Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Par Viviane Lamarlère
Quand j'étais petite
à cet âge où on a peur du vent qui souffle peur de tomber en arrière
d'être mangée par l'escalier
il n'y avait que du vrai lait vendu en bouteilles de verre consigné
- en Afrique peut-être du lait de zébu -
et en France c'est mon grand-père qui allait chaque matin
le chercher chez le voisin dans des grands bidons en aluminium
( avec lesquels maintenant on fait des vases très à la mode )
Du vrai lait au goût très puissant
même lorsque ce n'était qu'une vache autochtone
musique de noir sur blanc
et cornes pas trop envahissantes
Je l'aimais bouillu
comme disaient mes grands-parents
bouillu-foutu
ce n'était pas très important
car ce qui m'intéressait
dans le lait
ce n'était ni son goût
ni sa couleur que je tranchais de chocolat
ni son épaisseur jamais retrouvée dans les packs de faux lait d'aujourd'hui
sauf lorsque je propose un chocolat maison à mes filles
(cacao + jaune d'oeuf + sucre + lait à cuire doucement)
Je l'aimais bouillu
pour sa peau
innocente peau
j'avais idée que cette peau séparait l'esprit de la matière
du lait
la matière c'était ce que je buvais
l'esprit ce qui s'envolait de parfums et d'humide en volutes du bol
j'étais toujours étonnée
et le suis restée
que d'un liquide coloré à ce point s'échappe à chaque fois le même type de vapeur fumée mais sans teinte en rapport avec son origine
toutes les âmes sont identiques
Ce que je préférais dans cette peau
outre le fait qu'elle était séparation de deux univers sans preuve
c'était sa soumission à ma méchanceté
je prenais tout mon temps
c'est difficile de trouver un angle d'attaque dans le cercle du bol
alors je l'attaquais par le milieu
quelle réjouissance pour un général d'encercler sa victime en la prenant en plein centre!
Quand la perçure s'engorgeait de liquide
cela dessinait comme un soleil de plâtre
oh quelle magie
il ne me restait alors
du bout de la cuiller
qu'à plisser doucement cette peau
ramener ses rides en son centre et la voir s'effondrer sous son poids
pour finir
se noyer
Je la repéchais alors
on ne sais pas de quelle manière étrange s'exprime au fond de soi le grand désir de mort
d'autrui
quel qu'il soit
Comme je ne pouvais tuer personne
- mes flèches n'étaient jamais sèches et trop peur de les abîmer au contact de certaines mauvaises victimes -
je forçais à vieillir sous mes yeux
cette peau innocente
et le temps
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