Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
La vie est comme un instrument de musique: il faut la tendre et la relacher pour la rendre agréable. Démophile
Une étape que je vais tenter de vous rendre la plus agréable possible.
Le chant grégorien se trouve en effet au fondement de quantités d'oeuvres écrites au temps des troubadours, trouvères, ménestrels, minnesinger et autres baladins du Moyen-Âge qui n'hésitèrent point à prendre le meilleur des lignes mélodiques et les arranger à leur manière. Le copyright n'existait pas, et c'était une chance, car la musique ainsi vivante se perpétuait, se diffusait dans toute l'Europe et bien au-delà de chemins en chemins, de haltes pélerines en castels ou bourgades.
La musique des Eglises primitives d’Occident portait l’empreinte de la Grèce antique et surtout de Byzance
où va se maintenir très vive la tradition des églises coptes, juives, chrétienne orthodoxe, syrienne, palestinienne, chacune conservant ses spécificités musicales et surtout sa langue.
Elle était exclusivement chantée, l’accompagnement par des instruments étant réservé aux musiques profanes.
Si les psaumes sont ceux de la Bible, les hymnes composés par saint Ambroise sont en fait directement inspirés d’ Eprhem d’ Edesse en Syrie. Ils comportent des strophes avec refrain.
Le chant grégorien est une spécificité née de la séparation de l’Orient et de l’occident, séparation lente tout de même puisqu’elle s’étendit du VI ème au XI ème siècles. Les travaux les plus récents attestent que l'attribution qui en fut faite à Grégoire 1er est une légende. Le chant dit Grégorien est né sous l'impulsion de Chrodegang, évêque de Metz, à l'époque de Pépin le Bref.
Cependant, dès le VI ème siècle le pape Grégoire 1er travaille à la réforme de la liturgie. Il procède à la classification de toutes celles qui existaient en son temps : milanaise, romaine, espagnole, mozarabe, gallicane, celte, syrienne, copte, ne gardant que les chants romains en vue d’une unification de l’empire chrétien d’Occident par le chant religieux. C'est Charlemagne qui officialisera le terme « grégorien » avec il faut bien le reconnaître un manque total de reconnaissance envers Chrodegang...
On fonde alors dans toute l’Europe, sur le modèle de l’école de la chapelle Sixtine, des écoles de chantres ou Schola cantorum, qui recrutent aussi bien des adultes que des enfants.
Il y avait sans doute beaucoup d’appelés et peu d’élus car ces écoles se limitaient à sept chanteurs adultes dont trois solistes, et sept chanteurs enfants destinés à répondre en choeur à l’octave.
Les plus célèbres de toute la chrétienté étaient donc celles de Metz dont voici une superbe photo nocturne:
mais également Tours, Saint Gall, Rome, Cologne, Montserrat en Catalogne sur lequel je reviendrai car il est un des hauts lieux du pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle.
La liturgie grégorienne est monodique, toujours au service du texte du verset, lequel est divisé en trois sections et répété trois fois. Ces chants deviendront rapidement polyphoniques et ailleurs qu’à Rome, seront dès le IXème siècle accompagné par l’orgue, voire des orchestres entiers comme en témoignent les fresques de l’abside de la cathédrale du Mans qui, quoique tardives, nous parlent d'un ancrage solide de l'accompagnement instrumental de la liturgie par des orchestres entiers : quarante sept anges musiciens portant des banderoles sur lesquelles s’inscrivent des portées musicales et les textes liturgiques de l’abbaye de Fontevrault.
Ces anges chanteurs sont accompagnés d'un extraordinaire panorama d'anges jouant d'instruments les plus divers.
La difficulté de transmettre la quantité considérable de chants contraint à une notation spécifique : les neumes ( du grec pneuma, souffle). Chaque école s’appropriera d’ailleurs une petite quantité de ces chants, ce qui en facilitera l’apprentissage de mémoire et leur transcription sous forme de neumes portera la marque de chacune d’entre elle.
Ici les différences entre notation de seconde majeure ou mineure selon Metz (Laon), Saint Galles et Solesmes
Celle de Saint Gall est de traits fins et élancés.
Celle de Metz un peu ondulée et de plume déliée.
Celle du Bénévent et de Solesmes de plume épaisse.
Celle d’Aquitaine souvent réduite à des points dont naîtront nos notes actuelles.
