Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Dammad s’était couché entre deux collines,
la tête sur l’une ,
les pieds sur l’autre,
le dos calé au fond d’une vallée...
Dammad pensait,
et pendant qu’il pensait le soleil s’épuisait à sauter par dessus son ventre pour vite vite tendre ses rayons entre les murs des maisons,
des étables, des ronces.
Dammad se moquait de la fraîcheur matinale,
des enfants qui seraient en retard à l’école,
des troupeaux endormis à l’heure où ils devraient monter aux pâturages.
Dammad pensait en mâchonnant un tronc d’arbre que seules les fleurs et les oiseaux pourraient le sauver.
Qu’ils étaient loin les jours du petit garçon qui voyait loin,
si loin que lorsqu’il jouait aux dames son regard tranchait le temps et courait vers l’issue des combats entre pions noirs et blancs.
Qu’elle était loin l’enfance et ses jeux pour savoir.
Comment lui vint un soir
l’envie d’échanger son génie contre monnaie sonnante et trébuchante, nul ne l’a dit,
en moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf !
il détroussa tout le pays.
Mais sorciers, druides, maléficiens et jeteurs de sorts aimaient Dammad
aussi pour sa faiblesse qui ne pouvait durer.
Aussi se réunirent-ils dans le plus grand secret.
Et bientôt
à chaque joute remportée
Dammad grossit comme un ballon.
Les premiers temps, cela l’amusa car il voyait encore plus loin et dans le temps et dans l’espace…
Mais très vite
se penchant sur cette ombre gigantesque attachée à ses pas qui écrasait les champs,
enjambait les collines et glaçait les ruisseaux,
accumulait les nuages dans le plus bleu du ciel
très vite il renifla le parfum de la haine
très vite il se sentit très lourd de sa légèreté
Oh, se disait Dammad, retrouver ma chambre coquette et ma jolie maison!
Ne plus dormir à la belle étoile
ne plus sentir le coffre de la nuit se refermer sur moi avec son bruit de voleur d’âmes…
Dammad se fabriqua une immense pancarte.
On y lisait de loin :
" Echange toute ma fortune contre le retour à ma taille réelle à qui me fera perdre une partie de dame."
Et bien sûr les candidats furent nombreux, que l'idée d'être à leur tour un géant ne rebutait pas…
Hélas, Dammad avait beau se forcer, éteindre son regard ou ses pensées, toujours sa main trouvait la position gagnante.
Alors il s’en fut le cœur gros de peine vers les collines les plus lointaines.
C’est là que nous l’avons trouvé mâchonnant un tronc d’arbre et pensant que seules les fleurs et les oiseaux pourraient le sauver.
Mais les sorciers, jeteurs de sort, druides et maléficiens avaient bien travaillé.
Dans leurs immenses marmites étaient nés deux oiseaux comme on n’en vit jamais,
plumage d’or
regard d’épine.
Ils les lâchèrent dans cette fin de jour où leurs ailes se confondaient aux rayons du soleil. Ils les lâchèrent et les oiseaux ne virent dans tout le paysage que ce corps gigantesque offert à leur faim.
Dammad les entendit venir et leur offrit ses mains gonflées comme des outres.
Qui dira la douleur de mains sur lequelles s’acharnent les oiseaux ?
C'était le prix à payer...
Dammad s’enfuit avec sa petite taille revenue car il sentait bien que les monstres en voulaient à ses yeux.
Mais chemin courant
il sema derrière lui quelques gouttes de sang.
Elles plongèrent dans la terre pour échapper au dessein menaçant des grandes ailes d’or…
Au printemps suivant il en sortit des fleurs étranges, dont les pétales dirent à chacun que l’on doit jouer pour jouer et non pour appauvrir celui avec lequel on joue.
On les nomma fritillaires.
La vraie richesse n’est-elle pas dans la beauté surprenante des choses de ce monde
et dans le rire qui est offert
lorsque l’on gagne
ou perd ?