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Léon Spilliaert ou la lumière d'Ostende



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Peintre peu connu, peu exposé, s'exposant peu, ne travaillant qu’au crayon de couleur, à l’aquarelle ou à l’encre, jamais à l’huile, il est de ces artistes dont on n’oublie pas la rencontre et qui nous renvoient malgré nous à nos zones d’ombres. J'aime chez lui sa palette de gris et de violines, la pureté des lignes allant vers l'abstraction, le climat très onirique et dépouillé qui laisse toute liberté à la lecture. Peintre du silence.

Evoquer rapidement ses amitiés, qui peignent l’homme: Maeterlinck et Verhaeren. Ses influences aussi, Edward Munch et Lautréamont. Nous avons là déjà quelques pistes pour éclairer la lumière d’Ostende où il est né à la fin du XIX ème siècle.

La mélancolie, un certain  goût pour le tragique et la circularité, le retour du même, le rapprochent bien sûr du philosophe et l’on va retrouver d’une façon quasi obsessionnelle dans ses toiles cette influence de Nietzsche.
Discret jusqu'à l'effacement dans cette société d'Ostende où il promenait sa nonchalante et apparente indifférence, un extrait d'une lettre le dit peut-être mieux que tout:
"De mon enfance, je garde un souvenir ébloui, jusqu'au jour où l'on me mit à l'école. Depuis lors, on m'a volé mon âme et plus jamais je ne l'ai retrouvée. Cette douloureuse recherche est toute l'histoire de ma peinture."


Envie de vous faire partager quelques unes des toiles que j’aime, qui me laissent rêveuse, non pas d’une rêverie grise et qui enfonce l’âme en des abîmes où elle se risque à perdre sa vitalité. Non, une rêverie qui cherche dans les gris, le lisse, les cavités en apparence sans parois, des réponses à l’angoisse, une espérance… malgré tout.

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Plage au clair de Lune 

De gris somptueusement déclinés, aux transparences subtiles, cette première toile m'est davantage qu’une plage : une chair. La chair du monde dans sa native nudité et peut-être bien sa réalité de blessure aux chéloïdes nacrées. Rien qui distrait le regard, rien qui permette d’échapper à la question «  Qui suis-je ? » . Il y a ce chemin d’écume sur la gauche, si fin qu’il ressemble à un fil mais le promeneur qui l’emprunte ne pourra qu’en tomber puis disparaître, sans jamais rejoindre la nuée lumineuse dont le regard devine les immenses spirales.
Des brise-lames sombres qui s'avancent vers la mer. Le sable. Et c'est tout. Pourtant l'oeil s'habituant découvre mille teintes et rugosités dans ce tableau d'un climat plutôt que d'un lieu. Il me parle intensément notre misère face à la nature, le temps, la lumière ou la nuit. Spilliaert, grand marcheur de grèves nocturnes savait que les phares de l'autre côté de la mer ne sont que minces illusions et pas toujours des repères.

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Le Vertige.

L’angoisse de ce qui tourne sans fin, sur lequel impuissants nous sommes posés: une tour immense, Babel inhabitée que les mots des vivants et les souvenirs des morts ont désertée. Tour dont les lignes fuyant vers l'infini  surplombent un monde tournant dans l’autre sens.
Sauter ou ne pas sauter ? Le vent est là, silencieuse puissance, qui tire sur la chevelure d’une silhouette en creux et presque sans visage. Des marches trop hautes pour la morphologie. Oui. Non. Sauter. Ou pas. La spirale du temps se moque de la peur et du vent. Le pinceau du peintre nous dessine notre hésitation, nous sommes ici en face de nos lachetés.
Humbles.
Combat singulier de la chair éphémère et qui n'ose
et de l'éternelle géométrie.


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Portrait en contre-jour

Un dossier de chaise sculpté de nuances presque chaudes et dont on perçoit la texture, qui disent l'aurore toute proche dans un monde de mélancolie, le fer forgé du balcon, la lumière qui voudrait traverser le voilage. Cet homme en contre-jour regarde-t-il la rue ou nous montre-t-il ce que nous sommes? Anonymes solitaires. Absents à toute identité, et c'est ce qui nous rapproche et nous ressemble et nous rassemble.

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Les Dressés

Cette quatrième toile est moins angoissante que les précédentes. L'apparition de la couleur y est pour beaucoup, mais aussi l'humour de la situation qui semble droit sortie d'un rêve. Quelle est cette femme vert d'algue aux cheveux en torche, posée sur un caillou aigu et qui s'appuie, presque négligemment, sur une pierre très... phallique? Ici, l'art de remplir l'espace n'est pas sans rappeler la gravure japonaise. Trois élans verticaux et la moire d'une mer rythmée par des barres d'écume. A moins - car le doute s'insinue plus je regarde le tableau - que ce que je prends pour des reliefs ne soient en vérité que l'ombre du personnage et une digue aux pierres dématérialisées?


Femme au bord de l'eau

Très intéressante dernière oeuvre pour cette courte promenade
On y retrouve réunies les obsessions du peintre que son mariage heureux a conduit vers davantage de couleur. Lignes pures, non descriptives, personnages anonymes, solitude, silence, le bord de l'eau, les tracasseries de ses ondoiements à l'instar des mouvements si contradictoires de l'âme inquiète...
L'équilibre est ici parfait entre la géométrie des marches, d'un bleu turquoise éclatant et dont la pierre est mouchetée de vert-gris, l'or de l'eau serpentée de nuit dont les anses noires, par un effet de morphing très moderne, se ramassent au centre de la toile pour donner naissance à la chair d'un personnage féminin, voûté d'une saine fatigue. Le mouvement de ce dos qui n'attend que caresse est superbe, ainsi que l'érotisme discret de l'ombre sous l'aisselle. Enfin ce chien qui regarde ailleurs, comme inachevé, presque un dessin d'enfant mais du coup... si vivant!

