L'œuvre de Magritte ne copie pas le monde tel qu'il se présente, elle n'invente pas un non plus un univers totalement inédit. Elle donne à voir ce qui est caché derrière les vieux habits du quotidien.
Le monde tel que la pensée l'organise, est fait de lignes de ruptures.
Mais qui dit que la Nature est discontinue, si ce n'est l'orgueil éphémère de la pensée humaine? Si l'oiseau est envahi de nuages, c'est que l'oiseau est aussi le ciel.
Et comment illustrer ces toiles merveilleusement provocatrices, subversives même dans leur étrangeté, autrement qu'en composant , en écho, un poème?
Lorsque nous regardons la toile qui précède, ses cubes d'atmosphère ne nous nous disent-ils pas que justement, s'il est un objet familier qui échappe à toute tentative de mesure volumétrique, parce que sa mesure est d'une autre nature, c'est bien le ciel ?
Mon tableau préféré est sans nul doute celui qui suit:
Par sa facture pointilliste il m'évoquerait assez Seurat. La douceur des nuances, l'élégance des lignes, un léger rappel un peu maniériste de certain art de la renaissance.
Mais ce qui me chavire, ici, ce sont les paradoxes qui tordent le regard, " distendent " la pensée pour reprendre un mot de Breton.
Le titre en est " Blanc-seing " . Cette cavalère et sa monture qui traversent la forêt nous y révêlent ce qui y est visible et caché, y compris de leur propre substance. Il y a là tout un jeu rythmique sur l'apparition-disparition / premier plan-lointain / transparence visible - montré invisible. Si le regard accepte de suivre les limites que dessinent les troncs d'arbres ou l'encolure de la bête, alors il voit cette scène bouger. Mieux, il découvre que c'est ce qui est caché qui montre. C'est l'abre très fin à gauche de la cavalière et en arrière plan qui permet de constater le tronc plus large en premier plan. C'est un tronc que notre langage ordinaire dirait " invisible " mais qui est en réalité un tronc " pensé " qui nous dévoile le feuillage et le cheval .
Laissons parler Magritte:
" Des choses visibles peuvent être invisibles. Lorsque quelqu'un passe dans une forêt, d'abord vous els vopyez, puis vous ne les voyez plus, mais vous savez qu'ils sont là. Dans ce tableau, la cavalière cachent les arbres et les arbres cachent la cavalière. Mais notre pensée englobe le visible aussi bien que l'invisible. J'utilise la peinture pour rendre visible la pensée."
Le tableau qui suit m'est cher également. Ce cavalier perdu entre des arbres feuilles, que fuit-il qui ressemble au poudroiement d'un feu plutôt que d'un automne?
J'ai envie ici de vous laisser sur ce merveilleux tableau
dans lequel l'esprit voyage et se perd.
Et de laisser de l'ombre sur la page
dans laquelle vous continuerez de voir les étoiles
qui s'y cachent. Ou les pièges.