Poésie, symbolique du monde, les quatre éléments, contes, écoute, accompagnement, musique
" ... Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies ... "
Et si l'on jouait à associer une toile de maître à un instrument de musique, retrouvant ce plaisir des Correspondances chères à Baudelaire ?
Dans l'imaginaire collectif, l'instrument du pâtre est la flûte. On la devine ici entre les mains du jeune berger que met en scène cette toile de David Tenier le jeune.
Il est bien loin le tuyau unique du sifflet en os de renne qui reliait les hommes d'une même tribu et donnait à chacun un début d'identité sonore.
Mais sait-on qu'avec le temps, très lentement, ces sifflets vont être attachés par un lien?
Celui qui portera ce collier autour de son cou, celui qui fera résonner à tour de rôle ou ensemble ces prénoms sonores, celui qui -grâce à l'hyperventilation que procure la pratique intense d'instruments à vent- accèdera à ces états de conscience altérée qui lui permettent de témoigner de l'en-deçà ou l'au-delà du monde, celui-là participera alors des débuts de la conscience collective et des religions primordiales.
Et si la flûte en chaume, matériau aux résonances symboliques très puissantes, reste longtemps l'instrument des transes collectives, celui que chacun des membres de la tribu, à égalité avec ses congénères peut posséder, la flûte en os d'oiseau, plus rare, est celle du prêtre ou du chamane. Et pourquoi pas d'un dieu?
C'est ainsi qu'au VIIIème siècle avant J.C. on attribuera à Hermès, le dieu des voyageurs et des voleurs, l'invention de la flûte de Pan. L'instrument est censé assurer la fertilité des troupeaux. Platon, dans la République, dira de manière ferme et définitive qu'elle revient aux seuls bergers et que les instruments utiles à la ville ( dignes de la Cité? ) sont la cithare et la Lyre. La séparation des musiques des villes et musique des champs remonte, on le voit, à très loin...
L'eglise catholique n'empêchera pas son essor durant tout le Moyen-Âge mais c'est à l'époque baroque qu'elle prend enfin toute sa place dans l'orchestre. Son timbre brillant dans l'aigu, homogène dans toute sa tessiture, sa virtuosité en font rapidement un instrument soliste.
Je vous propose pour débuter cette promenade parmi les instruments émergents de l'époque baroque l'Andante du concerto en Sol majeur TWV 51 pour flute de Telemann. Ceux qui fréquentent Bach reconnaîtront un début de thème qui fait partie de notre patrimoine sonore désormais... La musique n'appartenait qu'à elle-même, alors.
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D'une sonorité aussi feutrée que les nuances de ce pastel de Rigaud, le hautbois et les instruments de sa famille accèdent eux aussi au devant de la scène.
On retrouve trace d'un cousin de cet instrument dans l'antiquité grecque ( il porte alors le nom d'aulos), romaine ( la tibia, du nom d'une région de Phrygie) et égyptienne ( le zamr). Aristote laisse des descriptions très détaillées de cet instrument lorsqu'il se présente sous forme d'aulos double. La tibia romaine, répandue à la faveur des conquêtes de l'empire, va donner naissance par suite à l'immense famille des instruments à anche double et perce conique, très en faveur au Moyen-Âge: la chalemie, la chalemire, le chalumeau, la piffera, la musette et toutes les cornemuses imaginables, la bombarde, la douçaine et j'en passe. Une page très intéressante relative à la symbolique des cornemuses.
Le mot hautbois apparait au XVème siècle. Il sert alors à désigner -indépendamment de sa taille ou origine- tout instrument à anche double. Réservé aux fêtes champêtres, à la danse, aux musiques des mousquetaires du Roy, il est admis dans l'orchestre durant la seconde moitié du XVIIème siècle, sans nul doute grâce à Lully qui assurait la promotion enthousiaste de toute nouveauté en matière de musique.
Les facteurs d'instruments ont alors considérablement amélioré la chalémie initiale: La chalémie était faite d'une seule pièce, le hautbois en possède trois. Elle ne possédait pas de clefs, le hautbois en possède trois. Sa perce et sont pavillon étaient larges, ceux du hautbois sont rapetissés. Surtout, ses anches doubles plus longues sont prises directement entre les lèvres au lieu d'être protégées par une pirouette, ce qui assure un contrôle meilleur du son. Pour autant, l'instrument mérite encore quelques améliorations. Elles viendront seulement au milieu du XIXème siècle avec le facteur Frédéric Triebert. Entre temps, les compositeurs de l'Europe entière composent pour lui, aussi bien le hautbois soprano que nous connaissons aujourd'hui que pour l'alto ( hautbois d'amour) ou la haute contre ( hautbois de chasse ou cor anglais)
Pour cette deuxième halte, écoutons encore Telemann et l'Adagio du Concerto en sol Majeur pour hautbois d'amour. On y entend bien ce dialogue entre l'orchestre à cordes qui annonce puis soutient l'ample et très belle déclamation assez tôt ornementée de cet instrument très puissant:
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Puis le Troisième mouvement du concerto pour hautbois d'amour en la majeur BWV 1055 de Bach.
