Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique

Serrements


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Le bonhomme me fait peur. Son magasin exhale une odeur de moisi à la petite semaine. Les murs laissent s’avachir ici ou là des lais entiers de papier pisseux d’une autre génération.
C’est à peine si le jour se fraie un chemin jusque dans le fond de la boutique. Pourtant, au-dehors, la vie bouge, respire, et ses rires viennent se cogner à la vitre .

Vit et bouge et respire me dis-je en remarquant tout à coup dans un vivarium coincé entre le bureau et de vieux tiroirs, un serpent. Couleur sépia. De ces espèces exotiques qui ne mordent pas mais sont à l’age adulte de redoutables constrictors.

De redoutables constrictors me dis-je en contemplant les mains de l’artisan, tachées d’encrures et aux ongles fendus. Je sens dans  ces mains-là une force peut commune, celle du créateur sans doute.

Celle du Créateur sans doute, à l’époque de la soupe primordiale me dis-je en contemplant la peau de sélacien de son visage, les plis flasques et gélatineux de ses bajoues et de son double menton qu’attendrissaient à peine deux yeux d’un vert étrange.

- Vous avez froid ?  Je ne mets jamais le chauffage. D’une part pour le serpent. Il est exotique mais la lampe lui suffit. Et puis mes pigments… la chaleur les altère, vous comprenez …

-Non, je n’ai pas froid.
Je mens et il le sait. Il le sait à mes pommettes qui rosissent, au sang qu’il voit engorger mes oreilles, à cette veine qui palpite au creux de mon cou. Il le sent surtout à cette hésitation infinitésimale de la voix, ce manque de soutien dans la fin de la phrase, cette trémulation qui n’est pas encore vibrato et plus tout à fait timbre.

-Que préférez vous ? Un tatouage à l’ancienne ou un motif d’allure plus contemporaine ?

- Plutôt  à l’ancienne.
- Je lui mens et il le sait, à mon regard qui fuit et cherche une issue au sien.
J’ai toujours rêvé de porter à la cheville un signe estampé là pour l’éternité. Enfin l’idée que je me fais de celle-ci,  c’est à dire pas grand chose. L’ici-bas pour tout dire.

Pas grand-chose me dis-je en regardant  les modèles exposés dans une vitrine et sur des maquettes accrochées tant bien que mal au mur. Je rêvais de pas grand-chose mais qui fasse sens. Pas une imitation de la réalité, serpent, mouche, ancre , ou même ces phrases qui vous rattachent à des êtres chers, disparus ou lointains.
Pas grand-chose. Une figure géométrique, cercle, carré ou pentagramme. Tout petit. Presque aussi invisible qu’un serrement de cœur.

Mais comme je ne sais pas dire non à son attente, je me mens et lui mens aussi. Et réclame contre mon gré un serpent des plus classiques, un de ceux qui font mal quand on enfonce l’aiguille.
Tiens pourquoi un serpent me ferait-il plus mal qu’une pyramide ou un cube ?
Ou qu’un cercle ?
J’aime la figure du cercle, le temps est circulaire.
-Vous avez pris vos antithrombines ?
-Non… on ne m’avait pas dit que.. ;
-Dommage, dommage… Enfin. C’est pour vous éviter d’avoir des bleus.  Voyons. Vous ne semblez pas avoir une peau à bleus. Permettez..

Il tend la main vers moi et murmure :  « Vous ne sentirez rien, je vous en fais serment. »

Il me ment. Sa lippe accablée contredit les mots rassurants.
Il palpe la peau de mon avant-bras, yeux fermés, en une sorte d’extase qui fait rouler ses yeux en huit sous ses paupières, anneau de Moebius solitaire comme on prend un plaisir. Comme s’il entrait en ma présence et en toute impudeur dans une sorte de sommeil paradoxal.
Dans une sorte de sommeil paradoxal me dis- je contemplant mes mains..
Voilà dans quoi j’ai été plongée.

Il a peint sur ma cheville un serpent d’une beauté arachnéenne que je suis fière de montrer.
Je n’ai pas su dire non. Je lui ai menti tout du long.
Et lui ?
Le bracelet d’écaille peintes semble grossir de jour en jour.

D’ailleurs, c’est très curieux, depuis ce tatouage, la peau de mes mains  mue . Cela fait deux paires de gants de chair que je jette à la poubelle et j’ai l’impression que le reste va suivre.

Et j’ai l’impression que le reste va suivre me dis-je,  en frottant mes anneaux contre les griffures du vivarium…sur lequel cogne le soleil , en toute impudeur, aussi fragile qu’un serment.


