Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Salamandre


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    Quand j’étais enfant et que nous rentrions en France pour six mois après deux années de séjour en Afrique, nous découvrions le froid.
La neige tombait à l’époque plus fréquemment dans le Sud-Ouest , les hivers étaient rigoureux, et notre grande maison de Jautan mal chauffée en dépit de la profusion de cheminées et de poêles.
Dans le grand salon trônait une salamandre. J’aimais au soir tombé voir mon grand père la nourrir de bois, les braises rougir jusqu'à exploser puis tout doucement le feu s’éteindre et ne laisser derrière ses incandescences que tas de cendres et quelques résidus encore noirs.

    Jamais on n’avait su m’expliquer le pourquoi de ce mot, salamandre, un mot dont les voyelles ouvertes et somptueuses me fascinaient.
Et l’objet lui allait bien, tout tarabiscoté, les pieds tordus, fourchus, il suffisait qu’une ombre s’installe sur un des murs pour que mon imagination galope et y voie se découper la silhouette d’un dragon.

    Ce n’est que plus tard, cherchant dans les vieux livres de mon grand père, ces livres de papier tissu aux gravures effrayantes et raffinées empilés tout au fond du grenier qui à la mort du pépé furent sans état d'âme brûlés dans leur quasi intégralité,que j'ai fini par comprendre quelle relation subtile existait entre ce  meuble de cheminée et le batracien si décoratif et inoffensif rencontrés parfois dans les sous bois.

Salamandre au noir charbon brûlé charbon calcin
Vers la cendrée
Salamandre cuisson des composés
Fonte mate hier
grise demain

La première fois que j’ai vu une salamandre ailleurs que sur des gravures elle était morte. Au pied d’un arbre, seule sa queue dépassait, sans doute un de nos chiens avait-il joué avec la pauvre bête. J’ai trouvé cet animal si joli que je l’ai nommé Celle Amande. La douceur de sa peau me faisait penser à l’huile d’amande douce, et puis l’envie de la protéger, la tenir au chaud, lui rendre vie et souffle. Trop tard.
Il montait ce matin là, je m’en souviens encore, c’était sous un tilleul du jardin, une petite buée comme l’hiver sait en tisser depuis le sol. Je l’ai tirée doucement par la queue pour ne pas la casser, le froid l’avait toute enraidie et l’ai portée à mon grand père. « Malheureuse !! Ca brûle ! Lâche ça tout de suite ! »
« Mais non, pépé, elle ne brûle pas. « J’avais l’habitude en Afrique des courtilières, ces insectes qui se posent sur la peau et vous y laissent en une cloque cuisante.
Elle ne brûlait pas, sa peau était un peu plissée, toute douce et mes larmes ont jailli lorsque mon pépé m’a dit  «  Elle est morte, jette la. » Je me serais sentie d’une cruauté et d’une indécence indicible d’aller la balancer sans cérémonie quelque part.
Ravalant mes larmes, je l’ai prise soigneusement et posée dans un vieux torchon sur un coussin de feuilles puis  enfouie au fond du potager. J’y suis revenue souvent avec l’espérance que le contact avec la terre lui aurait rendu un peu de vie et qu’un matin au lieu du petit monticule qui signalait sa tombe se trouverait un trou comme ceux que les taupes se hasardent parfois au lever du jour à percer à la surface du sol.

Avec le temps le monticule s’aplatissait, se laissait envahir de mousse ou de mauvaises herbes. De désespoir j’y plantais une croix de carton  qui se déchiqueta lentement sous les première pluies du printemps.
Je commençais à oublier le culte que je lui rendais quotidiennement. C’est alors, peu de temps avant que nous ne repartions en Afrique, que  la nature m’offrit comme un retour de cette mémoire.

Des primevères sauvages avaient élu domicile au-dessus du sien.
Je n’ai depuis jamais pu entendre ce mot, salamandre, sans lui associer la chaleur du salon, la patience de mon grand-père, la beauté de ses gestes rendant vie au feu et ces bouquets d’un joli jaune qui se posent quand ils veulent, là où une vie s’est donnée pour laisser place à d’autres…


© RSSLK

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