Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Cette page est dédiée à Nadine Deleury ainsi qu'à Jean-Pierre,
tous deux lecteurs de ce blog
tous deux amoureux du violoncelle
et bien sûr à vous tous qui suivez fidèlement ce petit chemin d'histoire
Il coule dans la sonorité du violoncelle une eau que l'on voudrait garder pour soi tout seul. Impartageable. Claire ou sombre, violente ou caressante, charnue ou désertée.
" Voluptueusement mélancolique " comme l'écrivait Berlioz.
Plus qu'en tout autre instrument, la voix humaine y résonne en filigrane, dont les inflexions travaillent l'âme comme un soc le ferait d'une terre.
Plus qu'en tout autre instrument, elle s'adresse au cheminement intime de l'être. Et comment s'étonner alors de l'étroite complicité qui semble unir l'interprète à son instrument, ce corps à corps qui trouve, dans ce duo-là plus qu'en tout autre, son intensité la plus haute?
Poser en préambule que ce n'est donc pas la part de l'oeuvre de Bach la plus immédiatement accessible au néophyte, tant elle peut être ascétique. mélancolique, non descriptive. Musique pure en deux mots. Mais c'est celle qui, avec le temps, nous récompense le mieux de notre attention et notre modestie.
Le son puissant, rugueux parfois, mais toujours proche du dire, ne touche pourtant les mélomanes que depuis environ un siècle. C'est en effet à Pablo Casals que l'on doit d'avoir sorti les Suites pour violoncelle seul de Bach de l'oubli dans lequel l'affection pour la musique brillante, légère ou orchestrale les avaient cantonnées.
Et je pense, regardant cette toile de Velasquez, à la solitude de Casals au milieu de ceux qui ne le reconnurent pas immédiatement. A l'étonnement de la découverte. Au monologue intérieur que semble se tenir le Christ et qui est, je crois, au commencement de la relation si singulière au violoncelle. On ne peut faire chanter cet instrument que si on est apte à cette rentrée en soi, cette quête de sa propre voix, ce dépliement de l'âme qui donneront par suite tant de générosité à l'écoute des autres dans la musique de chambre:
De ces suites nous sont parvenues, non point des originaux, mais des copies, dont celle d'Anna Magdalena, sa seconde épouse. Elles sont au nombre de six, écrites toutes selon un plan identique comportant une ouverture (ou Prélude) suivie de quatre danses obligées ( Allemande, Courante, Sarabande, Gigue ) auxquelles Bach, soit par curiosité soit pour sacrifier à la mode du style galant naissant, ajouta des menuets, gavottes et bourrées. De ces danses " à danser " Bach ne retient que la mesure et l'allure, très codifiées. Elles sont en fait prétexte à explorer la tessiture de l'instrument et ses possibilités polyphoniques grâce au jeu sur deux cordes.
De difficulté croissante, et à ce titre faisant partie du programme d'études de tout violoncelliste, les trois premières se nichent dans des tonalités naturelles et " faciles " à l'instrument, la quatrième dans une tonalité plus malaisée, la cinquième modifie l'accord du violoncelle, le faisant passer de Do-Sol-Ré-La à Do-Sol-Ré-Sol. Ce redoublement de la note Sol donne une profondeur particulière à l'oeuvre, une couleur plus sombre dont nous entendrons bel exemple. Enfin la sixième est sans doute la plus virtuose de toutes, écrite pour violoncelle à cinq et non plus quatre cordes.
Elles sont uniques en ce sens qu'elles font " époque ", n'ayant aucun précédent hors les oeuvres pour viole de gambe. On retrouve bien trace de pièces pour violoncelle solo chez Domenico Gabrielli ( Ricercari, 1675) ou Domenico Galli ( Trattenimento, 1691). Mais en vérité rien de l'ampleur de ce que crée Bach ici, sans nul doute pour faire écho au travail précédent des partitas pour violon seul mais également en hommage à l'art français de la viole de gambe ( pourtant déjà sur le déclin ) ainsi qu'au Prince de Köthen, lui même fort bon gambiste.
Comme dans nombre de ses autres oeuvres, Bach y marie les styles allemand, italien, français. Mais l'exemple sonore vaudra tous les discours.
Les Courantes y sont écrites à trois noires par mesure comme les courantes italiennes et non plus trois blanches comme dans les courantes françaises, d'où leur nature plus vive, plus enlevée. Cette danse dans sa version italienne était rappelons-le pour la petite histoire la danse préférée de Louis XIV. Les courantes à la mode française étaient parcourues de grandes subtilités rythmiques et cédaient souvent à la tentation du contrepoint, qu'évite Bach ici. Ecoutons la Courante de la Première suite en Sol majeur.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__III_Courante.mp3&
Les gigues, danses d'origine anglaise et écossaise, sont composées dans soit dans un style très français, remarquable par son tempo modéré, soit dans le style italien plus rapide et proche de la danse originelle.
