Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Jamais la saison n’a été aussi belle. Dans mon jardin le froid qui s’est installé brutalement aide le pourpre à monter dans les feuilles qui y sont disposées, la plupart se contentant de dorer ou brunir, mais l’ensemble est de toute beauté.
Ce sont les vacances scolaires et comme beaucoup de personnes, depuis des années, je ne "pars plus en vacances" lointaines. Parce que j’ai assez voyagé, par souci écologique et parce qu'il arrive un âge où il convient de mettre en conformité ses idéaux avec ses actes, par besoin de m’ancrer quelque part, de consacrer du temps à ma région et plus largement ce pays merveilleux que je ne connais pas : la France.
Je voyage dans les jachères de fleurs pas loin de chez moi, dans les fossés, sur l'herbe de mon jardin qui recèle mille trésors, dans les vergers abandonnés où nous cueillons des pommes pour nos compotes et gelées d’hiver, sous les pierres magnifiques et blondes des chapelles romanes de nos régions, dans l’amitié aussi au travers des mots des autres, de leurs photos, de leurs propres voyages… toutes petites choses d’un prix inestimable. Et c’est une joie pour moi d’offrir en retour mes souvenirs ou mes chemins.
Pour d'autres.
Marasme
la haine de l’autre qui gronde en sous-sols…
la haine de soi ou d’une partie de soi
blanche de préférence
qui grandit chez certains de ceux que j’aime.
Pour d'autres.
Morsure du remords de vivre
honte de manger à leur faim
d’avoir un logis confortable du travail des papiers
une bonne santé
quand d’autres sont dans l’errance et la peur ou renvoyés chez eux
morsure qui va jusqu'à la complaisance à se mortifier
se mépriser d’être.
Rejet de la vie qui court en Eux.
Syndrome des rescapés.
Impasse mortelle à la créativité. A la responsabilité.
Comment être pour que cette culpabilité qui participe, quand elle n'est qu'occasionnelle, de toute relation humaine ( car aimer s’apprend en aimant, en blessant puis comprenant que l'on a blessé, en entrant en résonance avec la douleur de l'autre, en chutant et se relevant )
comment être pour que cette culpabilité ponctuelle et vivante
ne se transforme pas en culpabilité permanente et desséchante
mais en nourriture d’hommes et de femmes responsables ?
Qu’allons nous mettre en œuvre ensemble pour échapper à ce terrible danger de la culpabilité infinie ? Celle qui remonte à ces fautes que nous content les livres fondateurs ou aux crimes de l’histoire dont on voudrait nous rendre comptables aujourd'hui etc.
Ce sentiment de culpabilité-là, si nous n’en tirons pas quelque chose, donnera à chaque fois davantage un mauvais goût à nos existences, fera du nominatif un perpétuel accusatif.
J’ai peine.
Pour ces hommes et ces femmes constamment écartelés entre la dénonciation justifiée d'un monde injuste et le confort dans lequel le plus souvent ils vivent et dont ils ne savent plus s'éloigner. Leur grand écart permanent entre un système vomi au quotidien, et leurs réflexes d'occidentaux assujettis malgré eux à ce système. Entre leur conscience du monde et ce qu'ils tentent de se cacher à eux-mêmes, sans doute pour conserver intacte leur capacité de révolte.
Ravachol pensait que en détruisant une ville on détruisait aussi la pauvreté qui s'y plante. Est-ce cela, devenir humain? Non pas changer le monde, non pas le réenchanter, mais le détruire ? Table rase ?
Sortir de cette impasse. Fuir ce que Jankélévitch nommait à juste titre: " La passion chronique du remords et de la honte, la vie morale identifiée à la mauvaise conscience rétrospective en opposition à la conscience morale antécédante, toute tournée vers l'avenir. Echanger les certitudes de la conscience malheureuse contre la perplexité de la conscience inquiète."
