Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Cette histoire là, l’ai-je rêvée, l’ai-je vécue ?
Est-elle tombée du ciel comme les pommes de pins tombent parfois des arbres ?
Elle se passait il y a très longtemps au cœur de l’Europe, à une époque où malandrins couraient la campagne.
Sonja et Ivan habitaient le tout petit village de Snieg, tout en haut de la montagne, si loin de tout que rien ne leur manquait. Sonia attendait leur premier enfant, la Mâtrone était morte et les femmes de leur hameau lui répétaient chaque jour:
" Tu dois aller voir le médecin à la grande ville, tu ne pourras pas mettre au monde ton petit comme le font les chèvres ou les brebis, va à la grande ville ! Et ramène ce qu’il faut pour le jour de joie car nous n’avons plus de toile fine et de pansements, que nous puissions le moment venu t’aider au mieux …"
Et comme on n’a rien sans rien, ils partirent tous deux, le dos chargé de ces fromages qu’ils fabriquaient pour le village tout au long de l’année, en compagnie d’Oleg, leur meilleur ami.
S’il faisait frais au petit matin de leur départ, au fur et à mesure que la journée avançait la chaleur s'allongeait entre les pins et Sonja et son ventre réclamèrent une sieste à l’ombre.
« Soit, lui dit Ivan, dormons tous trois, après tout nous ne sommes plus très loin et puis personne ne nous attend vraiment… »
Oleg ne savait pas dormir loin de sa paillasse. Il savait par cœur les histoires de bandits qui vous détroussent l’âme avant de vous percer le ventre et resta adossé contre un grand pin à regarder ses deux amis, ému d’imaginer cette vie qui poussait comme pousse le chemin.
Soudain, il vit une chose étrange. Des pommes de pin tombaient d’un arbre en face de lui avec une lenteur indicible, aussi légères en apparence que des feuilles l’automne.
Il se gratta le front, se frotta les yeux… rien n’y fit.
Et comme il se pinçait
pour vérifier
que lui-même ne s’était pas endormi
l'une d’elle vint d’un mouvement gracieux
lui taper sur l’épaule avec un petit bruit.
Il bondit en criant et réveilla ses deux amis.
" Comme c’est étrange ce que tu me dis là, lui répondit Ivan quand il leur eut raconté la scène, comme c’est étrange… j’ai justement rêvé de pommes de pins qui tombaient en dessinant de jolies courbes… "
" Et moi aussi, moi aussi, dit Sonja toute excitée, j’ai rêvé d’un trésor enfoui au pied de l’arbre ! "
" Creusons, vite creusons ! Votre fortune est faite hurla Oleg "
" Mais non, que dis tu? Notre fortune, c’est ce beau ventre rond ! Et puis creuser comment ? Avec quoi ? Avec mes fromages ? Allons, allons, Oleg, tu perds le pensement, il se fait presque nuit il faut reprendre la route... ce n’était qu’un rêve à deux… Il veut juste dire que nous nous aimons !"
Oleg se savait souvent impulsif et l’amitié très respectueuse de sa nature que lui offrait Ivan valait tous les trésors du monde.
Ils repartirent.
Mais derrière les futaies un voleur était caché qui avait lui aussi assisté au prodige et très vite compris que ces deux pensées en sommeil parlaient quelque chose de vrai et bien sonnant.
Il creusa et creusa et finit par trouver une cruche remplie de pièces d’or, la brisa et s’enfuit en laissant les morceaux sur le bord du chemin.
Pendant ce temps Oleg ne cessait de se faire des pinçons bleus et se frotter les yeux, car dans leurs moments de rêverie, les images, quoique moins précises, de ces pommes de pins tombant comme des feuilles réapparaissaient au-dessus de la tête de ses deux amis, sans qu’ils semblent en être eux-mêmes affectés.
"Je n’y tiens plus ! Vendez-moi votre rêve ! Vendez moi votre rêve ! Il y a un trésor sous cet arbre, il faut que j’y retourne ! "
" Oleg, mon vieil ami, c’est bien parce que c’est toi, mais tu me paieras au village. Je n’ai aucune idée du prix d’un rêve, comment veux tu que nous décidions de ce marché, je ne sais vendre que des fromages, peut-être me le dira-t-on à la grande ville ? Retourne sur tes pas … Et ne te perds pas dans le trou que tu auras creusé… " lui répondit Ivan en riant.
Oleg regrimpa le chemin comme on ne peut imaginer qu’un bouquetin le fasse, si vite que la dernière lumière du soir s’enroula en spirale autour des arbres et resta là, immobile, à une heure où il est d’usage qu’elle rentre lentement dans ses appartements.
Quand il arriva sur les lieux et qu’il eût vu la cruche cassée, il fondit en larmes… c’est alors que son rêve éveillé vint flotter à portée de ses yeux.
" Première, bien d’autres, première, bien d’autres. "
Les lettres de cette phrase qui tournait en boucle derrière son front s’enfuyaient aussi vite qu’elles s’étaient montrées, allaient se poser sur les arbres alentour, puis tombaient en décrivant des cercles avec une lenteur majestueuse.
Il faisait nuit mais ses yeux étaient de chat, ses mains étaient puissantes, il ne craignait pas de se faire mal aux doigts, de rencontrer serpent ou animal dentu.
Il creusa sous chaque arbre et quand tout fut fini, il se posa et attendit, les yeux ouverts et le corps en alerte, le retour de ses deux amis.
Ce n’est qu’au milieu de la journée suivante, à l’heure ou le soleil commence à cogner qu’ils le réveillèrent. Il s'était endormi en serrant entre ses bras et ses jambes les quatre cruches trouvées.
" Oleg ! Oleg mon garçon, tu avais donc raison ?
Mais qu’allons nous faire de tout cet or ? "
"Achète- le moi le prix que tu aurais aimé que je t’en offre. "
"Je ne peux pas, Oleg, je ne sais pas compter, je ne suis qu’un humble marchand de fromages qui échange ses produits contre d’autres produits, je ne sais pas compter en pièces d’or. "
Ils restèrent tous trois silencieux.
Puis leur rêve à tous trois se matérialisa devant leurs yeux. Les cruches étaient encore en terre, intactes, inviolées, comme leur amitié.
"Nous aurons peut-être un jour besoin pour tout notre village de cet or, mais pour le moment nous avons besoin de nos mains pour remettre ces cruches à leur place " dit Yvan.
Ils n’eurent jamais à se plaindre d’avoir refusé cette tentation là.
Car le voleur qui avait dérobé la première cruche
passa le restant de ses jours à chercher un endroit
où cacher son butin
et un soir où enfin il crut l'avoir trouvé
ses rêves de richesse éternelle tombèrent à leur tour
en dessinant de belles courbes voluptueuses
au pied de l'arbre coffre
derrière lequel était caché un autre malandrin
Il découvrit
trop tard pour lui
que l’or porte grand malheur à celui qui ignore que c’est en soi
qu’on le fabrique
et non avec les rêves des autres.