Nous sommes en 1641. Aux fastes des cours princières Louis le Nain, peintre d'origine paysanne, oppose déjà un peuple en attente, dont les revendications ne tarderont à éclater au rythme de ses faims. Et ce tableau a beau nous représenter une paysannerie idéale et comme apaisée, les murs en faillite de leurs granges qui semblent s'appuyer au ciel et même le déchirer, le désordre d'un décor flouté et d'une incroyable poésie où tout est immobile et près de basculer, le ciel mélancolique sur lequel se dressent des personnages si ardemment dessinés qu'ils surgissent vivants de la toile nous laissent présager bien des tourments sur les terres où nait le style baroque. Le siècle et demi qui s'annonce est riche de créativité, de réflexions philosophiques, de découvertes scientifiques qui vont révolutionner le savoir et bousculer les religions mais aussi de révoltes sociales et de drames humains aux conséquences incalculables. Alors que plusieurs conflits régionaux sont en cours et que monte en puissance l'absolutisme monarchiste, la traite des noirs en direction des Amériques est à son apogée, l'Afrique saignée aussi bien par les marchands sans scrupules que par ses propres monarques et les conversions forcées. En Europe Kepler, Galilée, Descartes, Malpighi, Newton, Pascal, Fermat, Leibniz autant de noms qui ne vous sont pas inconnus et qui sont associés dans notre mémoire collective au progrès considérable des sciences. Mais revenons à quelques repères... 1600: naissance de la compagnie des Indes 1601 : fondation de l'université de Parme dont voici une représentation lumineuse par le peintre vénitien Canaletto.
1750: Mort de J.S. Bach, début de l'époque "classique ".
Un siècle et demie placé sous le signe des marchands, des savants, des artistes. Et cela ne fait que commencer...
La période dite baroque en musique s'étend de Monteverdi à J.S. Bach, autant dire que sur une telle période, il nous faudra nous contenter de quelques repères stylistiques communs tant chaque créateur y joue sa carte personnelle.
L'esprit de ces temps-là est autant attiré par la dispersion et le mouvement que la Renaissance l'était par l'unité et la stabilité. Pourtant à bien y regarder c'est l'éternel retour du même dans la diversité qui y est mis en avant.
Point de rigidité donc mais une rupture qui ne renie pas son passé.
Dès 1530, moment où commence à frémir l'esprit baroque en Italie, les grandes cités italiennes sont le lieu d'une intense activité marchande, religieuse et artistique qui va lentement déborder sur toute l'Europe.
Le Corrège se tient alors assez éloigné des cours et de ses collègues pour cultiver librement le sens de la douceur et du mouvement dans des fresques étonnantes de profondeur, telles cette Assomption de la Vierge qui nous aspire avec elle:
Dès 1580 des compositeurs comme Lassus, Palestrina, Gabrielli, Gesualdo, Hassler, Praetorius, grands voyageurs devant l'Eternel comme on dit, ont véritablement connu les débuts du baroque tout en s'inscrivant dans l'école franco-flamande. Si on peut dire que le style de la Renaissance était international, le style baroque nait en Italie et s'y référera sans cesse. durant la première moitié du XVIIème siècle avant que la France de Louis XIV ne prenne le relais.
Les puissants d'alors en encouragent les oeuvres, tant il leur apparaît - à tort pour eux - que sa dimension dramatique et profondément émouvante pourrait servir leurs intérêts et asservir les peuples. C'est ainsi que Mazarin dépensa des sommes folles à entretenir un opéra italien et des artistes venus de sa péninsule. Il n'en sortit guère grandi ni aimé d'un peuple en rebellion naissante qui ne s'achèverait pas. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les classiques portèrent sur cette période des jugements lapidaires.
Cette "perle irrégulière" selon le terme portuguais barroco, ce ravin, ce fossé si l'on en croit le mot espagnol baranco ( ravin, qui serait lui aussi à l'origine du style baroque ) heurta dans sa surcharge et ses artifices formels l'éducation policée des artistes classiques. Il fallu attendre le XXème siècle pour poser sur cette période un regard plus bienveillant et s'émerveiller de ses créations sublimes, certaines annonçant l'époque romantique. La mode est alors au clair-obscur. Le Caravage:
Georges de la Tour
Rembrandt
pour ne citer qu'eux, en explorent les possibilités expressives. Hommes de leur temps, ils aspirent à l'oeuvre d'art totale, qui envoûtera les sens sans écarter la richesse symbolique héritée du Moyen-Age et de la Renaissance.
Et si la terre n'est plus au centre du monde, si Descartes s'interroge sur l'humain, sa raison, sa morale, son aptitude à entendre quelque chose à ce monde, si le sens critique que les savants enseignent conduit les artistes à créer contre la Nature et non plus en simple imitation de ses oeuvres, si l'aventure intérieure collective propice aux métaphysiques qui fut la marque du Moyen-Âge a laissé place au temps de l'ici-bas et de ses jouissances, l'homme du baroque reste attaché au concept d'harmonie cosmique hérité de l'Antiquité.