Vivre. En cohérence avec nos convictions. A la fois dans ce monde pour y prendre notre part d'aide à autrui, pleinement conscients de nos privilèges au quotidien, ayant fait le tri lucide et sincère de ce qui au coeur de ces conforts nous reste indispensable et ce à quoi nous sommes prête à renoncer en nous tenant à l'écart des fausses lumières et tentations multiples.
Difficulté initiale: Accepter la frugalité. Tant d'autres y sont contraints. Conscients aussi qu'il y a du chemin à parcourir pour se rapprocher d'autres situations humaines qui étaient semblables et ont abouti à des choix radicaux et cohérents eux aussi.
Des couples amis, révoltés contre cette société d'injustices et de profits de quelques uns aux dépens du plus grand nombre. Ils nous donnent exemple d'un vivre autrement. Ont su mettre en accord leurs convictions et leurs propos avec leur mode de vie.
A jamais en paix avec eux-mêmes.
Extrême difficulté matérielle de leur quotidien de retraités ayant renoncé à nombre des mirages de cette société
douceur exemplaire et non résignée de leur vie de tous les jours
aptitude intacte au partage et à l'indignation généreuse.
Ils passent huit à dix mois par an dans des pays pauvres en Afrique ou Asie
pour aider à l'alphabétisation ou la santé publique
anciens instituteurs, anciennes infirmières ou médecins.
Petites actions anonymes mais qui permettent à des hommes et des femmes de pays démunis de surmonter des difficultés dont le rêveur occidental d'un monde meilleur n'a aucune idée.
Tant d'autres en Europe ou en France, si régulièrement salis d'indignes anathèmes, qui donnent aussi d'eux-mêmes à deux pas de chez eux, dans la modestie et le silence. Permettent ainsi à ceux que la société rejette de faire un premier petit pas vers l'autonomie, ne serait-ce qu'en étant capable de comprendre la langue d'un pays inconnu.
On me rétorquera que les gentils blancs ont besoin de leurs pauvres pour se donner bonne conscience... Objection rejetée.
Rêver au chaud chez soi un hypothétique grand soir en remâchant la nourriture bien amère de la haine de soi ?
Ou vivre la joie, toujours remise en chantier, de constater que ici et là, grâce à de tous petits gestes des êtres proches ou lointains affrontent leur vie dans de meilleures conditions?
Est-ce avec de grandes phrases que l'on guérira l'Afrique de ses plaies ou en mobilisant la collectivité autour d'actions ponctuelles et réussies et en exigeant une totale transparence des échanges entre pays riches- pays pauvres?
L'utopie ou le cambouis? Non. Autre chose. Parce qu'on a besoin de rêve et d'action. Parce que chacun peut apporter sa pierre à l'édifice. Dans le respect de l'autre et de soi.
Pourquoi avoir honte de prendre des vacances bien méritées? Pourquoi avoir honte de posséder une maison si cela est le fruit d'un travail? Et à supposer que la honte ou le remords aient un pouvoir, nourriraient-ils le monde? Non. Apporteraient-ils des solutions aux problèmes de la faim ou de la santé publique ou des guerres innombrables passées, présentes et à venir? Non. Ils ne sont que poids, énergie négative. Tout au plus et à petite doses réveillent-ils des consciences endormies. A haute dose, ils saturent la conscience du culpabilisateur et du culpabilisé. Pire, ils acculent le culpabilisé à culpabiliser à son tour en un cercle sans fin dont il faut bien sortir.
Quoi de plus culpabilisant et déstabilisant pour qui est, a priori, en confiance, que de constater que certaines de ces personnes qui consacrent - par exemple - du temps à dénoncer le pillage des matières fossiles ( je pense entre autres à Dominique Voynet) ne trouvent rien de mieux que de s'offrir trois ou quatre fois par an un beau voyage à l'étranger?
Culpabilisant parce qu'émanant de personne sensées faire autorité et dont le propos convaincu et qui rend chacun de nous responsable donc coupable des dérives collectives leur tient lieu de compétences et de moyen de pression.
Déstabilisant parce qu'elles nous mettent le nez constamment sur le décalage entre leurs voeux pieux et leurs actes.
