Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
L'odeur de la poudre et le carnage des boulets de canon sur les vagues. Il en faut aussi peu aux hommes de tous temps pour se croire vivre.
Les années 20 du siècle 1700. Déjà 20 ans que se livrent bataille sur bataille dans la Baltique, conflit dont la Russie sortira avec un poids déterminant pour la suite de l'histoire. La toile ci-dessus illustre la bataille d'Ösel qui fut la première victoire navale russe contre les alliés de l'Europe du Nord. Victoire sur l'eau qui leur donna des ailes...
1720. Autres lieux. Autres victoires du mauvais sort sur la Vie. Marseille connait une terrible épidémie de peste. Un tiers de la population provençale est alors victime du bacille responsable de cette maladie effroyable dont ce sera la dernière manifestation en France. Comme souvent, les " autorités " ont fait preuve d'une bien grande légèreté dans la surveillance des navires débarquant leur marchandise sur le port. Des tissus en provenance du Levant sont porteurs de la maladie qui décimera toute une région en peu de temps. Cet épisode dramatique donnera lieu d'ailleurs à maintes relations chez les plus grands de nos auteurs, tels Chateaubriand ou Pagnol...
Regardant ces images qui relatent des temps tourmentés, on en oublie que non loin de ces catastrophes la vie continuait. Insouciante ou douloureuse selon les couches de la société. Mais avec ses créations, ses amours, ses musiques toutes encore obéissantes au style baroque. Est-il enlevé et plein de fougue ce Phaéton de Nicolas Bertin, peint lui aussi en 1720. L'or solaire et les ombres qui tournoient au coeur de la toile nous ramènent ici aux couleurs somptueuses et aux ritournelles utilisées par Jean-Sébastien Bach dans quelques unes de ses oeuvres orchestrales composées durant la belle et heureuse période de Cöthen.
Maniant aussi bien le violon que la viole de gambe, l'orgue ou le clavecin, Bach, transporté par la passion du Prince Léopold de Cöthen pour la musique profane instrumentale venue d'Italie, compose à son intention de nombreux concertis pour divers instruments.
On se doute en écoutant certaines sinfonias, ouvertures ou passages orchestraux des cantates écrites à la même époque que Bach y recyclait tout simplement une véritable " banque de données musicales " personnelle. Morceaux couchés sur le papier puis réutilisés ici ou là, réunis en concerto ou en sonate, intégrés à une suite ou une cantate. Et cela laisse supposer un nombre bien plus important d'oeuvres concertantes que les quelques trente cinq opus qui nous sont parvenus.
L'esprit de Vivaldi imprègne beaucoup de ces oeuvres construites selon le modèle vénitien: deux mouvements rapides encadrant un mouvement lent. Mais Bach appose sa pâte propre et son style avec une élégance, une intériorité souvent, un brio qui ne cède jamais à la facilité comme on aurait pu parfois le reprocher au prêtre roux...
Il ne s'agit pas de faire briller l'instrument soliste mais de dissoudre sa sonorité dans celle de l'orchestre.
Les concertos originellement pour violon sont au nombre de quatre dont un écrit pour deux violons solistes. Je laisse délibérément de côté ceux qui sont transcrits de concertos pour flute ou clavecin.
Difficile de choisir entre ces oeuvres aux personnalités si fortes!
Mais il faut s'y résoudre et c'est le concerto en Mi majeur BWV 1054 que j'ai envie de vous faire découvrir.
Le matériel sonore utilisé y est d'une simplicité biblique: le concerto s'ouvre sur l'arpège au degré fondamental de la tonalité de Mi majeur. Trois notes clairement énoncées, légèrement piquées, entonnées en choeur par l'orchestre et le soliste et qui forment deux intervalles précédant un court silence. Nous avons là le premier motif:
Immédiatement, le second intervalle va être brodé. Apparaît ici le deuxième motif:
Puis s'élance le troisième motif, plus rythmique, sous forme de notes répétées dont le dessin va moduler, entrecoupé de gammes et d'interventions du soliste qui reprend à son compte en l'ornementant ce matériau de départ:
Tout est posé en quelques notes dont la réunion constitue la ritournelle, sorte de refrain répété à l'identique et s'intercalant entre des sections bien individualisées les unes des autres. On peut diviser ce premier mouvement en trois parties distinctes, ou pour le dire autrement: selon la forme A-B-A:
A - Entrée de l'orchestre et du soliste conversant dans la tonalité de Mi majeur ( tonalité qui convenait au grand, au joyeux, au magnifique) puis modulation à la dominante Si majeur ( tonalité plus dure, reflétant le désespoir) . Cette section met très en valeur dans un premier temps l'orchestre, dans un second temps la virtuosité du soliste.
B - Modulation progressive vers le relatif mineur de Ut #. ( tonalité très rarement utilisée à l'époque pour des raisons de difficultés à accorder les instruments en s'éloignant trop de la tonalité initiale ) Ce passage se referme sur une cadence de virtuosité paradoxalement lente puis un court silence, juste avant la reprise dans la troisième section.
A - Retour à la tonalité initiale.
L'ensemble est d'une grande allure et solidité, tout campé sur ces thèmatiques simples et sans cesse reprises, triturées, pressées au bout de leurs intentions initiales afin de laisser chanter chaque pupitre.
Le second mouvement, dont vous voyez ci-dessus le début de l'orchestration, est un bel Adagio en Ut # mineur. Cette tonalité étant déjà apparue lors du premier mouvement, l'oreille y est déjà accoutumée et se sent totalement chez elle...
Le matériau thématique y est donné d'emblée par la basse et non par les voix élevées, ce qui est assez inhabituel dans le genre. La broderie qui s'élance avec douceur vers le haut y est ici contredite par les trois notes répétées dans le grave qui vont tout du long accompagner la méditation du soliste de leur poids inéluctable. Le mouvement se termine sur une note tenue à l'unisson, Ut #.
Le dernier mouvement est un rondeau très bref et joyeux dans lequel la ritournelle de départ (ci-dessus) apparait à chaque fois dans son intégralité et cinq fois en tout, encadrant quatre interventions solistes de plus en plus virtuoses. Cette division dans la forme rondeau était celle adoptée par Vivaldi. Bach en fait ici quelque chose de tout à fait personnel puisque, contrairement à son contemporain italien, il réutilise à chaque fois intégralement la ritournelle sans la modifier, là où Vivaldi avait tendance à abréger les apparitions des tuttis pour laisser toute place au soliste ... qu'il était bien sûr!
J'ai choisi entre plusieurs versions qui toutes ont leur charme propre une interprétation à la fois sensible et intelligente. Celle de la belle Lara Saint-John. Elle contentera les amoureux du beau son bien rond que rien n'exaspère plus que les sonorités plus aigrelettes des violons imités du baroque, et son phrasé très obéissant aux règles et traditions fera plaisir aux baroqueux... dont je suis!
Premier mouvement : Allegro
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Deuxième mouvement : Adagio
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Troisième mouvement : Allegro assai
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Bonne écoute!