Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Dans le premier étang du monde les Écrevisses nageaient heureuses.
En ces temps là, les affaires de l'univers étaient molles
mou le fond de l'étang
mou le paysage qui l'entourait et dont les hôtes de l'eau ignoraient tout
mou le caillou encore en son enfance entre quelques herbes aquatiques
mou le noir qui enrobait ce qu'un jour quelqu'un nommerait le " ça "
mou le corps des Écrevisses
dont le ça qui les baignait décuplait les jeux et l'imagination
laquelle n'est autre qu'une forme de connaissance
Tout allait bien.
Un beau matin...
Un beau matin Caillou découvrit que sa peau n'était plus aussi souple et accommodante aux jeux des Écrevisses qu'elle l'avait été jusqu'alors. Croyez-vous que cela lui fit de la peine?
Paaaaaas du tout !
Au contraire, il se sentit dépositaire d'une connaissance à lui seul réservée !
Dans cette ombre sauvage où tout mollêtre pouvait sans l'annoncer devenir un obstacle au ça-voir, les Écrevisses découvrirent qu'être mou n'est pas toujours un avantage.
Peu à peu, par la seule force de leur pensée et aussi de l'usage, leur corps tendre se recouvrit d'une cuirasse. Et elles y prirent goût, les vilaines.
Ah... jouer dans la nuit de l'étang le premier du monde sans se blesser au moindre caillou.
Mais dehors... dehors...
Penchés au-dessus de l'étang le premier du monde des êtres à la peau nue écoutaient ces entrechoquis entrechocracs à peine étouffés par l'eau sombre.
Comme ils étaient malins, ils attrapèrent quelques unes des pauvres bêtes et sur le feu qu'ils venaient de découvrir quelques ingéniosités plus tôt, les mirent à cuire.
Ô merveille des merveilles!!
Sous la langue de la flamme la chair des animaux devenait goûteuse et surtout leur cuirasse d'un rouge si rutilant que le plus rapide et musclé de ces êtres se saisit des débris abandonnés autour des cendres. Il s'en fit un collier puis vociféra jusqu'à ce que ses compagnons et compagnes se prosternent devant lui.
Celui là devint chef et ses fils à sa suite et ainsi alla le monde, les êtres nus se recouvrant d'une carapace plus au moins épaisse au fur et à mesure qu'ils subissaient le pouvoir de leurs chefs et du temps .
Hélas pour la suite de l'histoire, les Écrevisses eurent l'idée saugrenue de se munir de pinces et autres attributs pointus fort désagréables à qui était resté réticent à devenir rénitent ( j'adore ce mot ) .
Et les voici en grand tapage et farouchant les petipoissons de leur rostre.
Comme par enchantement et sans doute parce que tout ce qui vit communique,
au même moment sur la terre ferme, les êtres inventaient mille objets pointus, écrasants, coupants, vies sciant, trompettants et trompant, à chaque fois plus méchants de leurres.
Et chacun persuadé de pouvoir posséder l'autre. Avant d'être obligé de peau-céder à son tour.
Bousculé de guerres comme la vase d'étang le Premier avait été bousculée de combats inutiles contre un caillou innocent, le monde avalait la lumière, l'air, les herbes, les bêtes et les forêts.
Tout était devenu sec et dur et irrespirable.
Essayez de respirer quelque chose de dur, vous m'en direz des nouvelles...
Une nuit, penchés au-dessus de l'étang le Premier du monde
des hommes femmes et enfants épuisés de cette longue marche et du poids de leur certitudes sans compter celui de leur armure
se questionnaient soudain...
Qui avait poussé leurs frères en humanité
à préférer la course inconséquente et guerrière au S'Avoir
plutôt que la lente et sage promenade dans les bois feutrés de l'Être ?
A l'instant même où ces pensées atteignirent la tiédeur nocturne de la vase
les Écrevisses, ayant enfin compris qu'à chaque fois qu'elles imaginaient quelque chose, celle-ci naissait quelque part, se défirent de leur cuirasse.
Et les humains en firent autant.
Sous l'Etant le plus vieux du monde
les aigres vices voyaient leurs heures comptées...