Pour illustrer en musique ce peintre très en demi teintes, très répétitif aussi et pourtant si nuancé, j'ai hésité entre plusieurs oeuvres et vous les offre...
Phil Glass concerto pour violon

Adagio pour cordes de Barber

Que l'on peut écouter ici aussi
pour ceux qui ne peuvent rentrer sur El poder de la palabra






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P
J ai découvert ce peintre lors d une ancienne exposition à Paris au musée de la SEITA qui n existe plus<br /> Lors de mes différents déménagements africains ma documentation s est égarée<br /> Maintenant que je réside àParis je désirerais pouvoir reproduire une toile à identique ou acheter une jolie copie<br /> malheureusement je n ai aucune piste ????? Et vous ?
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L
J'adore Femme au bord de l'eau... Qu'elle est belle cette peinture... !
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A
J'ai particulièrement pensé à toi aujourd'hui en mettant en ligne un poème de Geneviève Vidal. Alors même que je rédigeais parallèlement ma note sur Maeterlinck (dont c'est aujourd'hui l'anniversaire de naissance)... Très naturellement, la toile Vertigo a surgi dans ma mémoire. Je ne pouvais que rendre hommage à ton très bel article. Y et moi t'embrassons très affectueusement.
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R
<br /> Mille merci à tous deux Angèle, je viendrai te lire  bientôt, car une fatigue dont vous pouvez tous deux deviner l'origine me raletit terriblemen t en tout<br /> et puis<br /> Vertigo, ce superbe tableau<br /> j'en ai éprouvé dans ma chair le désir i y a quelques jours<br /> alors<br /> je vais faire silence quelques temps et me reposer<br /> Baisers tendres à tous deux, je viendrai, ne crains rien, la nourriture que vous nous offrez est de elle qualité....<br /> <br /> <br />
M
J'avais été très impressionnée par cet article et ces toiles, avant de disparaître quelques jours sans avoir eu le temps de m'y arrêter.Ce  que je trouve formidable , c'est d'avoir été "raptée" (car de moi-même je ne serais pas allée vers cet artiste)  et d'apprendre tant de choses, apprendre à regarder, à voir, à reconnaître, à aimer. C'est aussi une façon très experte d'apprivoiser l'angoisse, une forme d'angoisse; "Depuis lors,[l'école] on m'a volé mon âme, et plus jamais je ne l'ai retrouvée" , encore un! Mais la suite surtout est intéressante "cette douloureuse recherche est toute l'histoire de ma peinture"; est-ce que tout ce qui nous touche , dans l'art, n'est pas fondé sur une quête semblable...j'ai bien aimé aussi ta précision sur la rêverie , fertile..."Plage au clair de lune", c'est marrant, moi le chemin blanc, je le voyais pas se perdre..."le Vertige", cette toile, et ton commentaire, sont un bon support de méditation, je trouve...j'aime bien la question que tu poses après "portrait en contre-jour", et tes réponses, vertigineuses "mises en perspective", mais justement sans vertige...Je suis particulièrement touchée par "femme au bord de l'eau" , et tout ce que tu "donnes à voir" que je n'aurais pas vu toute seule.bravo Viviane! encore une fois!  
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R
merci de ton beau commentaire, Mireille, cela me touche que tu ais aimé ce peintre qui m'est cher; Bisous.
L
Ce peintre m'a interpellée, un jour en 2006 j'ai écrit "Vertige"Martèlement des touches sur le clavier, un à un le leitmotiv des sons rentre en moi. Là, face à cette table tu es présent dans le solfège du piano, tambour de la touche, résonance du geste, c’est ici que tu me donnes la main, c’est ici que tu guides mes pas, ta main sur le cheveu noir, le pied dans l’empreinte, l’ombre sur la jambe, images instantanées, des flashs dans le vertige paroxystique d’une nuit d’amour. J’écoute toujours la même musique celle qui réduit mon champ de vision à un point fixe dans le vide, et je danse en suspension vers ce point et tes bras comme des parenthèses me tendent leurs doigts. L’index me fait un signe, me dit de ne pas tomber qu’au bout de la nuit tu es là bien campé sur tes jambes, deux jambes pour deux m’entraîneront sur la pelouse verte là où notre force décuple. Magie de l’espace, à l’ombre des chevaux, sous l’ombrelle de tes yeux mes jambes renaissent, le miracle se reproduit toujours quand tes yeux attendent avec impatience le lacet prendre son élan. Les mouettes donnent le tempo, tes pieds frappent le sol comme les mains sur le clavier donnent la cadence et tu deviens ma force et je piaffe. Au kilomètre 6 je peux garder les yeux clos, je sens que le concerto a gagné ton cœur. Emboîtement du pas dans l’esprit, communion de l’effort, plaisir de vaincre pour t’atteindre au plus profond, mes petits pas comme des gouttes d’eau ont foulé la rosée, les tiens si forts et si grands ont écrasé méticuleusement la souffrance. Au point d’arrivée ton sang circule sans hâte et calme le mien qui s’emballe. Leitmotiv de nos palpitations, martèlement de tes doigts sur ma peau tu es présent dans le solfège de ma respiration. C’est ici que j’aimerais fermer la porte quand le ciel balance ses nuages au-dessus de nos têtes collées dans le même vertige. lutin - 06-11-2006
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R
ce poème en prose comme tu sais si bien les écrire est vertigineux de beauté, Lutin, je et remercie de me l'offrirà bientô, j'espère, mon absence des blogs va être... indéfinie.