Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Par Viviane Lamarlère
Les premières douleurs sont venues de la nuit
On ne peut pas s'y habituer.
On ne sait plus de quand cela date. Et les vieillards, les derniers à pouvoir raconter sont disparus. On ne peut que supposer.
Les premières douleurs sont venues de la nuit.
Nous vivions dans une sorte de magma lumineux, sans souci du proche ou lointain voisinage.
Nés à la prison du jour
à l’exil perpétuel sous un ciel sans étoile
le regard ne manquait de rien
on n’imaginait pas les morsures profondes de la satiété
les trous que cela crée.
C’est arrivé par les contours de la ville
en vrac et affamé
on ne les a pas vues
on s’en est aperçu en glissant sur les douilles des ampoules
quelque chose coulait sur le trottoir
regarde pas disait quelqu’un regarde pas ça va porter la poisse (des histoires de bonne femme)
La main dans les cheveux certains ont regardé
cette chose ramper sur les marches
sur les toits
dans les branches des arbres
Les bras les yeux fermés visages cadenassés
on a senti la Ville s'éteindre
hémorragie interne
Les premières douleurs sont venues de la nuit
dans leurs yeux habitués à ne voir que le jour
comme un membre fantôme
ils se disputaient pour savoir
pour comprendre
mal j’ai trop mal criait quelqu’un
et puis un autre et puis la foule
La deuxième douleur est venue de la crainte
cette blessure ancienne que les mondes prévoyants avaient cru gommer des esprits et des corps
allait on continuer d’avoir mal d’avoir mal
peut-être des choses que personne ne connaissait
alors ils ont trouvé un vieil homme
dont le temps se refermait doucement
lentement sur des parfums de joie
Il n’a pas l’air de souffrir dit l’un puis l’autre
soudain ce fut la pluie d’étoiles
la dernière douleur
crue comme une bête est montée sur leur front
a envahi leurs yeux habitués à la saturation de couleurs
un chemin d’étincelles a martelé la nuit
les étoiles avaient repris
leur lumière volée
Depuis c'est l'errance. Il ne reste plus rien.
En marchant en colonne comme un exode nous avons perçu au bout de nos doigts l'espace rétréci
les parois glacées et molles
on pouvait traverser qui voulait pouvait traverser.
Des couloirs des couloirs des couloirs des couloirs.
Nous avons compris qu'il y avait eu un séisme. Un plissement de terrain qui avait affecté l'espace-temps.
Peut-être qu'un suicide partiel aurait changé le cours des choses. Quelques uns ont préféré s'abstenir de poursuivre la route et ont sauté dans le couloir le plus proche, ils ne furent pas très nombreux, cela n'a rien bouleversé.
Surtout que dans la nuit on réapprenait à voir.
On voulait voir.
On a vu.
De part et d'autre à l'infini d'autres couloirs. Entre deux parois presque transparentes. Posés en parallèle.
On peut voir aussi loin que le monde s'est créé on peut voir déambuler l'ancêtre.
Et l'ancêtre de l'ancêtre de...
Les visages sont un peu déformés à force de s'appuyer sur la paroi pour deviner ce qui se passe de l'autre côté, les bouches sont étirées le cri qu'elles poussent se perd dans le temps mais on perçoit - plus qu'on entend - l'effet Larsen
Le pire c'est qu'il y a un après. On est quelque part, peut être pas au milieu exactement, mais on n'est qu'un couloir entouré de couloirs.
Et là... je préfère me taire. Fermer les yeux et les oreilles.
Les premières douleurs sont venues de la nuit
quelqu'un a dit que c'était pareil avant
mais qu'on le le savait pas à cause des lumières
on vit dans un couloir
Faut pas vouloir savoir.
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