Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Il est des oeuvres qui, pour reprendre les propos de Schumann, " Donnent du coeur à l'ouvrage et de la joie pour les choses de la vie. "
Les partitas pour clavier de Bach, au nombre de six, font partie de ces oeuvres.
A l'époque où il les compose, Bach se trouve à Leipzig. Période de refondation personnelle, de dur labeur aussi au sein d'une municipalité qui le méprise et l'exploite. D'innovation enfin dans son art.
Le mot "partita " signifie encore aujourd'hui " écriture en sections ". Bach n'avait pas inventé cette forme musicale qui existait depuis un siècle déjà mais il lui a donné sa forme la plus aboutie, tant par la virtuosité que par la variété thématique.
La suite de danses populaires ( Allemandes, courantes, sarabande et gigue ) auxquelles Bach ajoutera des " galanteries " ( qui pouvaient être des danses comme le menuet ou la gavotte ou des pièces à programme comme les scherzo, burlesques et rondeau) en est la fondation. Ces danses, le plus souvent au nombre de 6, succèdent à une pièce initiale nommée selon son climat propre préambule, aria, sinfonia, toccata, ouverture... Ajoutons qu'ici le terme de climat recoupe une notion d'ambiance et une autre de style ( français, allemand, italien...)
Imaginons Saint Jérôme, patron des traducteurs et père de l'Eglise, plongeant dans les saintes écritures avec ce souci d'ascèse et de rigueur qui était le sien alors même que cette haute exigence intime était contestée dans son entourage proche.
Et nous aurons idée des difficultés rencontrées par Bach, à la fois traducteur et relais d'une tradition dont il travaillait à fixer les contours, conscient que l' Europe peu à peu laisserait disparaître son patrimoine musical véritablement populaire au profit d'airs à succès le plus souvent issus de l'opéra, qui transitant par les salons de la bourgeoisie des capitales régionales descendaient dans la rue et regagnaient les campagnes.
Il faut dire que les populations des provinces n'avaient aucune conscience des trésors accumulés dans leurs greniers, fermes et granges et que l'attrait pour ce qui venait de la ville, déjà, faisait de beaux ravages... Hors une tradition bien ancrée de chant narratif qui survécut aussi bien en Italie qu'en France ou dans les îles britanniques, les danses de villages et morceaux de musique transmis de baladin à autre baladin ne faisaient plus recette.
Bach recueillit précieusement toutes ces influences qui font une nation ou une terre et cela concourut grandement au style de sa maturité: le modèle français bien sûr, mais aussi les versions italiennes de certaines danses comme la courante ou la gigue. Et surtout le modèle de son propre terroir, si riche de l'écriture en contrepoint et tellement attaché à conserver d'un bout à l'autre d'une oeuvre " en sections " l'esprit de la pièce qui prélude aux danses et galanteries.
Comme sur la toile ci-dessus intitulée " Gavotte d'une Noce bretonne " toute d'ombres et de lumière qui donnent tant de vie au mouvement, ce sont le contraste et la complémentarité qui intéressent Bach dans la composition de ses partitas pour clavier.
Chacune des pièces qui entame chaque partita a son caractère propre. Pour autant le style évoqué d'emblée n'enferme à aucun moment la succession des danses dans un déterminisme inerte et froid.
C'est ainsi que les Partitas deviennent une véritable invitation au voyage au sein même d'une suite donnée. Par exemple le prélude de la partita n°1, très proche de l'écriture contrapuntique allemande, ne laisse rien présager de la gigue finale très dans le style de Scarlatti. Le préambule concertant à l'italienne de la partita n° 5 n'augure en rien la gigue fuguée majestueuse qui termine l'opus cité. Mais au total, chacune des partitas dans son tour d'horizon des styles se révèle d'un prodigieux équilibre formel et d'une grande unité.
Avec hardiesse et élégance, Bach dans le fond dépasse les éléments thématiques de base que sont les cellules rythmiques et mélodiques pour faire chanter l'esprit plutôt que la lettre.
