Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
" Je cherche à cacher l'art par l'art même " Rameau
Toujours pris entre deux querelles, notre homme ! Il faut dire que son piètre caractère bougon et orgueilleux aussi, l'y disposait. Mais pas seulement. Cet homme résistait. A sa manière.
En 1733 sa première tragédie lyrique, Hippolyte et Aricie, déclenche ce que Voltaire nommera " la querelle des Lullystes et des Rameauneurs". Simple avatar de la querelle des anciens et des modernes.
D'un côté ceux qui se réclament de la perfection déclamatoire et des harmonies pures et simples soutenant le drame dans l'esprit de la tragédie grecque telle que l'a défendue Lully. Pour eux Rameau est un Moderne.
De l'autre , les partisans d'harmonies complexes portant la libre évolution de la ligne mélodique. Pour tout dire: un penchant assumé vers l'école italienne. A leurs yeux Rameau est non seulement un Moderne, ce qui est un compliment, mais un homme d'avenir.
En 1742, Rameau mettra un terme à cette première querelle en parodiant de magistrale manière, nous le verrons plus bas, l'art de Lully, l'opéra-bouffe italien et même ses propres manies de compositeur dans son opéra Platée. Le public enthousiaste saura alors apprécier l'humour des procédés musicaux choisis et rendra à Rameau les lauriers qu'il méritait...
En 1752, notre ami est de nouveau attaqué lors de la célèbre Querelle des Bouffons. L'opéra français était alors villipendé de toutes parts pour sa rigidité poussiéreuse ( selon le baron Grimm ). Paris, autant dire la France, se coupe en deux !
Au " coin de la Reine " les partisans de la mode italienne et son opera buffa.
Au coin du Roi ( Louis XV et Madame de Pompadour) les défenseurs de l'art français.
Rameau, depuis la création de son Platée a été relativement épargné. Mais c'était sans compter avec un trublion nommé... Rousseau aux yeux duquel il est l'archétype des Anciens. Nous y reviendrons.
Penchons nous un peu sur ce compositeur qui focalisa sur lui, bien involontairement, la rage de toute une époque en pleine mutation.
Son enfance et même sa vie restent obscures. Né à Dijon en 1683, mort à Paris en 1764. Après des études médiocres (dont il conservera une difficulté à écrire et même à parler) il entreprend des études musicales qui sont sa vocation. On le suit plus ou moins à la trace en Italie, Avignon, Clermont-Ferrand, puis enfin Paris où il occupe un poste d'organiste des Jésuites de la rue Saint-Jacques. Il n'écrira d'ailleurs jamais pour cet instrument qui fut alimentaire.
C'est le temps des motets, dont quatre seulement nous sont parvenus. Je vous propose d'écouter le très beau et flamboyant In convertendo, daté approximativement de 1720:
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Son temps est par suite consacré au clavecin ainsi qu'à des traités d'harmonie qui font sensation. Très vite il reprend une vie de musicien itinérant, tel ces oiseaux de Jan van Kessel affolés de l'orage qui gronde. Il faut dire que sa réputation de théoricien de la musique le poursuit et gêne sans doute celle du claveciniste et de l'organiste. Pourtant que de joyaux dans cette oeuvre... Voici quelques extraits des second et troisième livres de clavecin par la magnifique Noelle Spieth. Et l'on se demande écoutant cela, comment les détracteurs futurs de Rameau n'entendirent-ils pas la prodigieuse fécondité de sa ligne mélodique?:
Le rappel des oiseaux
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Tambourin
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L'Egyptienne
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Apparaît alors dans sa vie le fermier général La Pouplinière.
Il lui ouvre les portes de sa maison, lui offre un orchestre, finance les oeuvres lyriques.
Elles se succèdent à un rythme effrené. Pratiquement une création par an pendant 21 ans, entre 1733 et 1754. Avec d'ailleurs souvent un librettiste qui se nommait... Voltaire! Tous ces opéras accordaient une place importante aux passages dansés ou simplement orchestraux.
Ecoutons pour commencer l'air de Phèdre, extrait de l'Hipplyte et Aricie par Véronique Gens. On y entend bien que Rameau excellait tout autant dans le style mélancolique comme suit que dans le style enjoué.
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Puis composé en 1735 cet extrait célébrissime des Indes galantes, air du calumet de la paix dansé par les sauvages:
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En 1737, Castor et Pollux, dont voici un Tambourin :
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Composé vers 1749 le Zoroastre, dont je vous offre l'air d'Amélite, laquelle prétend que " Non, ce n'est pas toujours pour ravager la terre qu'il faut s'agiter " Voilà qui convient à la jardinière que suis et pourrait être conseillé à certains... Le timbre d' Eugénie Warnier est sublime de mordant et de fruité.
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Indifférent aux critiques des experts ( déjà!) mais adoré du public, Rameau n'oublie cependant pas son instrument de prédilection: le clavecin. Il compose pour lui de belles pièces pour petite formation de chambre ou " concerts" ainsi que des oeuvres dans lesquelles s'exprime pleinement la maturité assagie et profonde, telles celles de la cinquième suite pour clavecin, dont voici un bel extrait, la Sarabande La Leon:
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Tout ceci le conduit à devenir musicien du Roi. C'est au moment où il vient de composer avec Voltaire une pièce en l'honneur du mariage du Dauphin avec Marie-Thérèse d'Espagne qu'éclate la fameuse querelle des Bouffons, en 1752. Nous y voici de nouveau!
Accompagné de quelques philosophes dont Diderot et Rousseau, le parti des Italiens soutient avec violence la fluidité de la musique italienne contre le lourd appareil de la musique française en général et de Rameau en particulier. Que reproche-t-on en fait, à cette dernière?