Limite injuste ou injurieux pour ceux qui, eux, ne peuvent pas ou ne veulent pas partir.
Nous avons besoin de ces hommes et femmes toujours sur la brêche qui relayent pour nous l'information et sont comme des guetteurs. Parce que nous croyons en la réelle beauté de la révolte. Quand elle se dit dans la dignité.
Mais de grâce
cette colère juste
cette révolte noble et pour certains, quasiment de chaque instant,
ce rêve de grand soir égalitaire auquel vous avez le droit de rêver
ne les souillez pas d'autoflagellation
ou alors sachez lire ce qu'elle est
en quelle détestation de soi elle s'ancre
Nous sommes tous contradictoires. Regarder nos contradictions en face, pour les dépasser, c'est cela devenir humain.
Accepter que nous ne pouvons être responsable que de ce qui est à notre portée, à notre mesure, c'est cela devenir humain.
Réaliser les raisons de la mortification, c'est s'ouvrir le chemin vers ces lieux de resourcement où tout être qui s'engage en un combat - quel qu'il soit - a besoin légitime de se poser de temps à autre. De jouir sans remords de sa jouissance.
Une autre voie. Qui échappe au charme presque exotique de la lutte ostensible et martyre contre toutes les douleurs du monde.
Qui échappe à la tentation de se transformer en agence de presse avec son corrolaire inéluctable: le zapping de l'information, sa superficialité, l'absence de recul et d'esprit critique.
Qui échappe à la honte et au remords. Une conscience humaine ne peut porter seule des culpabilités anciennes et collectives.
Une autre voie qui soit d’attention vraie à l’autre et non à la peur de manquer à l'image que l'on veut se donner à soi même.
Une autre voie se souvenant
que l'amour ne réclame rien
mais aussi de cette belle phrase de Frère Jean :
« L’amour du proche pressent la demande de l’autre. Celui qui oblige l’autre à demander son dû le rend mendiant. »
Une autre voie se souvenant que la mésestime de soi conduit l'autre à ( se ) poser sans cesse la question: " Cet être que j'aime mais qui à l'évidence ne s'aime pas, peut-il m'aimer?"
Et je ne peux ici m'empêcher de penser à deux de mes anciens élèves, constamment en échec scolaire et relationnel, dont les parents se questionnaient à peine, ne se rendant pas compte que leur laxisme éducatif, leur haine de soi, de leur propre pays et leur propre couleur de peau ne pouvaient qu'enfermer ces pauvres gosses dans la reproduction du chaos et de la destruction souhaités par leurs père et mère.
L'un est à l'hopital psychiatrique suite à des défonces inouïes, l'autre a fini par se suicider pour échapper à l'absence de repères. Leurs parents en sont encore à accuser la société... alors que ces enfants n'ont fait que tenter de leur faire plaisir en payant dans leur propre chair cette destruction du monde à laquelle eux- adultes - aspiraient. Qu'aurions-nous dû écouter pour réconcilier ces adultes avec eux-mêmes avant la catastrophe que nous pressentions tous?
Etre à la fois révolté et heureux. Indigné positif. Insurgés joyeux repoussant nos limites, non pas vers un peu plus de sentiment de culpabilité, mais un peu plus de liberté de dire non. Sans être en permanence écartelés entre le confort dont nous ne savons nous passer - et c’est humainement légitime et non condamnable - et celui que nous rêvons pour autrui. Sachant nos limites, nos boues, nos égouts, nos blancs et noirs et gris.
Transformer le monde par petites touches qui rompent avec le déjà fait déjà envisagé. Inventer. C'est toute la difficulté. Se trouver et se maintenir dans un espace qui soit à la fois celui de l'indignation et de la raison créatrices. Dans la joie de vivre.
Est–il possible d’imaginer que le capital bonheur qui nous est donné en partage, si souvent abîmé par les accidents de la vie, nous l’utilisions à autre chose qu’à nous mortifier ? A nous engloutir dans l'insondable?
Respecter. Chacun avance à son rythme
mais
la vie
la vie avant toute chose