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Que de sensuelle violence dans cette reddition du grand mâle à la meute, que de flamme dans les couleurs choisies par Alexandre-François Desportes! On comprend à regarder cette toile que les chasseurs aient aimé la puissance rutilante du cor pour apeurer la bête et à quel point ils se sentaient portés par cette sonorité éclatante jusqu'à l'hallali.
A l'instar du cor ou de la trompe qui portaient la chasse et en scandaient les moments forts de manière très codifiée, les cuivres, dont la facture ne permettait pas de jouer des mélodies complexes mais de sonner quelques notes, ont été longtemps cantonnés au soutien harmonique de l'orchestre, essentiellement dans les musiques d'église. L'époque baroque va accorder une place plus importante à ces instruments d'harmonie, leur permettant d'exprimer à leur manière les sentiments humains dans toute leur étendue.
Et c'est sans doute pour cette raison que cette toile de Louis Gameray, toute de contrastes à l'intérieur d'une palette sobre et qui évoque tant les combats intimes de l'homme contre un univers tourmenté et implacable me semble résonner en parfaite affinité avec la puissance évocatrice des cuivres:
Nul autre que Haendel, dont nous reparlerons, n'a mieux servi les pupitres des cuivres à travers ses oeuvres orchestrales. Leurs sonorités héroïques n'étaient-elles pas un reflet de la puissance des grands de ce monde honorés par ses suites pour orchestre jouées dans des barques voguant au fil de la Tamise ( ce qui devait entre parenthèse poser de sacrés problèmes de justesse ... ) ? L'eau, le feu et les cuivres encore...
Petite illustration avec l'Ouverture de la suite Musique pour les feux d'artifices royaux:
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Nous entendons tout du long de cette dernière pièce une timbale accompagner le thème lors des interventions des cuivres. La percussion prend en effet de plus en plus d'importance dans l'orchestre baroque. Le grand Lully prenait soin de différencier les percussions à sons définis ( qui émettent une note) de celles qui se contentent de " faire du bruit "... Il aimait néanmoins utiliser tout ce qui sous sa patte de génie pouvait suggérer un orage ou un galop. Peu à peu, pour les effets dramatiques qu'elles savent créer, la cymbale, la grosse caisse, le tambour rentrent donc dans l'orchestre.
Je vous propose un extrait de l'Alcyone de Marin Marais qui illustrera parfaitement ceci, dans une orchestration qui n'est sans doute pas si éloignée de l'esprit de l'époque! Il provient du très étonnant disque " La quête de l'Arundo Donax "
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Un instrument lui aussi associé aux anges et aux cérémonies royales: la trompette. Sa sonorité éclatante la porte à assumer très tôt un rôle de soliste. Ses possibilités dans les nuances plus douces lui permettent d'imiter la voix humaine. Cette trompette dite " naturelle " ne comportait pas de trous, les sons étaient fabriqués uniquement par la pression des lèvres. Autant dire que les interprétations sur des trompettes contemporaines ne rendent sans doute pas au mieux les sonorités de l'époque.
C'est cette Sybille de Michel-Ange vêtue de soleil qui donnera écho à la rondeur virtuose et féminine de l'instrument que nous allons écouter.
Pour commencer le premier mouvement du concerto pour trompette de Scheidt qui illustre très bien l'aspect imitatif de la voix humaine:
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Puis le très connu et incontournable Allegro du concerto pour trompette de Vivaldi, par le non moins incontournable Maurice André...
dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/1-15_Concerto_for_Trumpet_and_Orchestra_Ed_Thilde__I_Allegro.mp3&
Le dernier instrument qui sort de sa gangue à l'époque baroque est l'un des plus vieux de tous. Quoique très prisée des grands de ce monde ( elle faisait partie de la bonne éducation des jeunes filles et chaque souverain aimait à s'entourer de musiciens la pratiquant, et ce depuis la nuit des temps ) elle fut longtemps limitée dans la musique d'ensemble au rôle si important mais peu gratifiant de basse continue dans un coin reculé de l'orchestre. Je parle de la harpe. ( Un excellent article sur son histoire en suivant le lien) et un autre avec une belle iconographie)
Et puisque Eole a inspiré la harpe du même nom qui connut grand succès jusqu'au XIXème siècle, j'ai choisi pour finir ce voyage au coeur des sons et des images un peintre flamand du ciel et des vents qui le traversent, Ruysdael. Et comme illustration sonore, l'Andante puis la cadence du Concerto en Si bémol majeur pour harpe de Haendel
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dewplayer:http://s3.archive-host.com/membres/playlist/1543578952/07_Haendel___Cadence_Du_Concerto_en_Si_Bemol_Majeur.mp3&