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U
Wahou! Quelle vie..........
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R
<br /> Oh oui, une belle vie riche et pleine...<br /> <br /> <br />
U
Pas exorcisme: je  pense que tu as vaincu cette peur là... t'as vu comme il est beau ton serpent?! :)
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R
<br /> Je l'ai vaincue, c'est un fait, et grâce à Michel qui a appliqué sur moi une technique utilisée pour décontaminer les militaires<br /> lorsqu'ils ont été soumis à un stress ou un traumatisme violent,<br /> l'EMDR<br /> <br /> et cela marche... En quelques minutes, je suis retournée 50 ans en arrière, ai vu la scène originelle de ce premier contact avec un mamba noir tué sous mes yeux à la carabine par mon père alors<br /> qu'il était enroulé au bras du fauteuil où j'étais assise bébé.<br /> depuis, même plus peur!<br /> <br /> <br />
W
Le serpent, tant de symbolique associée !Magnétisme hypnotique, guérison des maux et des blessures.Si je pouvais guérir les maux, je serais surement serpent,Si je pouvais invoquer les esprits, je réunirais les anciens en cercle pour libérer un corps en prise d'un mal qu'il ne mérite pas !Assemblés en cercle tel un serpent qui se boucle, comme pour donner force à la force, plus d'énergie vitale à l'énergie qui s'enfuit.Il existe bien des légendes, bien des forces que nous ne percevons que partiellement au travers d'une symbolique visuelle arrêtée !Parce que notre monde nous a forgé, avec nos maux.Parce que notre société s'est arrêté aux frontières de l'immuable quête du concret.Certaines pistes sont intéressantes a voir, comme la géobiologie qui nous ramène à nos sources...sources de vie, de savoir, de questions, de vérité ! ... (Hartmann, Curry et les sources souterraines)Le retour aux sources : Rien n'est le fruit du hasard, j'ai trouvé cet article intéressant.Les pierres peuvent détourner les champs telluriques, en neutraliser les effets néfastes, ainsi... Le duo tourmaline/cristal de roche constitue une excellente barrière énergétique. On peut ainsi fermer et neutraliser les puits et portes énergétiques des réseaux Hartmann. Favoriser le rétablissement. (cas d'une maladie qui s'immisce progressivement dans notre vie)J'espère que cela puisse vous aider, (les pierres et le monde de l'invisible). Il n'y a ni vérité, ni présomption dans cela, qu'une suggestion à tester.Je suis comme chacun, ni convaincu, ni fermé à la seule vérité du visuel, ouvert à ma propre expérience, ni adepte d'une volonté extérieur à la mienne.La seule vérité est l'expérience personnelle.Rien n'est le fruit du hasardTant ce texte que la passion des pierres. (Chacune à sa place apparemment)
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R
<br /> Je crois absolument aux vertus ou au vices de certaines ondes terrestres, des nappes souterraines etc.<br /> Quand nous étions enfants, nous habitions à Jautan, une vieille maison dont le puit profond de 30 mètres alimntant en haut inépuisable la maisonnée et le jardin. Un puisatier était d'ailleurs<br /> descendu pour changer la pompe et nous avait dit ne pas voir la fin de ce qui était un lac souterrain énorme.<br /> Mes parents ont fini par vendre cette maison que j'aimais beaucoup à cause de son climat intérieur ( comme mes grands parents d'ailleurs) assez mystérieux. Tous les précédents propriétaires y<br /> étaient morts de mort violente...<br /> <br /> Chez nous, j'ai essayé de trouver la bonne place aux choses, celle où l'on se sent bien.<br /> mais vos liens vont m'aider à comprendre davantage encore<br /> ce qui est instinctif<br /> mais obéit à tout autre chose comme vous le faites remarquer, que le hasard<br /> Merci de la lecture et du commentaire dense et empli de cadeaux<br /> nous avons oublié le sens profond des archétypes de ce monde et c'est bien dommage...<br /> <br /> <br />
U
Tu es une plume à merveilles; un oeil à l'encre si fine que même les morts te comprennent, te jouissent, se caressent à tes mots.Tu es la magie de l'âme; la toile dont on ne peut ôter ses yeux, tellement elle vous murmure dans le coeur.Tu es trop belle!
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R
<br /> Et toi tu es trop gentille avec moi, je vais me cacher dans un trou de souris (sourire)<br /> c'était un vieux texte écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture<br /> il fallait travailler sur la métamorphose<br /> et curieusement j'ai choisi l'animal que je crains le plus...<br /> Exorcisme?<br /> <br /> <br />
M
J'apprécie beaucoup l'ambiance lente et envoûtante de cette transformation, cette impossibilité de mentir et la "vampirisation" par cet homme étrange. Que d'images et de réflexions offertes !Bonheur de te lire.Monique
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R
Merci ma douce Monique, je suis si lente en ce moment à démarrer le matin...La moelle épinière remplacée apr une torche qui me brûle uit et jour( myélite chronique liée à la sclérose en plaques)les mains et les pieds dont il me faut lentement dérouler la substance recroquevillée par la nuit et la spasticité musculaire, les pertes d'équilibre, la difficulté à marcher , la sensation que mes deux jambes sont en permanence broyées par un étau, en même temps des sensations étranges d'eau fraiche en filets qui coulent le long des mollets et des bras, des décharges électriques dans le dos quand je bouge la tête, une eprte de vision handicapante ( je vois bien mais... bleuté) etc etc... dur (sourire) dur) je marche mais.. si lente. Quel vieux bonhomme me transformera en serpent que j'hiberne dans un vivarium? Et puis depuis vendredi beaucoup d emonde à lamaison il a fallu assurer tout de même tout en allant au bout d'unancien engagement,  participer à la préparation d'un repas associatif... bref, fatigue quie xplique mon ralentissement de production actuel. Tout me bouffe. Mille baisers;