Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
Mezzetin d'Antoine Watteau
Comme elle devait être douce la vie de ce personnage de la Commedia d'el Arte... Le satin des chausses, l'élégance de la mise, la pose alanguie et presque priante, tout dit dans cette toile la ferveur amoureuse, la rêverie, les préoccupations spirituelles et sensuelles fort éloignées des contingences matérielles...
Ces dernières, Bach les connaît bien depuis son enfance. C'est à la force de son génie et de son travail qu'il fait vivre et tout à fait confortablement sa nombreuse famille. Quant à la guitare. En voilà un instrument que Bach n'a jamais utilisé, pourtant fort à la mode en son temps. Il est vrai que quand on est musicien à la cour du Duc de Weimar, papa comblé et heureux époux, jouissant d'une situation fort honorable, la guitare et les sérénades à la Lune occupent place bien secondaire.
En 1717, Bach est devenu un organiste de renommée internationale. Mais ses relations amicales avec le neveu du Duc provoquent l'ire de son employeur. Bach, dépité que l'on nomme maître de chapelle un musicien bien moins doué que lui fera, si jose dire, tout pour être démis de son poste. Le Duc ira même jusqu'à le mettre en prison du 6 novembre au 2 décembre 1717 pour l'empêcher de rejoindre la cour du Prince Léopold d'Anhalt-Köthen.
Celui-ci était de ces souverains éclairés, passionné de philosophie et de musique, comme il en poussait à foison en Europe. Lui-même ne goûte guère la musique religieuse. Mais la réputation de Bach était telle qu'en prévision de sa venue il réorganisa le corps des musiciens de la principauté. Bach de son côté, à force de vexations envers le Duc de Weimar dont le caractère coléreux et tyrannique lui déplait de plus en plus, a enfin obtenu sa disgrâce. Engagé par le prince, entouré des dix-sept meilleurs musiciens de son temps tout comme lui généreusement rétribués par le mécène, il va explorer la musique de concert et en particulier les formes orchestrales qu'il a jusqu'alors un peu négligées...
Déjà il a eu entre les mains quelques uns des concerti de Vivaldi. Le style vénitien l'enchante, au point de le pousser à transcrire et adapter certains thèmes du prêtre roux pour son clavecin. Le séjour de Bach à la cour de Köthen est de fait l'un des plus heureux de sa vie. Le prince Léopold, musicien lui-même, ne l'encourage-t-il pas à entreprendre des voyages dans les grands centres musicaux et s'y nourrir de tout ce qui émerge de musique en son temps?
Bach ne se fait pas prier et, quoique une grande partie de ses ouvrages ait été perdue, il compose sans relâche. C'est dans cette cour où il se sentait apprécié du Prince qu'il écrit la majeure partie de ses opus pour clavier, ses concerti brandebourgeois, ses sonates etc, toutes oeuvres sur lesquelles nous reviendrons.
En juillet 1720, alors que son aîné a tout juste dix ans, son épouse tant aimée meurt.
Bach découvre la triste nouvelle à son retour de Bohême où il tenait compagnie au prince, alors en cure d'eau. Maria Barbara est déjà enterrée. Celle qui avec tant de douceur, de dévouement et de discrétion accompagna sa geste de compositeur le laisse seul avec ses souvenirs, des enfants en bas âge, une profession prenante et un immense désarroi... Seule sa foi qui était profonde empêche Bach de sombrer et lui permet de lire dans ces coups du destin quelque message de Dieu à sa seule intention.
Fragonard, La liseuse
La musique pour ensemble instrumental occupe une place très minime dans le corpus de son intégrale ( soit environ 80 oeuvres pour 1080 titres). Pourtant elle participe et de façon tout à fait justifiée à la renommée actuelle du compositeur, sans doute parce que plus facile d'accès qu'un choral pour orgue ou une fugue sévère...
Et puis, à l'époque de Bach, époque très religieuse, la majeure partie des amateurs de sa musique l'étaient avant tout de son oeuvre sacrée. Le Prince Léopold de Köthen ne manque pas d'énergie et comme nous l'avons déjà dit, n'aimant guère la musique religieuse, il intime à Bach de composer et jouer une quantité certaine de musique profane et orchestrale. Peu à peu les goûts du public se tournent vers ces pièces chatoyantes.
L'Allemagne glisse alors du sacré vers le profane. Du moins sur le plan musical car pour ce qui est de la peinture, on y représente encore de vieilles légendes de femme à barbe crucifiée, sans doute pour l'édification des foules et des femmes qui se refusent à des mariages de convenance:
Mais venons-en à ces suites pour orchestre composées au temps du bonheur.
Elles nous sont parvenues sous forme de copies réalisées par des proches ou collègues de Bach. Nous en connaissons quatre, chacune adoptant une forme, une orchestration, un esprit différent. Elles obéissent cependant au style général des oeuvres similaires composées par Telemann: une ouverture qui respecte le cadre instauré par Lully ( lent, vif, lent) dont la section lente est fuguée, suivie d'une série de danses et de pièces caractéristiques. L'ensemble, par son ampleur architecturale laisse pressentir ce que deviendra la forme symphonique.