- Les partitions de Rameau seraient trop chargées et fatigantes à suivre pour l'orchestre (qui devait déjà compter quelques syndicalistes...)
- On entend plusieurs chants simultanément qui ne provoquent que difficulté à se concentrer.
- Les musiciens de l'orchestre n'ont pas le temps d'éternuer ( sic)
Rameau ne se laisse pas atteindre par le tissu d'insultes plus basses les unes que les autres qui circulent dans le Tout-Paris à travers plus de 60 écrits polémiques, pseudo-scientifiques, philosophiques ou satiriques. Et d'autant plus que ceux qui l'avaient raillé lors de la Querelle des Lullystes et des Rameauneurs ont fait volte-face et se rallient désormais à sa personne, tenue comme la seule héritière du grand art français.
Mais Rousseau a la dent dure. Il écrit à propos de la musique et de la langue française:
"Il n’y a ni mesure ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n’en est pas susceptible ; que le chant français n’est qu’un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue ; que l’harmonie en est brute, sans expression et sentant uniquement son remplissage d’écolier ; que les airs français se sont point des airs ; que le récitatif français n’est point du récitatif. D’où je conclus, que les Français n’ont point de musique et n’en peuvent avoir ; ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux ".
Cette Lettre sur la musique française, fort critiquée par ailleurs si l'on en croit les réactions contemporaines à Rousseau consignées dans cet article, si elle met en chantier la réflexion ultérieure du philosophe sur l'origine des langues, leur musicalité propre et les raisons pour lesquelles elles épousent bien ou mal les inflexions de la musique, voire influencent le caractère des peuples et leurs usages, cette lettre stimule le caractère belliqueux de notre bourguignon.
Non seulement il donne à nouveau Platée, qui enchante toujours autant le Tout Paris et que Rousseau se gardera bien de commenter, sans doute n'y ayant vu que du feu... mais il publie dans l'Encyclopédie où il avait tout de même quelques bons amis plusieurs articles en réponses à Rousseau: Observations sur notre instinct pour la musique, Erreurs sur la musique.
La guerre est déclarée... Deux mondes s'affrontent dont l'un connait son crépuscule
Toile de Claude-Joseph Vernet, 1752
En vérité, la préférence accordée à tel style d'écriture musicale plutôt que tel autre, jugé sclérosé ou ranci, ne sert que de prétexte à nourrir un débat plus profond. Foin des sujets mythologiques! prenons comme Pergolèse des sujets d'opéra qui soient ceux de la vraie vie, voilà ce que veulent les Encyclopédistes.
Rameau et le parti du Roi ( donc le pouvoir en place) se réfèrent au rationalisme classique, l'harmonie y obéit à des lois physico-mathématiques. Elle est comme l'homme soumise aux principes de la Nature, elle-même soumise aux lois de la raison qui règne sur le monde physique mais également moral.
Rousseau est en quête de liberté et d'affranchissement politique, esthétique et osons le dire, éthique. Ce qui est un paradoxe pour un homme qui, ne l'oublions pas, abandonna épouse et enfants pour vivre sa vie de donneur de leçons qui pensait qu'en avouant ces abandons, son image en serait enjolivée.
Ce qui est très étonnant, c'est que ce philosophe si sûr de lui et qui détestait la musique française ne sut composer que de piètres oeuvres très scolaires et toutes imprégnées de ... culture musicale française!
Pour preuve cet air passablement ennuyeux extrait du seul opéra de Rousseau, le Devin du village, ici l'air de Colette, J'ai perdu tout mon bonheur, qui est une collection de poncifs et de redites.
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A cette besogne, opposons l'air de la Folie extrait de Platée, dans lequel Rameau va parodier tout ce qui fait toute la musique de son temps.
Son projet?
Démontrer le caractère très conventionnel de l'union Musique/paroles.
Démontrer en démontant les procédés que toujours la musique porte le texte. Que quelque soit le texte, c'est la musique qui parvient avant lui aux oreilles de l'auditeur. Qu'on pourrait parler charabia sur une mélodie triste ou à l'inverse joyeuse c'est la tristesse ( ou à l'inverse la joie) qui parviendrait à la sensibilité de l'auditeur PAR la musique porteuse de sens et bien avant la lettre incompréhensible. Et donc l'inutilité de débattre là-dessus.
Moquer gentiment les styles et même ses manies.
Mais au-delà, et bien dans l'esprit de l'époque, réunir en un opéra le Concert des Nations qui imprégnait de toutes ses influences italiennes, allemandes, françaises, la musique Européenne.
Nous allons entendre une Folie débridée vocaliser sur les finales ( ce qui est contraire aux règles) , hurler sur des OU qui la font ressembler à un hibou, nasiller certaines voyelles dans un style français, assumer une diction très claire, pointue et même un peu serrée comme il était d'usage au temps de Rameau ( c'est là qu'il se parodie) qui empêche quelque peu la projection de la voix au sens italien, accentuer volontairement les finales dans le style de Lully... et de Rameau lui même, improviser des cadences gratuites à la manière italienne, chanter du tragique sur des musiques enlevées et à l'inverse la gaieté sur des sonorités funèbres, ricaner et j'en passe.
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Au final, Rousseau abandonnera la musique, ce qui n'est pas une perte.
Et notre cher Rameau, si injustement oublié, aura manifesté à travers son art la liberté de ton qui était la sienne, entre la figure écrasante de Lully et celle, à venir, de Gluck.
En bonus une extraordinaire interprétation en vidéo de cet air par la désopilante et sudouée Mireille Delunsch