Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Asseyez vous, il reste encore de la place sous le baobab…
Il y a si longtemps que nul ne pourrait dire quelle était alors la couleur du ciel, on sait seulement qu’il faisait aussi chaud qu’aujourd’hui.
Il y a très longtemps, dans la savane, l’homme et les bêtes vivaient ensemble dans le même non-village. Quand je dis village, il ne faut pas croire ni même raconter tout de suite après moi qu’il y avait maison, qu’il y avait route, qu’il y avait pont.
Il ne faut rien raconter de ce que je vais vous dire, juste le garder pour vous le temps de le mûrir et ne le dire que quand vous serez sûr de transmettre sans écarts.
Donnez-moi un peu d’eau..
Il y a très longtemps l’homme habitait dans le même non-village que les plus grandes bêtes.
On ne sait plus aujourd’hui ce que sont les grandes bêtes, car elles se cachent derrière les feuilles de banian. Mais autrefois ces bêtes se promenaient ensemble dans la savane et se répartissaient les taches.
Au léopard les taches rondes, Au zèbre les taches rayées,
A l’éléphant les taches d’ombre immense sous le soleil,
A l’homme… à l’homme… ?
Rien! Car il était très paresseux et ne pensait qu’à faire de la musique avec sa bouche ou avec une sorte d’arc.
Les animaux qui n’étaient pas encore sauvages allaient tous les jours chasser pour ramener de quoi préparer le foutou.
Léopard ramenait gazelle, Zèbre ramenait de l’herbe et Eléphant des tonnes d’eau dans son tuyau.
Et l’homme appréciait sans trop s’en faire le travail des autres en mangeant sa part, petite, mais part quand même.
Un jour les animaux se réunirent en secret et chacun y alla de son couplet :
-Léopard : j’ai grande faim de manger cette bête inutile.
-Zèbre : j’ai grande envie de botter le derrière de cette bête inutile.
-Eléphant : j’ai grande envie d’écrabouiller cette bête inutile de mes pattes épaisses, de me rouler sur lui et ens..
-Léopard : arrête, n’en fais pas trop, ça va salir la brousse. Mieux vaut négocier.
On ne sait plus aujourd’hui ces choses-là mais Léopard négocie mieux que Singe, d’ailleurs, il a de plus grandes dents.
Ils se rendirent donc à la non- habitation de ce non-village et dirent solennellement à Homme :
A partir de maintenant et de dorénavant, si tu veux manger, il faudra que tu chasses toi même ta pitance, nous nous mettons en plage.
Homme était très étonné de ce langage tout neuf, mais cela ne sembla pas le désarmer. Il s’en fut, tranquille avec son outil musical sous le bras.
Et le voilà qui revient quelques heures plus tard avec une biche sur les épaules.
-Grande nouvelle, dit Léopard, cette bête à deux pattes était fourbe en plus d’être paresseuse, elle nous avait caché ses pouvoirs. Comment a-t-elle pu attraper une proie aussi grosse qu’elle alors qu’elle est nue et quasiment sans défense ?
-Je propose de demander à singe et à mangouste de la suivre dans la forêt. Singe grimpe bien aux arbres et Mangouste est très affûtée du côté des yeux.
Et voilà nos deux ennemis jurés qui s’en vont dans la forêt, car il faut que vous sachiez que Singe et Mangouste se détestent.
A la fin de la journée, ils reviennent, chacun courant très vite pour être le premier, le premier à dire la mauvaise nouvelle.
-Singe : l’Homme a tué une biche tout seul.
-Mangouste : Oui, tout seul.
-Il lui a suffi de tendre le bras et la biche est tombée !
- Oui, tendre le bras, comme ça...
-Tu n’as pas de bras, tais toi.
Il n’y avait pas que son bras.
- Mais si !
…
Les bêtes-Pas-encore-sauvages étaient très étonnées de ce rapport.
-Léopard : cet homme est parti avec son outil à musique qui ne fait qu’un seul bruit. La biche sera morte d’effroi en entendant cet horrible son.
-Je m’en lave les mains, dit le singe qui depuis ne fréquente plus personne, ce qui est très malin de sa part.
Le lendemain, alors que l’homme était de nouveau parti en chantant des choses aussi laides que le son unique de son outil à musique, les animaux Pas-encore –
sauvages se réunirent en se grattant le menton. Et restèrent ainsi, silencieux et perplexes tout le long du jour. Quand ils virent l’homme revenir portant sur les épaules une magnifique biche toute neuve, ils ne purent s’empêcher de lui demander d’où lui venait ce prodige.
-J’ai ma façon, dit l’homme, qui ne vous regarde pas.
Et il s’en fut dans son coin se préparer le foutou qu’il ne partagea avec personne, ce qui prouve qu’en plus d’être fourbe et paresseux il est ingrat.
-Voilà une mauvaise nouvelle pour l’ambiance de ce non-village, dit Léopard. Mangouste, tu suivras demain l’Homme et regarderas d’un peu plus près.
Le lendemain Mangouste courut encore plus vite sur le chemin du retour alors qu’elle était seule et n’était pas obligée de gagner, et leur répéta ce qu’elle leur avait dit la veille.
Et les bêtes-Pas-encore-sauvages mais qui n’allaient pas tarder à le devenir cette fois-ci se grattent menton, oreilles, yeux et taches. Et décident, sans se concerter car ils sentent bien que désormais va régner la loi de la méfiance et du chacun pour sa propre lutte, et décident de se cacher afin d’observer sans être vus.
Et l’homme revient
Portant sur ses épaules un phacochère et dix lapins
Au moins.
Pour les faire tomber,
Il se penche un peu et ça fait un grand bruit
Qui fait sursauter même les herbes
Et écarte un peu les branches d’arbres.
C’est alors qu’il aperçoit les yeux effrayés des Bêtes-en-train de devenir sauvages.
Il éclate de rire et leur crie :
-Je vous ai vu ! A quoi jouez vous ?
Puis, tendant le bras vers l’éléphant …
Et il n’a pas le temps
De terminer son rire
Que les Bêtes–pour-toujours-sauvages se sauvent dans la forêt d’où elles ne sortiront plus.
Ont-elles compris depuis que l’homme se fait grande gloire à leurs dépens de ce qui sort de sa bouche et de son instrument à une corde qui en vaut plusieurs?
C’est une autre histoire…