Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Par Viviane Lamarlère
Sur la route de Rodellar, vers le rio Vero
On n'en finissait pas de serpenter dans l'ombre bleutée des ifs et des sapins
puis la montagne était tombée
laissant la place à quelque chose de plus mystérieux et fuyant
sans arêtes ni vacarme
des buissons de genets
figuiers de barbarie et partout des collines couvertes d'oliviers
cela montait descendait on n'en voyait pas la fin
la route se faisait à chaque fois plus étroite et bordée par moments des deux côtés par un précipice.
Les arbres y poussent presque à l’horizontale
dans les lignes droites
rares
on croirait rouler sur le rostre d’un poisson-scie.
Il fait nuit. Tout est fragile et beau.
Nous roulons lentement
le souvenir des animaux sauvages débouchant des talus et traversant la route, tranquilles dans le faisceau des phares s’ouvre à l’intérieur de nous.
Un renard un marcassin un serpent une chouette au vol lourd
comme collée au vent
son reflet s'accroche au brillant du macadam puis s'efface
Nous nous rappelons sur la gauche une aire arrondie
complètement nue de végétation
l’endroit sans doute le plus accessible aux ondes car toute la région s’y donnait rendez-vous pour téléphoner
c’était comme surnaturel et complètement ridicule
ces gens avec leur portable tournant en carrousel.
L’air est très pur frais presque froid
chaque goulée porte avec elle des parfums de râpe d’olive
de serpolet ou de thym
de pinède et de terre brûlée.
Pas une lumière pour échancrer la peau du lieu
on dirait qu’il contient tous les autres il suffit de fermer les yeux
- il était une fois tu sais on n’a pas besoin de grand chose -
juste une nuit très pure et laisser le corps rêver
On n’arrive même plus à imaginer que quoi que soit d'autre existe que cet espace vide et presque circulaire qui surplombe les canyons
les vagues de reliefs tout autour embaument le mois d’aout
où sont passés les empilements de choses ?
Avalés par ce ciel dans lequel les étoiles
saillantes ou estompées
Là bas au plus profond de la nuit
dans le ciel d’Aragon quelque chose a bougé
quelque chose ou quelqu’un
se déplie lentement des postures racornies depuis des millions d’années puis se lève en laissant derrière lui
un immense trou noir
on se sent à l’écart de soi
à distance d'un temps que l’on croyait connaître
le ciel
dans sa justesse
cela vient vers nous
un peu voûté lumineux
sans regard ou
au contraire
Nous avons goûté aux pierres épineuses de sa paume venue
de si loin
traversé avec lui maille après maille ces grillages qui empêchent la lumière
et le temps d'écouter
sa tristesse chiffonnée comme un tissu passé
semblait surgir en vrac du fond d'un vieil osier
il parlait
il nous a rescapé
et posé doucement
longtemps après le miel qui montait de l'aurore
On nous a dit
dans le village
que nous avions - c'était chose exceptionnelle-
vu la Constellation du Pauvre
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