Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Mon grand-père était à la fois un homme des champs et un homme des livres.
Partir en promenade avec lui était un régal. Il restait silencieux puis tout à coup, au détour d'un chemin ou au bord d'un taillis indiquait de sa pipe une plante inconnue dont je ne retenais pas le nom, peut-être comme je ne retiens pas les histoires drôles afin d'en rire à chaque fois. Son savoir qui était sans orgueil de lui-même m'éblouissait.
Il marchait les yeux baissés mais curieusement semblait tout voir.
Il y avait dans des malles du grenier des vieux livres collectés au hasard de ses pérégrinations, des vieux livres qui fleuraient bon le vieux papier et dont les gravures m'étaient un enchantement. Entassés sans souci de logique des almanach, des livres de médecine domestique, de pharmacopée florale, de jardinage, d'alchimie, des romans, des revues par milliers...
Je me demandais souvent comment il pouvait, ne se fondant que sur des gravures en noir et blanc, reconnaitre dans la nature vivante et si colorée des espèces souvent très proches - pour la néophyte que je suis restée et qui se contente d'apprécier les couleurs et parfums. Il y avait de ma part négligence imprudente du temps de lecture et d'appropriation qu'il consacrait à ces ouvrages.
Mon mari est botaniste passionné et comme tous les amateurs de fleurs, il s'est référé depuis le début de ses promenades à des opus qui, avec le temps, ont répondu de moins en moins à ses attentes.
Il lui manquait un livre pour herboriser, un vieux livre en noir et blanc, un livre moins rutilant de couleurs que ces magnifiques ouvrages d'art dont les photos sont régal immédiat pour les yeux mais ne permettent pas vraiment de faire connaissance avec une espèce dans ce qu'elle peut présenter de variétés formelles.
Il lui fallait de plus en plus souvent des illustrations tracées à la main et non par un appareil photographique aussi perfectionné soit-il.
J'ai essayé de comprendre pourquoi cette préférence pour le dessin à la main plutôt que le saisissement des données colorimétriques.
Il semblerait qu'une photo, loin d'animer le sujet photographié, le noie sous des données d'une telle puissance évocatrice et partiales/partielles qu'on ne voit plus que ce specimen là, qui écarte tous ses frères moins bien dotés par la nature, moins/ plus ouverts, moins/ plus somptueux, moins/plus élancés etc.
Une photo essaie de se valoriser à travers ce qu'elle saisit
Un dessin se dévoue
afin d'offrir l'angle qui permet de tout voir...
Les détails minuscules qui font la différence
Les détails minuscules qui font la RAssemblance
Les détails minuscules qui pourrait faire la REssemblance
et emportent vers de fausses pistes.
Un dessin fait avec amour par un passionné érudit rend compte en peu d'espace à la fois des caractères propres à une espèce végétale et de la multiplicité de leur expression.
Ce livre là, qu'il recherchait depuis longtemps, est désormais en permanence dans son sac de promenade,
offert par un ami qui sait notre amitié pour les belles pages qui ont vécu et attendent qu'un regard les rende une nouvelle fois à la vie.
Il s'agit de la
Nouvelle Flore Française
descriptions succintes et rangées par tableaux dichotomiques
des plantes qui croissent spontanément en France
et de celles qu'on y cultive en grand.
Editions Garnier 1873
Rien que le titre est un délice... mais pas seulement. Ce livre parle de la relation au jour le jour avec ces plantes qui participaient de l'hygiène domestique, vétérinaire, de l'art aussi... toutes choses qui ont disparu lentement de nos contacts avec les plantes des fossés et des champs, leur préférant souvent les fleurs sur catalogue.
J'ai plaisir à vous en offrir deux pages, en espérant que comme nous vous apprécierez la finesse du trait, le temps passé à surprendre, tracer, ombrer, légender...
Quand je lis cette phrase qui parle du Cnidium Apioïde:
" Fruits courts, presque didymes, comprimés par le côté. Plantes glabres des marais et des lieux humides, à tige fistuleuse ". ( figure 50 et 51, les deux premières en haut)
je ne peux m'empêcher de me dire que le vocabulaire poétique se niche en des lieux insoupçonnés...