C'est ainsi que Kepler dans ses Harmonices mundi déduit des mouvements des planètes des rapports numériques qui lui permettent d'attribuer à chaque planète un intervalle, une voix ou instrument. Saturne est la planète de la tierce majeure, Vénus celle de l'unisson
La musique quant à elle obéit encore aux classifications du Moyen-Âge: qu'elle soit practica (monodique ou polyphonique) ou speculativa (inspirée des théories des nombres et de l'astronomie).
Point question donc de renier la clarté sans détour du dieu Apollon ( Apollinienne ) telle que nous l'offre le peintre Lorrain Charles Mellin, généreux homme qui accepta parfois que les mécènes et princes fassent passer ses toiles pour des oeuvres de Nicolas Poussin:
Place toute faite enfin aux élans de sensibilité et aux excès des passions qui sont l'apanage de Dyonisos.
Comme est sombre cette toile de Potter ci-dessous et combien fantomatique le personnage d'Ariane abandonnée à Naxos que console un Bacchus amoureux. Le soleil est absent de la toile et pour cause: le mythe de Bacchus et Ariane est celui du déclin du soleil à la saison d'automne. La simplicité de la pose ne nous rend-elle pas plus proches ces deux êtres que tout semble séparer et qui vont pourtant s'aimer?
Tableau méconnu mais qui, par sa facture presque naïve et néanmoins très travaillée, grâce aux divisions géométriques du décor, oppositions de ses couleurs intenses, au détail cristallin de l'eau en regard du flouté des chairs, par sa mise en forme enfin dans un cadre évoquant un symbole fort de la Renaissance, l'oeuf alchimique, illustre à merveille les tourments de l'âme et tempêtes du corps prêts à surgir de leur coquille protectrice:
Sur le plan musical, le baroque ne connaît pas de nouveauté dans la facture instrumentale, se contentant d'améliorer les instruments découverts sous la Renaissance.
La symbolique sonore des siècles passés est plus que jamais vivante et représente de manière très strictement codifiée les états d'âme, les sentiments, l'espace même des drames qui se jouent.
L'époque Baroque est en effet par excellence celle du théatre chanté (ou opéra).
Afin de mieux opposer les contraires, les compositeurs renoncent peu à peu aux modes écclésiastiques du Moyen-Âge pour n'utiliser bientôt que nos actuels deux modes majeur et mineur.
Le contrepoint si complexe de l'école franco-flamande est abandonné au profit de la mélodie soliste accompagnée par une basse continue rigoureuse sur laquelle l'harmonie va s'étayer solidement.
Nait enfin la notion de temps forts et faibles et celle, capitale, que la barre de mesure se trouve avant le temps fort et le signale. Le mesure devient l'unité métrique régulière dans laquelle s'écoulent des rythmes irréguliers. Cela révolutionne l'écriture en la simplifiant et comme toujours, ces cadres stricts deviennent lieux d'explosion créatrice. Surtout, cela apporte aux interprètes un équilibre ferme à leur sensibilité et leur virtuosité, laquelle peut se laisser aller à toutes les digressions possibles tant qu'elles restent dans ce cadre prédéfini.
L'artiste rétribué comme tel et adulé à l'égal des rois nait alors, en même temps que les premiers concerts payants à Venise, en France et Angleterre. Premiers castrats, premiers virtuoses: la musique est devenue affaire de riches qui peuvent s'offrir les talents de tel ou tel et même ses caprices.
Les véritables dieux de ce monde usé de guerres religieuses étant les artistes et les princes qui les emploient, la musique d'alors est très solennelle afin de célébrer les rituels quotidiens, religieux ou laïques, des cours petites ou grandes. Tout est théatralisé et souvent les monarques participent de ces mises en scènes coûteuses pour le peuple.
Celui-ci y perd le peu qu'il possédait: son patrimoine musical qu'atteint de plein fouet le mépris des grands de ce monde et de leurs spécialistes.
Il faudra attendre le milieu du XXème siècle pour que de grands artistes rendent vie à tout un univers musical populaire sans lequel les suites de danses et la forme concertante n'auraient jamais vu le jour.
L'ordre de droit divin qui régit les nations aura alors été renversé.
En préambule à cette longue série qui, individualisme naissant oblige, me conduira à étudier les compositeurs et certaines de leurs oeuvres de manière très détaillée et non plus les écoles, deux oeuvres que vous avez déjà dans l'oreille et qui vous diront mieux que les mots le faste de cette période...
Jean-Baptiste Lully
Marche pour la cérémonie des Turcs
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Marc-Antoine Charpentier
Ouverture du Te Deum
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