Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Aujourd'hui encore, 25 février 2001, alors que mon père est mort il y a à peine trois mois. ma mère persiste dans le " un peu plus de la même chose " si familier.
Nous avions imaginé les uns et les autres que la disparition de papa lui ôterait toutes défenses, elle qui si souvent le manipulait contre nous lorsqu'il n'avait pas été témoin direct des crimes qu'elle nous reprochait. Combien de gifles lui demanda-t-elle de nous administrer à sa place, elle qui savait si bien lui en distribuer, combien de lettres écrites sous sa dictée, combien de punitions pour des faits auxquels il n'avait pas assisté et qu'il nous admonestait contre son gré en s'entendant reprocher qu'il ne faisait pas son travail de père?
La seule fois où je pus avoir une conversation avec lui, il y a 22 deux ans de cela, me permit de prendre toute la mesure du désespoir immense de cet homme. C'est en mémoire de lui que, quoique ce soit souvent fort difficile, je continue envers et contre tout à accompagner cette femme. Et je le ferai jusqu'au bout, dussé-je me bourrer d'antidépresseurs pour tenir.
Mon mari faisait son premier remplacement dans ce village où nous nous installerions deux ans plus tard. Un peu contre son gré et pour m'éviter des remontrances maternelles, j'avais accepté de passer le dimanche avec eux. A l'époque je ne conduisais pas. Tributaire du train et nous vivions à Talence, je l'étais aussi de mon petit garçon qui avait déjà très peur de sa grand-mère. Il ne fallait pas être grand clerc pour s'apercevoir que chez elle, les chiens avaient tous les droits, pisser sur les tapis, sauter sur les lits, s'installer sur les canapés quand nous pouvions à peine nous en approcher, faucher la nourriture dans nos assiettes... j'en passe. Tous les droits et les enfants aucuns.
Conjuguez cela avec la jalousie d'une femme qui accueillit mon bébé en me disant " Il ne sera jamais aussi beau que le mien" et vous aurez idée de la frayeur de notre fils. Il avait alors presque deux ans. Comme tous les enfants de son âge , il n'aimait pas trop les repas qui traînaient en longueur. Chez ma mère les repas durent trois ou quatre heures durant lesquelles c'est elle qui définit les sujets de conversation et les autorisations à prendre la parole. Notre petit B... avait laissé tomber sa serviette. Il se fit tellement gronder que secoué de sanglots il alla se réfugier dans la chambre la plus éloignée, où elle le poursuivit de ses harangues, que je suivais de près tant j'avais peur pour mon bébé. Il se coula dans un lit.
Nous étions partis le matin alors qu'il débutait une de ses fréquentes otites. En quelques minutes la fièvre grimpa sans doute car voyant s'approcher ma mère il se mit à hurler " Non, non, il va m'écraser " "Mais quoi? " lui demandai-je en le serrant contre moi pour faire écran. Et ce petit bout de chou leva alors la main pour montrer ma mère en disant " Le gros camion, là".
Des décennies plus tard, il retrouvait les propos de ma soeur aînée qui un jour traîta notre mère de rouleau compresseur. Je partis donc très vite avant que tout ne dégénère, demandant à mon père de nous ramener chez mon mari.
C'est donc dans la voiture, sur le retour vers ce petit village où j'écris aujourd'hui qu'il m'avoua ne plus rien attendre de la vie, si ce n'est crever, car sa femme était une grande malade qui l'avait rendu fou.
Je me souviens de son premier infarctus. Nous étions sur le départ pour l'Afrique et dans la nuit. il avait fait un malaise qui l' avait laissé le teint plombé, les traits tombants, la voix détimbrée. Notre soeur aînée l'avait conduit chez le cardiologue et en revenant, il nous avait annoncé comme si cela était une victoire sur les éternels bobos de notre mère que lui aussi était malade.
Nous nous souvenons I... et moi de la réaction de notre mère, haineuse, qui s'était tournée vers nous en hurlant " C'est de votre faute si votre père est malade!"
Et notre père de répliquer: " Non, les filles, ce n'est pas de votre faute, c'est juste que depuis la naissance de votre petit-frère, votre mère n'est plus ma femme."
J'ai le souvenir précis qu'à cet instant, quelque chose de chaud s'est mis à couler entre mes jambes. En entendant la souffrance de mon père, mon coeur s'est mis à saigner d'une certaine façon. J'ai été réglée ce matin là, sans autre forme de procès, sans même avoir jamais été avertie que ce genre de choses existaient. J'allais sur mes dix ans.
Triste constat que nous n'étions pas alors en âge de comprendre. Depuis trente huit ans, depuis la naissance de notre petit frère, ma mère a interdit le lit conjugal à son mari pour y loger cet enfant de sexe mâle tant espéré et qui compensait à lui tout seul nos pauvres existences de filles. P.-M... m'a récemment avoué avoir souffert comme on ne peut l'imaginer de cette proximité nocturne avec sa mère, des difficultés suscitées dans ses rapports avec les femmes, des questions qu'il s'est posé longtemps sur son éventuelle homosexualité.
Ma mère l'a gardé dans son lit jusqu'à l'âge de neuf ans.
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