Tiepolo, cortège matrimonial en Italie, lavis brun, 1727
La Suite No. 1 en do majeur (BWV 1066) est composée pour orchestre à cordes et trois instruments à vent ( deux hautbois et un basson) sur la forme du Concerto grosso. Bach y montre une grande connaissance des danses de cour françaises mais également vénitienne: la seule forlane de toute son oeuvre y est brillamment illustrée. ( ceci pour expliquer la présence du très beau lavis de Tiepolo, contemporain de l'oeuvre de Bach). Cette dernière danse était à l'origine accompagnée d'une mandoline, de percussions et de castagnettes. Devenue très populaire dans les ballets de cour français, Bach en donne dans cette suite sa seule utilisation du genre.
Je vous propose donc deux extraits de cette Suite n° 1
La Gavotte, qui nous permet d'entendre dialoguer les instruments solistes et l'orchestre.
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La Forlane, très vive et enjouée.
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La suite n° 2 en si mineur BWV 1067 est écrite pour flute, continuo et cordes. Elle s'éloigne considérablement de la puissance orchestrale de la précédente, cultivant un espace plus intimiste parfaitement adapté à la douce sonorité de la flute. Admirable cependant la profusion créatrive de l'écriture sous l'instrument soliste...
Je vous en propose trois extraits, successivement:
Bourrée
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Menuet, dans lequel la simplicité de la ligne mélodique est admirablement et discrètement soutenue par le reste des instruments:
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Et la célébrissime et redoutablissime Badinerie:
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Les suites n°3 et n°4 sont, à l'instar de cette toile superbe de Fragonard, toutes brillantes de l'or des cuivres que Bach intègre à l'orchestre. Trompettes et timbales y tiennent leur rang, avec éclat. C'est à Leipzig qu'il parachève la construction de ces deux pièces sans doute commencées à Köthen.
La Suite No. 3 en ré majeur (BWV 1068), écrite pour trois trompettes, timbales, deux hautbois, basson et cordes, est la plus populaire des suites de Bach. Son sublime Aria nous emporte dans un univers simple et apaisé. Les autres danses sont très empreintes de leurs racines traditionnelles, on y entend un Bach attaché à faire sonner le terroir avec gaieté, jovialité, puissance aussi. Il parait que c'était la suite préférée de Mendelssohn qui contribua à la redécouverte de Bach à l'époque romantique et en jouait au piano de larges extraits à son ami Goethe.
Trois extraits encore:
Aria
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Gavotte, en trois parties distinctes et aux accents très théâtraux pour la première, qui n'auraient pas déplu à Lully. Le thème principal s'y promène dans tous les pupitres successivement. La seconde partie fait entendre des parties en canon: on ne change pas un style qui gagne... Puis revient le thème initial brillant et ponctué de timbales.
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Gigue, enlevée et entrainante. Les cuivres, soutenus par les timbales qui renforcent leurs accents martiaux, ont la part terrienne dans cette danse où les violons apportent la légèreté aérienne de leur contrechant tout en volutes et arabesques.
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La Quatrième Suite ne comportait à l'origine ni cuivres ni timbales. Remaniée à Leipzig elle prête alors le thème de son ouverture à la cantate 110, Unser Mund sei voll Lachens. Bach ré-utilisait souvent son matériel sonore si vaste et varié en divers lieux de son oeuvre, avec toujours ce souci que les motifs soient signifiants pour l'auditeur. Nous y reviendrons concernant son amitié pour les nombres et le chiffrage en général, même si on peut penser qu'il y avait là mélange d'instinct, de métier, d'intentionnalité et de rigueur. Bach veilla dans l'écriture de cette oeuvre à ce que l'on puisse l'adapter aux effectifs de différents orchestres, entre autres se passer de cuivres et de percussions.
Pour terminer cette page,
l'Ouverture de la suite, qui permet de bien entendre les trois volets lent /vif fugué/ lent. L'écriture y est solennelle, comme il se doit pour une ouverture à la française:
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Gavotte. Mêlant toujours et encore le caractère très appuyé des cuivres et timbales au déroulement plus léger et dansant des cordes, lesquelles au niveau des violoncelles et alti ponctuent régulièrement les phrases de petites cellules rythmiques recto tono évoquant presque un froissement de tissu et à tout le moins de petits pas rapides. On les voit apparaître entre 4 et 6 sur le curseur puis entre 14 et 16, et ainsi tout du long. Ce motif rythmique est repris ( entre 94 et 96 sur le curseur du lecteur) par les cuivres
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Et en bonus pour ceux qui auront le temps l'ouverture de la Cantate 110. La partie fuguée y est interprétée par un choeur mixte à quatre voix, tout de jubilation que je trouve pour ma part tout à fait sublime :
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