Ici un tableau vous montre l'évolution des neumes. Il est certain que la forme carrée que nous connaissons le plus - et qui a don de nous charmer par son côté ancien - est celle qui correspond, hélas, à une dégénérescence de l'art des chantres.
Les neumes n’indiquent pas des hauteurs de notes mais des inflexions, des directions. Les chanteurs étaient supposés connaître par cœur les mélodies, le support neumatique leur indiquait donc les liaisons, les silences, les ornements ou mélisme, la nasalisation de certaines syllabes etc. Le tempo n’était pas indiqué sauf à l’école de Metz qui est sans doute la plus aboutie et rayonnante de toute la chrétienté.
Guy d'Arezzo, moine bénédictin de la première moitié du 11e siècle est l'un des noms les plus glorieux de toute la pédagogie musicale ; ses inventions font de lui le créateur du solfège, au sens précis du terme, et l'un des plus grands théoriciens du Moyen-âge. C'est en l'Abbaye de Pomposa qu'il conçut dès sa jeunesse les plus fécondes d'entre elles : le perfectionnement de la notation sur portée et la méthode de solmisation hexacordale par syllabes ( ut, ré mi fa sol la si), notre gamme de base). Il inventa également ce que l’on appela la main Guidonienne qui permettait aux chantres de retrouver sur simple indication du maître de chant sur sa propre main les notes du système, que ce soit lors des répétitions ou lors des services religieux.
Ces innovations heurtaient à tel point les habitudes ancrées que Guy fut contraint de quitter Pomposa. Il séjourna alors en divers lieux avant de trouver dans la personne de Théobald, l'évêque d'Arezzo, un protecteur influent grâce auquel il put poursuivre dans de meilleures conditions son activité pédagogique. Théobald le nomma professeur de chant et de musique dans son école épiscopale, et lui fit rencontrer le pape Jean XIX à qui Guy présentera sa méthode d'enseignement ainsi qu'un antiphonaire (livre de chants) transcrit selon la nouvelle notation.
Cette notation se singularisait non tant par le recours à la portée que par la manière dont elle était employée. Guy eut en effet l'idée, simple mais géniale, d'échelonner les lignes non pas comme jusqu'alors en secondes mais en tierces, et de placer les notes tantôt entre les lignes, tantôt sur elles. Quatre lignes suffiront désormais pour noter les mélodies liturgiques, et des couleurs différentes, jointes aux clefs, rendront plus aisée la distinction des tons et demi-tons. Ce système fur une vraie révolution: la mélodie pouvait être déchiffrée ou remémorée sans le secours de l'enseignement oral. Il en résulta un allégement considérable de l'effort de mémorisation requis des chorale. La durée d'apprentissage passa de dix à deux années.
Le plain-chant s’agrémenta dès l’époque carolingienne de variations nommées tropes et séquences, destinées sans doute à rompre avec le caractère très austère des textes et attirer la foule lors des messes, en particulier des fêtes d’importance.
Ces séquences devinrent si appréciées qu’on en trouva bientôt plus de 5000 !
Le concile de Trente, au XVIème siècle les limita à cinq dans la liturgie romaine :
- Victimae pascali Laudes (Pâques)
- Veni sancte spiritus ( Pentecôte)
- Laude Sion ( fête Dieu)
- Dies irae ( séquence du Requiem)
- Stabat Mater
C’est à partir de ces séquences et ces tropes que se développèrent dès le Xème siècle les Mystères joués sur les parvis des cathédrales. Sortes d' « opéras « religieux, on dirait aujourd’hui oratorios, dans lesquels le jeu poétique et la musique religieuse se rejoignirent pour narrer la Bible en faisant participer les croyants à la pièce elle-même, sous forme de réponses aux solistes. Tout semblait permis en dehors des murs de la cathédrale et c’est ainsi que les thèmes de la nativité, d’Hérode, mais plus loin encore, les chants sybillins, poèmes composés durant l'antiquité grecque par ces devineresses vierges dont parle Homère, étaient offerts à l’écoute avec la bénédiction des clercs.
Mais l'Orient restait présent dans les instruments de musique, les variations, l'exploration de la virtuosité tant instrumentale que vocale.
Deux exemples sonores en commençant par une séquence:
enregistré au sanctuaire de Montserrat en Catalogne