Mais écoutons plutôt quelques extraits de ces oeuvres qui devaient beaucoup dans leur style italien concertant au prêtre roux et à Venise, peinte ci-dessus par Thomas Moran.
Bach aimait à mélanger les styles, on ne m'en voudra pas de juxtaposer les versions discographiques...
La Partita n°1 est sans doute la plus connue. En voici pour commencer le Prélude d'une grande noblesse et aux cellules rythmiques très organisées, balançant d'une main à l'autre comme dans une invention légère.
Trois versions de ce Prélude.
La première par la remarquable Angelina Hewitt, toute en respect du texte et profondeur sonore.
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La version historique de Glenn Gould où l'on entend par moment le maître mugir derrière son instrument et chantonner tout du long un contrechant à lui... Petite manie anecdotique sans doute mais fort agaçante pour qui aime écouter vraiment sans parasitage.
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Et enfin le remarquable clavecin du très jeune et très prometteur Francesco Corti, toujours dans ce prélude. Bel équilibre des registres, une interprétation que l'on sent mûrie et travaillée note à note.
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Restons dans la Partita n° 1 et écoutons-en la Gigue finale, dans un style proche de celui de Scarlatti. Pièce d'une grande virtuosité, elle impose des croisements incessants de la main gauche et la main droite. La voici dans une version historique elle aussi, celle du grand Dinu Lipatti. Pâte inimitable, puissance, jubilation, présence et tout est dit! C'est cependant une interprétation qui aujourd'hui sans doute ne passerait plus, trop romantique, trop chantée et lisse, trop peu baroque dans l'esprit.
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Une superbe version de Rosalyn Tureck au piano et en concert. Fine et légère comme un voile de jupon se soulevant, elle chante sans appuyer, papillonne d'un lieu à l'autre sans négliger la netteté incisive et sensuelle des ornements ou la profondeur discrète des basses et donne du staccato sans tomber dans les excès d'un Gould.
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Venons en maintenant à la Partita que je préfère pour en avoir souvent travaillé et fait travailler le préambule à mes élèves lors de concours de fin d'année. J'ai choisi pour vous quelques extraits de la version au clavecin de Francesco Corti, toujours. Et si l'artiste, lui, ne chante pas, on l'entend parfois respirer et cela est une vraie jubilation!
Partita n° 5, Préambule:
Ce petit concerto à l'italienne recèle des trésors de difficultés et de variétés. Cascades de traits, batteries, croisements etc qui s'articulent autour de parcours plus chantants et calmes.
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Allemande
Une danse de forme assez classique, en deux parties avec reprise, où les guirlandes de doubles et triples croches permettent aux deux mains de montrer leur virtuosité équivalente parfois soutenue par un chromatisme discret.
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Courante
Construite en deux parties qui s'opposent, et dans un style brillantissime à l'italienne, la première partie fait entendre à la main gauche des successions d'accords en croches pendant que la main droite galope en doubles croches.
La deuxième partie inverse les rôles et le tout se termine par un beau glissando!
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La section n° V de cette Partita est un Menuet très sobre un peu dans le style de Rameau, à la française, donc...
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J'aime beaucoup dans cette même pièce le remarquable travail sur la sonorité du jeu de luth que nous propose Trevor Pinnock
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La section VI est un Passepied, danse française là encore qui traite avec élan et sens du " sauter/retomber " un thème tout simplement accompagné. Ne dirait-on pas que l'on voit les danseurs se saluer, sauter, tourner?
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Et pour finir, la Gigue fuguée ample et joyeuse qui va son train enthousiaste et plein de détermination. Le premier thème est répété trois fois puis après une césure apparait le second thème dans une débauche d'ornements de plus en plus complexes et une difficulté technique non moins remarquable...
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J'ai toujours du mal à quitter le grand Jean-Sébastien... Allez! pour le plaisir deux numéros de cette même Partita par Murray Perahia au piano. Bonne promenade sonore...
Menuet
Perahia y donne à entendre un jeu de luth au piano, magique!
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Passepied
Passepied
Dansant en diable... Et d'une clarté d'énonciation de la phrase qui me laisse admirative. Quel sens de la ligne de chant!
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