Quand j'étais enfant, se tenait dans le parc de la maison de famille, Jautan, tout proche des appentis, un chêne. Énorme, rongé de vers et vermine, troué comme du gruyère, dont les blessures comme des tunnels attiraient les nôtres et même nos mains aventureuses. Voisin d'un vieux pommier dont les fruits nous étaient gourmandise, il en a entendu des chagrins et des rires... Il se disait dans les patelins voisins qu'il avait connu le bon Roi Henri.
Tous les ans revenait à la fin de l'été le refrain maudit du possible abattage de cet arbre qui devenait dangereux, et tous les ans, après deux heures de controverse, il était décidé de surseoir encore un an à son sacrifice. C'est que, chaque année une branche repartait, là où on ne l'attendait plus. Cela ouvrait des espérances et disposait à l'indulgence sans doute. Lorsque je retournai il y a deux ans en "pélerinage" vers cette maison, vendue depuis, l'arbre avait fui. Je ne peux imaginer qu'il ait été sauvagement découpé. Non, cet arbre avait senti ce qui pesait sur lui et à la nuit tombée, avait gagné à juste temps des lieux moins hostiles... L'avoir tant aimé avait nourri sa sève au point de lui donner des jambes ou des ailes. Mais posant les yeux sur l'endroit précis où s'était déroulée une grande partie de mon enfance, j'en gardai le coeur et le regard serrés. Mon été se promène en compagnie d'un délicieux livre.
J'ai succombé à ses charmes dès la première phrase de sa préface:
" Enfants, à qui ce petit livre s'adresse, dites vous que votre plus grand trésor sont vos deux yeux. Ils sont là, sous votre front. Vous pouvez les effleurer de vos petites mains et les regarder dans un miroir. Ils sont bien à vous, que vous soyez riches ou pauvres. (...) Ne prenez aux taillis et aux bois que leur ombre. Laissez - en croître les rameaux librement et n'arrachez aucune feuille par vain plaisir. ( ... ) On vous apprend à l'école l'histoire des héros qui ont vécu où vous vivez. S'il ne vous est point donné de les imiter dans leurs grandes actions, vous les pouvez suivre dans leur vie quotidienne: regarder la terre et le ciel avec des yeux aussi émus qu'eux les ont regardés..." Quelle ne fut pas ma surprise, arrivée au dernier mot de ce préambule, d'en lire la signature: Émile Verhaeren. Mon coeur d'enfant avait ressenti avec une émotion profonde les intonations subtiles et douces de cette voix aussi simple qu'une rivière glissant entre de beaux arbres. Emile Verhaeren... Lisant la page suivante, alors que j'étais encore dans ce sentiment presque charnel de douceur et de musique, m'atteignaient à leur tour les mots de Louis Piérard :
" L'un de ces poètes, justement glorieux, a bien voulu nous donner pour la mettre au seuil de cette anthologie, une page inédite. Il en est d'autres dans ce recueil. La voix de ce géant s'est faite douce ( c'est moi qui souligne) pour parler aux enfants à qui surtout le livre est destiné. Elle leur dit que les arbres sont beaux, qu'ils sont indispensables à la vie de notre planète, qu'ils donnent à l'humanité des leçons de la plus haute sagesse, qu'il faut les aimer, comme il nous aiment, les respecter, les protéger.( ...) A la bande des ennemis conscients ou inconscients de l'arbre, spéculateurs ou féroces utilitaristes qui sous prétexte de progrès ont la haine de la nature, à ces malfaiteurs qui menacent à chaque instant la vierge beauté du monde, s'oppose l'armée de jour en jour plus nombreuse des amis, des protecteurs des arbres. " Les larmes me sont venues, car je n'ai pu qu'imaginer la détresse de ces deux Poètes s'ils revenaient aujourd'hui, et constataient de quelle piteuse manière furent suivis leurs conseils ... " La fête des Arbres " nous dit-il, sitôt que son ami Emile a posé le dernier point de sa préface. Voilà à quoi il nous convie, à un festin poétique et citoyen entre les pages duquel s'intercalent de très jolies phototypies de toiles de Maîtres, en noir et blanc sur papier glacé. Comme cette peinture de Victor-Olivier Gilsoul ( Le tournant du canal de Bruges à l'écluse) est vivante et combien on sent l'amitié de l'auteur pour cette toile qui illustre à merveille la paix que nous offrent les arbres.
Il y aurait à dire de cette oscillation tangible des troncs d'arbres que le peintre a saisie, comme s'ils étaient à la fois eux et leur propre reflet dressés aux berges d'un canal tranquille...Que de lumière sur cette représentation de la nature :
Au fil des pages que je feuillette comme on vient se reposer sous un arbre Ami les jours de grande chaleur, j'ai ainsi lu un plaidoyer de Maurice Barrès " Aimons les arbres ", un article extraordinaire de E.A.Martel, La marche à la Lune, ce vers quoi nous précipitons notre planète si nous ne faisons entendre raison au pastoraux et aux industriels, écrit en 1908 et jamais écouté.
Ici un extrait d'un très beau poème d' Adolphe Retté, que je ne connaissais pas: Louons les arbres d'être beaux et de bruire
Si doucement dans les vergers et les bois
Rameaux éoliens ou le ramier soupire
Branches frôlant les tuiles brunes des vieux toits. Marcel Prévost, Charles Doumier, Jean Moréan, Jean d'Ardennes, Pierre Loti, Michelet, Lamartine, Renan, Maeterlinck Hugo, Gauthier... j'en passe, deux cent et huit auteurs connus ou moins connus mais dignes d'être lus, tous.
De grandes rubriques toutes emplies de poèmes, d'articles instructifs ou militants rendent ainsi hommage à nos frères du vivant: " Aimons les arbres parce qu'ils sont beaux, Les leçons de l'arbre, Aimons les arbres parce qu'ils sont utiles, Tous les arbres, rubrique délicieuse qui nous fait voyager du plus grand au plus humble, des forêts à la ville, d'ailleurs la rubrique suivante s'intitule La forêt, le jardin, le verger, puis le si beau poème de Verlaine sert d'entame à un autre parcours: Voici des fleurs, des fruits, des feuilles et des branches, Les heures et les saisons, L'arbre dans la mythologie, le folklore et l'histoire, L'arbre blessé et l'arbre mort, L'arbre dans l'art, Ennemis et amis des arbres..." Ci-dessus, le décor de l'Oiseau Bleu de Maeterlinck peint par Charles Doudelet
Y reconnaîtrez vous le genévrier, le pin parasol, le sapin, le cyprès ?
Je suis à chaque fois que j'en ouvre une page
profondément émue de ce prodigieux trésor
qui s'est donné dans l'ombre de l'Amitié à mon regard d'enfant. Ce livre-là, qui témoigne d'un goût exquis
en amoureuse des vieux livres mais aussi des arbres
je vous promets de le recopier page après page sur mon blog
dans une rubrique qui lui appartiendra
pour le plaisir du partage et de la réflexion
parce que je crois cela plus important que jamais dans ce désert qui croît
parce que sous ses pages jaunies
dans l'intention de ses parfums
il est encore vivant et il doit le rester
et seul votre regard...
D'ailleurs, sauriez-vous me dire de qui est ce délicieux poème dont je vous cache les dernières strophes?