Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Par Viviane Lamarlère
Août 1965.
Quai de Paludate sur le port de la lune.
Les hangars de la compagnie Delmas Vieljeux sont en effervescence.
La Douane de mer s’active.
Dans deux heures le Foucault décollera son flanc noir à la ligne de flottaison vineuse des vieux quais où autrefois s’endormaient en toute bonne conscience les bateaux négriers partant de Bordeaux. Il va rejoindre à son allure de vieux cabot l’au-delà de la terre, le versus de cette autre ligne tracée entre les vagues et dont la houle s’amuse à bouger l’alignement imperceptible des points.
C’est un paquebot à l’ancienne, pas un de ces mastodontes à la blancheur impersonnelle qui semblent vouloir s’enfoncer dans le regard au sortir d’une publicité pour des croisières soi-disant culturelles. Le château en est encadré de deux cheminées qui ronronnent déjà leur panache, sur ses trois ponts courent les femmes de chambres en uniforme blanc et noir. Des officiers penchés au-dessus du bastingage arborent cette nonchalance distinguée de ceux qui sont déjà amarinés. L’un deux vient enfin baisser cette corde qui nous sépare depuis quelques minutes de l’évasion.
La Passerelle bouge sous nos pieds dans un rythme curieux, mariage forcé de nos pas et du bercement de l’eau. Devant moi, une jeune femme vêtue d’une de ces robes très juponnées et fort serrées à la taille dont la mode a été lancée par quelques actrices en vogue. Le tissu noir, de sa tournure, son chignon banane et surtout le parfum qui la suit me plongent en subite et définitive adoration pour elle.
D’escale en escale, entre Vigo,Madère, et toute la côte Africaine, je m’attacherai à ses pas, sangsue enfantine et têtue, esclave de mon icône blonde et imperturbable, esclave pour toujours de ce parfum aussi léger, rare, puissant et
classe que le sillage d’un beau navire fendant l’équateur.
Août 1975
Première sortie au Grand Théâtre, je suis ce qu’il est convenu d’appeler une étudiante pauvre. Partagée à l’époque entre mes études de Chant et des études de russe, je penche de plus en plus dangereusement vers le bâbord de la musique et le ras-le-bol du cyrillique.
On y donne ce soir-là le vaisseau fantôme. Horreur de Wagner mais des amis m’y ont traînée pour me sortir de ma vie de rat de bibliothèque.
Juste devant moi, coulant de la nuque d’une spectatrice, le capiteux parfum enrobe ma peau de ses caresses, aussi fraîches qu’au premier jour. Mélange d’herbe coupée et d’écorces, d’agrumes ou de verveine, je ne sais analyser mais mon cerveau bégaye de bonheur, à me faire perdre tout préjugé et me rendre amoureuse d’une musique que j’ai découvert avec le temps plus subtile que ne pourraient le laisser croire ses accents martiaux.
Août 1985 :
Ma deuxième fille est encore petite, mais je ne suis plus l’étudiante fauchée qui s’enfermait dans sa chambre pour refuser de voir ces vitrines inaccessibles. Pendant des années, mon maquillage s’est résumé à un peu de jus de betterave sur les lèvres pour les rosir et carrément de la gouache sur les paupières avec un pinceau en martre le plus fin possible et dilué suffisamment pour ne par plisser la peau en séchant. J’ose désormais entrer dans une parfumerie. Ce jour là, après en avoir essayé jusqu’à l’écoeurement, je le retrouve enfin, sous un élégant habillage vert et blanc. Il est mien depuis…
Il réveille les odeurs de voyage, les envies d’amour, les faims de coulisses où se préparent les spectacles, les amours courtoises qui se muent en amitié…
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