Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Par Viviane Lamarlère
Mon Ami,
Il est une expression votre que j’aime infiniment, pour la douceur avec laquelle elle coule, pour ses sonorités rondes et ouvertes.
Elle me rappelle cette phrase : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés », qui avait marqué mon enfance à une époque où je n’avais même plus de larmes à laisser couler et trouvais - déjà - quelque consolation à l’existence dans la lecture des livres saints.
De cette triste période l’Apocalypse de Saint Jean et l’évangile selon Saint Luc resteront mes préférés à tout jamais, quoique Dieu et moi nous soyons éloigné l'un de l'autre depuis longtemps.
Pluie intime.
Pendant des années, jusqu’à très récemment, je me suis interdite de pleurer. Peur de devenir intelligible, peur de grouiller dans la détresse et ne pouvoir m’en relever… Lorsque je lisais un ouvrage ou écoutais une œuvre musicale qui entamait cette enceinte de chair où se condensent nos eaux, lorsque je sentais s’ouvrir l’opercule et remonter le sel, je m’enfuyais, courais au dehors une heure durant pour assécher en transpiration ces larmes dont je percevais qu’elles me mèneraient à l'extrême bord des fragilités enfouies, de tous les cris retenus.
Et puis ce don là est revenu, un jour.
Sans doute un psychanalyste dirait-il pompeusement que j’avais enfin « liquidé » quelque chose de l’histoire, cela ne me semble pas anodin comme expression.
J’ai réappris à me dire bonjour juste après un adieu.
A me faire des petits signes d’amitié à travers ces larmes qui furent d’abord de chagrin, le « père » tant aimé disparu sans que j’aie pu le lui dire autrement qu’en glissant dans son dernier costume les mots jamais prononcés.
Il m’a fallu sans me retourner quitter cette contrée où l’on n’est que tableau noir, craies piétinées, lettres tellement nombreuses et sombres qu’elles ne parviennent plus à s’agencer en mots.
J’ai découvert ainsi que les larmes du deuil pouvaient se transmuer en larmes de joies, que loin de corroder elles étaient une source.
J’avais été vivante mais comme le disait si joliment Louise Labbé, « discrètement », avec cette ferveur teintée de crainte que donne la conviction qu’on n’aurait jamais dû survivre au premier tunnel franchi.
Avec cette dureté de pierre forgée au fil du temps pour ne pas me déchiqueter davantage le ventre.
Comme j’étais hors du vrai en refusant la chute et ses lézardes, en m’enfuyant si loin que je ne pouvais même plus me toucher.
Rondeur de la perle
Fraîcheur du pétale sous la rosée
Fécondation de soi
Le don des larmes.
Que d’intensité en ces quatre mots, que de lumière.
Si souvent le corps s’ensemence de petites douleurs grises lorsque les larmes amorcent leurs descente mystérieuse et pleine de hasard sur un visage qui rougit, se gonfle, se défait se crispe, se ferme et se vide….
Comment des gouttes aussi minuscules peuvent-elles donner, lorsqu’elles ont épuisé leur cours, le sentiment d’être vêtue d'une peau toute neuve, délivrée de l’étreinte, fragile mais vivante ?
J’ai entendu dire un jour que cette eau qui tapisse nos yeux et parfois jaillit comme un grand lac contiendrait des substances calmantes.
Toute explication est toujours bonne à prendre.
Il reste que depuis, lorsque je pleure, que ce soit de chagrin ou de joie (car cela m’arrive aussi, rassurez-vous), je me fais totalement présente à ce qui vient, assiste au meurtre de la souffrance ou à la naissance du partage sans crainte pour l’image ou la perte.
Pleurer
Ensemble
Prière.
Pensées.
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