Le déluge qui s'était abattu sur le village des Hules reculait maintenant, en une lente révérence.
Quelques jours plus tôt l'eau bienfaisante et d'une douce régularité dans sa chute avait comblé les attentes de chacun après deux saisons totalement sèches. Pâturages éteints et ruisseaux assoiffés ne se comptaient plus...
De mémoire d'homme il en avait toujours été ainsi, par périodes.
Mais la patience des habitants du village, leur sérénité devant cette pluie dont aucun instrument ne mesurerait l'ampleur, le labeur sans hâte de leurs mains et cruches récoltant une partie des gouttes gâchées sur la campagne avaient toujours été récompensés.
Pourtant, lorsque se présenta à eux celui dont il se disait partout à la ronde qu'il était responsable de ces précipitations aussi adorables qu'elles étaient espérées depuis des mois, leur tendresse pour eux-mêmes et pour les cycles de la Nature se transforma en une sorte de haine.
Théo Rique - car tel était son nom - était un savant dont la renommée avait précédé de fort loin ses réalisations.
Il lui fallut moins d'une demi-journée pour monter une estrade et s'y pavaner en lançant au ciel un mélange d'imprécations et de savoirs qui courbaient l'échine des paysans attroupés et répandaient en leur coeur envie et rancune. A l'écouter, lls se convainquirent que l'humble travail de leurs mains était devenu inutile. Que sans un socle de savoir minimal, leurs existences seraient misérables. Et que seule la Parole possédait le pouvoir d'ensemencer la Vie.
- Tu ne l'aimes pas, Tamel ... murmura Damousse à son camarade tout occupé à lui modeler dans la terre humide une petite jarre.
- ...
- Tamel, nous lui devons le retour de la pluie!!
- Tu te mets à croire tout ce qui se dit maintenant, Damousse? répondit Tamel d'une voix mordante.
- Pfff... Quand tu seras de meilleure humeur, viens me rejoindre aux portes Sud, qui sait, je te donnerai peut-être un peu de mon gâteau de miel à la gelée de mangue!
Tamel laissa Damousse partir. Il savait bien au fond que la fillette ne manquerait pas le moment venu de se ranger à son avis et même prendre sa défense.
Bien lui en prit pourtant de suivre des pensées le pas de sa jeune amie.
-Prends ta part de Terre ! hurla Tamel en barbouillant de glaise de la tête aux pieds l'homme qu'il avait rejoint d'un bond sur la scène. Prends ta part de Terre et vois ce que tes flots de paroles sont en train de noyer! Les prés où s'embourbe et meurt le bétail, les puits qui débordent sur la graine, les enfants isolés par la montée des eaux sur des langues de tourbe ... Crois-tu vraiment que mon village ait eu besoin de ces démonstrations pour vivre en paix, boire à sa soif et irriguer les champs depuis des générations? Prends et laisse la Vie aller son cours! Prends et ne reviens jamais! Le camelot ne se le fit pas dire deux fois. Il abandonna là une phrase inachevée qui ne se tordit guère longtemps sur les planches avant de mourir puis s'engouffra dans un chemin creux.
Le regard de Tamel brûlait d'une telle colère qu'il sécha en quelques minutes l'eau accumulée sur la place du village. La pluie s'échappa elle aussi, délivrant un ciel profond et bleu, libérant les troupeaux et surtout Damousse piégée sur un petit tertre. Il ne resta que quelques rus et flaques apaisés dont le village saurait sans violence apprivoiser le dessin et engranger les gouttes.
Ce soir là, les Hules trouvèrent joie profonde à faire cercle silencieux autour de leur vieux potier. Ses gestes tournant ce qui les aiderait à moissonner l'eau pour les mois à venir leur en apprenaient bien davantage que mille paroles...