Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
C'est Bébé Cétoine qui donna l'alerte, de sa petite voix mordorée aussi douce qu'une crécelle rouillée. " Z'ai vu un z'hélicoptère! Z'ai vu un z'hélicoptère!".
Bébé Cétoine était encore à cet âge miraculeux où les êtres vivants sont souvent sur le dos à contempler le ciel et se demander pourquoi tout marche autour de soi quand il est si aimable de rester couché...
Le champ de coquelicots et de blé en herbe fut traversé à la vitesse de l'éclair par ce petit hurlement.
Dans un langage qui nous est devenu étranger, fait de parfums, de trépignements, pyramides impromptues des corps qui se chevauchent, danse de chitine et d'antennes, bruissements d'ailes et froissements d'élytres, l'étonnement de Bébé Cétoine entra dans les trous de grillons, les nids de fourmis ou de punaises et jusque dans les oreilles de sa vénérable mère, qui l'attrapa par une patte, puis par une autre ( la première s'étant désolidarisée du tronc ) et le tira comme elle le put dans leur abri sous roche.
Chacun des habitants minuscules et sans prétentions de cette contrée presque sauvage se terra, jarrets, pinces et coudes relevées sur le rostre, et pour certains d'entre eux dans la position de prière dite " Faire-le-mort".
Seule, la grande Cigale psalmodiait une oraison qu'elle aurait souhaitée collective mais une de ses ailes était un peu ébréchée. La cérémonie improvisée prit une allure si pathétique que quelques uns en rêvèrent presque de rejoindre le plus rapidement possible un monde meilleur.
Le champ était parcouru d'une houle inhabituelle. Les fleurs, herbes et pailles de toutes espèces se balançaient jusqu'à la cassure, prises d'une incoercible chorée, depuis l'épi-centre de l'étrange phénomène. Les vents qui vivaient d'ordinaire au-dessus de ce paysage semblaient eux-mêmes avoir pris la fuite car ce qui soufflait là était porteur de fragrances maritimes et nauséabondes. On aurait pu croire qu'un chalutier venait de déverser tout son mazout sur le printemps en fleurs.
Soudain, ils entendirent
un Plouf ! d'une légèreté de mousseline
un Plouf ! à deviner la mer dans un désert aride
un Plouf ! à savoir compter l'eau qui se vide de la baignoire sans avoir appris les règles
un Plouf ! à donner soif à qui a bu les temps.
Ils ouvrirent larges leurs mandibules serrées déjà sur ce cri que savent étouffer les petits de ce monde lorsque la mort s'en vient. L'onde de choc parvenait jusque leur carapace, ses flaques douces comme des chatouilles s'étalaient lentement alentour, battaient quelques secondes puis se taisaient.
C'est alors que Coccinelle sortit de dessous sa feuille de coquelicot où chacun la savait étudiant avec acharnement la sagesse chinoise et les figures de rhétorique.
- "Mais c'est pas vrai, ça!" cria-t-elle d'une voix délicate.
Cette harangue distrait un peu les habitants du champ de leur fâcheux destin.
- "J'avais rendez-vous avec mon banc, qui est là-bas, envolé, à cause de cette samare gonflée aux OGM! Quelle poisse!"
Un tel excès de langage de la part d'une lectrice assidue de Confucius et Ping Peng Pong firent s'ouvrir les yeux des ses compagnons.
- "Une samaaaaaare? "dirent-ils en choeur. Une samaaaaare? Mais cela fait belle lurette que les érables ont lâché leurs graines! Ce n'est plus de saison..."
Et chacun d'y aller de ses considérations sur le temps qui n'était plus ce qu'il était, il leur faudrait une bonne guerre, etc.
-" Oui, une samare, comme je vous le dis ! Fabriquée par leurs laboratoires. Ils ont inclus dans son noyau de l'ADN de baleine, tout ça pour produire du sirop d'érable en plus grosse quantité sans afaiblir les trois derniers érables encore vifs sur la planète."
-"Z'est pour za que za zent la mer?" dit Bébé Cétoine qui ne manquait pas de bon zensz pour zon âze.
-" Oui, bébé, z'est pour za ! " lui répondit za maman qui comme toute les mamans du monde imitait le babil de zon petit afin de mieux le conduire en douzeur vers la bonne prononziazion
-" Et comment sais-tu cela, toi qui es toujours fourrée dans tes livres?" demanda Papillon Jaune.
Coccinelle se rengorgea, ce qui n'était pas de très bon goût pour qui se flatte d'être sur la voie du détachement. Elle remit de l'ordre dans ses pois un peu défaits par la brise, se gratta la luette et...
" Moi, mes élytres ont beaucoup voyagé,
ell's m'ont portée du champ vers leur misère
j'ai découvert ce que science tramait
l'énorme et l'anti te-er-re
Moi mes él.."
-" Ce n'est pas correct de dire " Moi, mes élytres", on ne dirait pas que tu passes ta vie dans de gros livres ", dit la Cigale, un peu vexée des applaudissements nourris qui saluèrent cette performance inédite d'un insecte habituellement muet mais surtout que personne n'ait su apprécier son initiative pastorale.
-" Comment ça, pas correct? C'est une anacoluthe, ma chère, et tout ce qu'il y a de plus pure. "
Pendant que la Samare achevait de s'enfoncer doucement dans son coussin de fleurs, pendant que se calmait l'effervescence qui avait touché ce petit coin de paradis, pendant que Cigale dépitée s'envolait au pays des lavandes, Coccinelle, dans un champ de coquelicots éteint par un étrange hélicoptère rassemblait en cercle autour d'elle le peuple des petits pour leur première leçon de figures de style, dont l'anacoluthe n'est pas la moins étrange. Mais ceci est une autre histoire...