuit qu'elle étirait
l'immense nuit
son ombre
au plumage nouée grande voile où le sombre
éblouissant
naîtrait
Elle marchait souvent au-dessus de ma tête
d'un pas simple glissant sur le bois des greniers
avant l'envol muet dans les grands ifs bleutés
qui ceinturaient le parc
Et je rêvais alors que nos rêves étaient comme des dames blanches
attendant que le soir dans une pièce enclose
leur ouvre les croix et
les emporte creusant des vents jamais osés
J'aimais ses battements
sans bruit d'elle mais lourds
sans regret des regards trop brillants dans la chambre
sans espoir de butin plus grand que cet instant
La suivre enfin
pour que mon coeur cogne plus fort dans mes poignets
Mais il y avait des murs
partout des murs
et partout des fenêtres
et partout des oiseaux à leurs proies embrassés
et des cadrans partout qui réclamaient leur dû
et là
sous mes cheveux
une issue refermée par les serres du jour
J’étais bien. J’avais peur.
Ai-je jamais eu peur ?
J’ai bu la vie
elle m’a bue
d’une gorgée à l’autre
sa blancheur m’œuvre encore
d’un souvenir de lait
Mais où dorment les mots
de l’intervalle obscur
sais-tu ?
qui noue
une gorgée à l’autre ?
Sombre déjà
et nos gorges muettes
Le ciel s'ouvrit
pendant la fleur
Du loin où nous étions
nous entendions des cris s'effondrant sur la mer
Au faîte du plus vieil eucalyptus
une chouette saluait
clandestine
l'herbe fraîche mouillée
un supplice
J’aime les campagnes simples
ces chemins qui trébuchent
hésitent puis se perdent avec modestie
les coques défendues des châtaigners l’automne
le parfum émouvant de la terre remuée
Arbres bras
repliés
comblés
sur une issue bleutée aussi floue que l’oiseau
qui déroule en son vol
la chaleur du mystère offerte à nos regards
Ce soir la campagne est triste
pleine de lâchetés
comme si elle s’était trompée de lumière
comme si elle ne voulait pas savoir
le nom des amours brûlées
à l'ombre des grands chênes l'été.
Parfois j’ai un automne au fond de mes pensées
le regard allongé du côté de l’été
je mâchonne le temps...
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