En route vers Madrid, laissant derrière nous les montagnes sauvages du pays basque et notre petite salamandre, oubliant les collines de Navarre domestiquées d'éoliennes, nous baignons de bonheur en pays de Castilla y Leon, tant de fois parcouru depuis trente ans, pendant longtemps dans une vieille et courageuse 4L .
Ces champs de colza ou de blé en herbe, leurs couleurs si fraîches entourées de reliefs adoucis sous un ciel changeant sont une merveille...
L'Espagne est peu tissée de routes. Les villages y sont très épars, que souvent relie une piste invisible depuis l'autopista. En cette saison la nature est de toute beauté, nous l' abandonnons à regret en parvenant dans la capitale, non sans avoir franchi quelques beaux défilés dignes du cinéma américain ainsi que le col de Somosierra, l'une des bien tristes étapes de la conquète Napoléonienne.
Ci-dessous les portes de l'Europe à l'entrée Nord de Madrid. Quel contraste en laideur et rigidité avec le si souple, inventif et mouvant Desfiladero franchi quelques heures plus tôt, où nos enfants petits voyaient surgir des cow-boys et des Indiens ( photo d'une brochure) :
Madrid est une ville étrange, qui pousse sur le désert ses immeubles d'emblée très hauts, interdisant au regard et à la pensée cette accoutumance douce que peut procurer à qui n'aime pas la ville la présence de pavillons de banlieue ou de petits immeubles préludant aux gratte-ciel du centre ville.
Madrid
c'est d'emblée la recherche de la verticalité ou de l'étrange élevé au ciel
les barres HLM de brique aux fenêtres desquels flotte du linge,
les panneaux publicitaire géants aux couleurs à vomir
et la folie des échangeurs autoroutiers
qui précédent de peu les immeubles très " j'y-ai-investi-toute-ma-tirelire " .
Et cela est d'autant plus rebutant que la ville vieillle est - parfois - superbe et bien aérée de grandes rues ou de petits quartiers sympas. Mais toute cette suffisance , qu'elle soit design ou dans un style plus Stalinien, écrase et hâche menu ce qui pourrait encore palpiter.
Nous y avons fait il y a trente-deux ans la connaissance d'un homme exceptionnel, un Ami et un frère et ceci tout à fait par hasard. C'était Noël, et, en guise de messe, nous nous étions rendus dans un de ces cabarets qui fleurissent dans la capitale madrilène, à ceci près que ce cabaret était dédié à la musique classique sud-Américaine, Tolderias était le nom du lieu, qui signifie " Campement de Gitans " ou " Indigènes". Dans une ambiance très recueillie venaient là des exilés qu'un continent tenu de toutes parts par les militaires avait fini par chasser. Ce soir là nous furent données deux des plus grandes émotions de notre existence. En première partie de concert un harpiste péruvien, inconnu et qui je crois l'est resté. Ce qu'il sortait de son instrument était au-delà de toute virtuosité ( et il faisait ce qu'il voulait de ses doigts dans une cascade de notes) , nous le sentions habité par une mémoire multiple, protéiforme, dans un engagement de son être jamais vu ni entendu nulle part. Nous en avions les larmes aux yeux et encore maintenant une immense émotion en repensant à lui. En seconde partie de soirée, Jorge Cardoso.
En regardant ses mains qui bougeaient à peine, sa respiration calée sur celle des phrases musicales, la gentillesse avec laquelle il présentait ses oeuvres, le sentiment de nous trouver en face d'un géant de la guitare comme il n'y en aurait plus, l'égal d'un Segovia. Une mélancolie, un rythme, une facilité éblouissante mais profonde surgissaient de l'instrument et de l'homme et nous nous sommes précipités sur les deux artistes à la fin de leur prestation, fort appréciée au demeurant de toute l'assistance. Le harpiste nous a fui, refusant de saisir notre main et même notre sourire, se tenant à distance de deux mètres dont nous ne pouvions ni personne franchir à l'évidence la ceinture. Nous le sentions soudain très angoissé.
Jorge nous expliqua par suite qu'il était un génie de la musique instrumentale reconnu de ses pairs sur la place de Madrid, mais qu'il tenait à rester ignoré des foules, à sa toute simple place. Il était autiste. Jorge avait envie de se faire connaître. Heureux de rencontrer des français qui parlaient aussi bien espagnol, il nous invita le soir même dans son appartement où il faisait si froid que pour réchauffer les pièces, " On ouvrait la porte du frigidaire". C'est dire s'il faisait froid...
