Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Par Viviane Lamarlère
Je l’avais toujours su. Mon destin s’inscrirait de l’autre côté de l’eau, loin des géminations de la crasse et du vent.
Le temps des liqueurs pourpres avait brodé mon ventre
aiguillées sans plaisir
sans dessein ni repos
je devinais ses lèvres qui ne savaient que prendre
écarteler
brûler
J’étais imperturbable au-dessus des volcans.
Vint l’ heure des forêts
que j'ai aimé cette heure aux collisions de miel
déclinaison de verts
de hurlements
de larmes
l’ombre des breuils dansants sur le couchis de terre
les feulements d’Eros dans la houle colline montant jusque ma peau...
Je buvais
dévorais tout cet incomestible qu’on nomme sensations.
J’aimais même la mort glissée dans les recoins de la vie capturée
goutte à goutte
précieuse
à la bouche des choses.
Toujours la résistance à imiter les autres. Une eau en moi disait, cotonneuse et confuse, qu’un jour viendrait où…
Ne rien perdre des trésors amassés
même si chaque seconde me rendait plus pesant
moins habile
moins prompt à me mouvoir
plus proche de mes colères.
J'ai laissé grandir paresse...
Quand naquirent les brasiers minuscules au cœur de chaque village, vifs et aventureux comme autant de regards dardés vers l'infini, quand le mince reflet de leurs étincelles a entamé ma chair, le mauvais m’a saisi. Et j'ai dû m'éloigner.
Mes frères s’amusaient à éteindre chaque petit foyer, sans doute aurais-je dû les imiter, me jeter sur le feu jusqu’au dernier charbon transformé en poussière ?
Un triste pressentiment me disait de rester à l’écart de ces jeux
Puis la pierre s’est offerte au ciseau, à la gouge
aux tourments du sculpteur ou bien de l'urbaniste. La misère grouillait
à chaque fois plus haut
sortait en flux des portes
sautait par les fenêtres.
De ce qui s’écroulait ils construisaient encore
insouciantes charognes.
Et mes frères et mes sœurs tombaient comme des soldats
avalés par la suie
rampant dans les égouts
chiffonnant les frimousses
grossissant les remugles aux abords de leurs villes
arrachant les dernières racines.
Mon ombre au-dessus d’eux flottait comme un drapeau
il ne restait plus d’arbres
il ne restait plus d’eau
il n’y avait que des bancs et des rues de bois mort.
J’étais encore là
posé sur des colonnes d'air étouffant et vicié de tant de souvenirs qu'on pouvait les toucher
Mon heure enfin venue
aux quelques survivants à la peau assoiffée
je ne pourrais offrir qu’un écran passager
entre l’étoile mère
et le sol craquelé
J’ai tenu tout ce temps pour accomplir ma tâche
et maintenir de l’ombre
une parcelle d’ombre et de fraîcheur secrète
et peut-être un espoir
Je suis le nuage qui…
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