Ici la Gigue de la Quatrième suite, dans le style italien avec ses motifs en écho aux nuances contrastées et sa mélodie en ruban sans fin pleine d'accents du terroir:
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/Suite_for_Cello_Solo_No_4_in_E-Flat_Major_BWV_1010_Gigue.mp3&
Puis la Gigue qui clot la Cinquième suite, à la française et dont les rythmes pointés acentuent le caractère sautillant:
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/21_Suite_for_Cello_Solo_No_5_in_C_Minor_BWV_1011__VI_Gigue.mp3&
Quant aux Allemandes, elles portent bien leur nom avec leur style contrapuntique.
Le Prélude de la première Suite fait partie du parcours obligé de tout violoncelliste et il vous est sans doute arrivé tout comme à moi de vous laisser happer dans le métro parisien par un violoncelliste aux yeux tournés vers l'intérieur, cherchant la meilleure résonance possible pour lui et son instrument à travers ces notes sublimes... Modigliani représente ici magnifiquement ce qui pouvait se lire sur le visage des artistes offrant au passant sans retour quelques échappées dans l'intime.
De cette Première suite, successivement le Prélude, l'Allemande et la Gigue.
Le Prélude est tout en arpèges s'enroulant sur eux mêmes en de subtiles modulations progressives. Leur caractère répétitif jusqu'à l'obsession participe de ce sentiment de quête sans fin, d'exploration, de déploiement réfléchi.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/01_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__I_Prelude_1.mp3&
L'Allemande
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/02_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__II_Allemande.mp3&
La Gigue
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/07_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__VI_Gigue.mp3&
Et pour finir, en harmonie avec l'ambiance sombre et méditative de cette toile contemporaine de Ginette Bertrand, la très belle sarabande de la Cinquième suite en ut mineur.
J'ai choisi pour illustrer toute cette page la merveilleuse interprétation de Mistlav Rostropovitch. Pour la présence de l'instrument, l'engagement total de l'interprète dans un climat à la fois passionné et dénué de pathos, la rigueur, la proximité, la profondeur aussi vaste que cette mer sur laquelle flotte un violoncelliste.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/18_Suite_for_Cello_Solo_No_5_in_C_Minor_BWV_1011__IV_Sarabande.mp3&
Pour réécouter sans l'interruption du texte:
Première suite pour violoncelle seul BWV 1007 en Sol majeur, successivement:
Prélude, Allemande, Courante, Gigue
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/01_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__I_Prelude_1.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/02_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__II_Allemande.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__III_Courante.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/07_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__VI_Gigue.mp3&
Quatrième suite pour violoncelle seul BWV 1010 en Mi bémol majeur , Gigue
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/Suite_for_Cello_Solo_No_4_in_E-Flat_Major_BWV_1010_Gigue.mp3&
Cinquième suite pour violoncelle seul BWV 1011 en Do mineur, successivement Sarabande, Gigue.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/18_Suite_for_Cello_Solo_No_5_in_C_Minor_BWV_1011__IV_Sarabande.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/21_Suite_for_Cello_Solo_No_5_in_C_Minor_BWV_1011__VI_Gigue.mp3&
Et pour faire suite au commentaire de Binh An, ces mêmes pièces dans la magnifique interprétation de Pierre Fournier. Je dois avouer avoir hésité entre les deux et quand on hésite, il ne faut pas choisir... Fournier y déroule l'oeuvre avec une délicatesse, une beauté du phrasé très recherché et très proche du langage, une précision dans les attaques et les nuances beaucoup plus intimiste que le violoncelle parfois grondant de Rostropovitch, une grande intelligence du texte même si dans certaines des gigues je le trouve trop peu enlevé pour traduire le caractère rebondissant de cette danse. Donc :
Première suite pour violoncelle seul BWV 1007 en Sol majeur, successivement:
Prélude, Allemande, Courante, Gigue
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/1-01_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__I_Prelude.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/1-02_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__II_Allemande.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/1-03_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__III_Courante.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/1-06_Suite_for_Cello_Solo_No_1_in_G_Major_BWV_1007__VI_Gigue.mp3&
Quatrième suite pour violoncelle seul BWV 1010 en Mi bémol majeur , Gigue
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/2-06_Suite_for_Cello_Solo_No_4_in_E-Flat_Major_BWV_1010__VI_Gigue.mp3&
Cinquième suite pour violoncelle seul BWV 1011 en Do mineur,
Sarabande, Gigue.
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/2-10_Suite_for_Cello_Solo_No_5_in_C_Minor_BWV_1011__IV_Sarabande.mp3&
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/2-12_Suite_for_Cello_Solo_No_5_in_C_Minor_BWV_1011__VI_Gigue.mp3&