Là vivaient en communauté, partageant le loyer et la galère, des écrivains, sculpteurs, musiciens, scénaristes, poètes, tous ayant fui leur Argentine natale, diaspora joyeuse et précaire que Jorge menait de son énergie et sa bonne humeur. Le coup de foudre fut tel que rentrés à Bordeaux, avec pour toute preuve un mauvais enregistrement sur cassette, nous avons fait le tour de toutes les salles de programmation, y compris le grand Théâtre où on nous regarda avec dédain. J'enseignais à l'époque au Conservatoire de Talence. Ce ne fut pas le collègue guitariste qui fut enthousiaste, normal, il ne lui arrivait pas à la cheville, mais un adorable collègue saxophoniste qui prit sur lui d'organiser dans un château des environs le premier concert de Jorge en France. La presse fut d'emblée sous le charme et ainsi démarra en quelques semaines une carrière internationale
et une amitié qui se nourrit d'elle-même.
Quand Jorge vient donner des concerts dans notre région, le bonheur d'entendre depuis ma cuisine sa guitare résonner dans ma classe pour une ultime répétition, ces impros d'après dîner, chanter avec lui les chansons de Lorca, préparer avec lui le repas en attendant Michel ( ah... les tagliatelles maison de Jorge, sa salade de poulpe, ses asados argentinos) ...
Il fut notre témoin, ici la veille de notre mariage:
Sur la route de Madrid nous écoutions quelques uns de ses enregistrements que je vous offre ci-dessous. Et je râlais un peu car pour s'en sortir, cet artiste ( qui est également chirurgien ) qui n'avait pas les moyens de se payer un agent dut attendre des années avant d'obtenir permis de séjour et de travail espagnols, passer des concours puis un doctorat de musicologie à Madrid afin de valider ses diplômes argentins qui ne valaient rien aux yeux de la vieille Europe.
Et quoique ayant ensuite enseigné des années au Conservatoire de Madrid, mené de front la direction artistique de je ne sais combien de festivals internationaux, quoique président des années durant de guitares du Monde, quoique la plupart des guitaristes d'aujourd'hui lui doivent tout ce qu'ils sont car aussi bien en musique ancienne que latino ou classique, Jorge restera LA référence, en dépit d'une discographie importante qui le classait chez RCA comme l'un des cinq guitaristes du siècle, en dépit de ce CV hors du commun et d'une critique unanime, aujourd'hui vivant en France Jorge ... survit.
Ses diplômes, travaux et participation en tant que jury à de nombreux concours internationaux ne lui permettent toujours pas d'enseigner en France. Il vit depuis des années à Paris, ville qu'il adore pour son caractère cosmopolite et trouve-t-il, bien plus tolérant que Madrid (?) il a réussi à y obtenir avec difficultés le statut... d'intermittent du spectacle qui est si aisément délivré à n'importe qui. Mais aucun Conservatoire de quartier qui accueille ce virtuose et enseignant chaleureux et si ouvert.
Il n'est pas labellisé France.
Et je râle de nos sociétés bureaucratiques, aussi froides et inhumaines que ces villes champignons qui poussent dans le désert, aussi peu reconnaissantes à la vie de ce qu'elle offre de génie humain créatif et généreux, plus préoccupées de bâtir vers le haut pour faire riche, tailler droit de grandes avenues luxueuses au coeur de leurs cités, que d'accueillir avec amitié le parcours fait de révoltes, de transcendance de l'éphémère, le chemin esthétique et éthique d'un homme.
Nous avons donc écouté en route ces différentes haltes musicales que je vous offre maintenant. Jorge enregistre toujours en une seule prise, il a horreur des retouches de studio , et donc on entend ici ces bruits d'ongles qui sont la vie même.
Sa mélancolie d'homme déraciné qui cherche l'Origine ( titre de l'album)
Par Jorge Cardoso
Diferencias sobre guerdame las vacas - guitare renaissance
Variations sur un thème
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Ya se asiento el rey Ramiro
Danse traditionnelle des Canaries
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/03YaSeAsientaElReyRamiro.mp3&
Canarios
Autre dans traditionnelle des Iles Canaries
Les notes piquées à la fin de certaines phrases
nous disent si bien les petits sauts des danseurs
ces mélodies entremêlées
les évitements et rapprochements des corps amoureux
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http://www.pagesjaunes.fr/trouverunnom/RecherchePagesBlanches.do
Zamba - Guitare classique
danse Argentine qui n'a rien à voir avec la Samba brésilienne
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Polo Margariteno
danse lente Argentine
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